mercredi 22 août 2018

Le pouvoir d'achat menacé par l'inflation


21 août 2018

Le pouvoir d'achat menacé par

 l'inflation

En juillet, la hausse des prix a été de 2,1 % en zone euro et de 2,3 % en France. Au détriment, aussi, de l'épargne

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Il aura suffi d'un chiffre pour que les vieilles craintes resurgissent. En juillet, l'indice des prix a progressé de 2,1  % en rythme annuel dans la zone euro, selon les statistiques publiées vendredi 17  août par Eurostat. Il n'était pas repassé au-dessus de la barre symbolique des 2  % -depuis décembre  2012. En France, il a bondi de 2,3  % sur le même mois, au plus haut depuis six ans.
Si bien que certains tremblent déjà : après avoir lutté pendant de long mois contre la menace déflationniste, la zone euro va-t-elle désormais souffrir du mal inverse ? Notre pays va-t-il revivre le cauchemar du début des -années 1980, lorsque la flambée des étiquettes dépassait allègrement les 13  % annuels ?
C'est heureusement peu pro-bable, même si l'effet sur le pouvoir d'achat sera loin d'être neutre. " S'il est certain que l'anémie des prix liée à la crise est derrière nous, il est encore trop tôt pour parler d'un véritable retour de l'inflation en zone euro et en France ", explique Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas. Motif : la hausse aujourd'hui observée tient, pour l'essentiel, à la remontée des cours du pétrole. Le baril de brent a en effet bondi de 52 à 72  dollars en un an, tirant les prix moyens de l'énergie à la hausse (+ 9,5  % en juillet en zone euro).
En France, le tarif des produits pétroliers a même augmenté de 21,8  % en juillet. Et celui du tabac, de 16,8  %, sous l'effet du relèvement du prix du paquet de cigarettes par le gouvernement. " Pour les consommateurs sur la route des vacances, la hausse des prix à la pompe a pesé lourd ", -remarque Philippe Waechter, chef économiste d'Ostrum AM, filiale de Natixis.
Inflation " sous-jacente "Mais pour le reste, les prix ont peu augmenté. " L'inflation dite sous-jacente, qui exclut le prix des produits les plus volatils, comme ceux de l'énergie, est en effet de plus d'un point en deçà de l'inflation totale et peine encore à se redresser ", explique Mme  Baudchon. En zone euro, elle s'établissait à 1,1  % en juillet. Or, cette inflation-là en dit bien plus sur l'état de santé réel de l'économie que celle liée aux prix du pétrole. Car elle ne redémarre vraiment que lorsqu'elle est alimentée par la hausse des salaires.
C'est ce que l'on observe déjà aux Etats-Unis, où le taux de chômage est au plus bas (3,9  % en juillet) : les salariés y sont en meilleure position pour négocier des augmentations. Inquiets face au manque de main-d'œuvre, les employeurs leur en accordent peu à peu. Ce qui soutient la -consommation et gonfle les -carnets de commandes. En meilleure forme, les entreprises peuvent alors augmenter un peu leur prix et regonfler leurs marges, pour investir ou augmenter encore les salaires : l'inflation est auto-entretenue. Tout le monde est gagnant, à condition que le phénomène reste contenu.
Le rôle de la banque centrale est justement de s'en assurer. Par les jeux des taux directeurs, elle veille à ce que l'inflation ne dépasse pas les 2  % sur le moyen terme, seuil autour duquel l'évolution des prix est jugée saine. Lorsqu'elle relève ses taux, le coût du crédit se renchérit, ce qui évite la surchauffe de l'économie et freine les prix.
La Réserve fédérale américaine (Fed) suit désormais cette stra-tégie. Fin 2015, face au plein-emploi, elle a entamé le relèvement de ses taux directeurs, qui évoluent aujourd'hui entre 1,75  % et 2  % – celui de la Banque centrale européenne (BCE) est à 0  %. " La Fed devrait poursuivre ce mouvement de hausse ces prochains trimestres, car en dépit des tensions commerciales, les baisses d'impôts et les nouvelles dépenses décidées par Donald Trump continueront de doper l'économie américaine ", note Paul Ashworth, chez Capital Economics.
La situation est très différente en zone euro. Les perspectives de croissance y sont moins bonnes. Même si le taux de chômage est tombé à 8,3  % en juin, les salaires commencent seulement à frémir. " Leur redressement sera lent et progressif ", note M. Waechter. En particulier dans les pays où le nombre de demandeurs -d'emploi et celui de jobs précaires restent élevés, comme la Grèce et l'Espagne.
En France, le salaire moyen par tête devrait ainsi progresser de 2,1  % sur l'ensemble de l'année, selon l'Insee, après 1,7  % en  2017 et 1,2  % en  2016. Mais cette hausse sera en partie annulée par celle des prix : en prenant en compte l'inflation, la progression du salaire moyen par tête dit " réel " ne sera plus que de 0,5  % en  2018, comme l'an passé. C'est-à-dire moins qu'en  2016 (+ 1,4  %), où l'inflation était plus faible.
Dans ces conditions, le pouvoir d'achat des ménages, qui dépend de leurs autres sources de revenus (primes, loyers, prestations sociales…) et de l'évolution des prélèvements fiscaux, sera lui aussi -pénalisé. Selon les prévisions de l'Insee, il devrait progresser de 1  % cette année, soit moins qu'en  2017 (1,4  %) et en  2016 (1,8  %).
En outre, la résurgence de l'inflation pèsera sur le rendement de l'épargne. " Le choc est dur pour le Livret A ", remarque Philippe Waechter. Son taux de rémunération, comme celui du -Livret de développement durable et solidaire, est fixé à 0,75  % par le gouvernement : c'est bien moins que les 1,8  % d'inflation prévue en France sur l'ensemble de l'année par l'Insee.
Du mieux en fin d'annéeRésultat : les bas de laine seront un peu grignotés par la hausse des prix. Mais la perte sera toujours moindre que celle observée en  1981, par exemple. A l'époque, le taux du livret A était de 8,5  % – un niveau qui a de quoi faire rêver aujourd'hui. Mais l'inflation, elle, culminait à 13,5  %, si bien que les économies fondaient !
Consolation : sauf troubles géopolitiques et mauvaises surprises, les cours du pétrole devraient se stabiliser au niveau actuel et -l'inflation devrait retomber en fin d'année. " Selon nos prévisions, elle devraitculminer autour de 2,4  % en août et septembre en France, avant de se tasser ", -détaille Hélène Baudchon. La BCE, elle, estime qu'elle ne dépassera pas les 1,7  % en  2019, soit moins que sa cible de 2  %.
Dans ces conditions, l'institut monétaire ne se précipitera pas pour relever ses taux, qui devraient rester au même niveau jusqu'à l'automne 2019. Une bonne nouvelle pour les entreprises comme pour les emprunteurs : d'ici là, ils continueront de profiter de crédits à bas coût pour leurs investissements et achats immobiliers…
Marie Charrel
© Le Monde

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