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GUERRES ET RÉVOLUTIONS, HISTOIRE, MOUVEMENT OUVRIER ET SOCIALISTE
20 Août 1940 l’assassinat de Léon TROTSKY


« L’œuvre d’extermination des internationalistes a déjà commencé à l’échelle mondiale avant l’éclatement de la guerre. L’impérialisme n’a plus à s’en remettre à un » heureux accident. » Il a trouvé une agence internationale prête à l’emploi pour l’extermination systématique des révolutionnaires dans la mafia stalinienne. Jaurès, Liebknecht, Luxembourg jouissaient d’une notoriété mondiale en tant que dirigeants socialistes. Rudolf Klement était un jeune révolutionnaire encore inconnu. Néanmoins, l’assassinat de Klement parce qu’il était le secrétaire de la Quatrième Internationale a une signification politique profonde. Par l’intermédiaire de ses gangsters staliniens, l’impérialisme indique à l’avance de quel côté viendra la menace mortelle pour lui en temps de guerre »
« Le mouvement auquel j’appartiens est un mouvement jeune qui est apparu sous les persécutions sans précédent de l’oligarchie de Moscou et de ses agences dans tous les pays du monde. De façon générale, il est impossible de trouver un mouvement qui ait eu autant de victimes en si peu de temps que le mouvement de la IVe Internationale. C’est ma conviction personnelle qu’à notre époque de guerres, d’annexions, de rapines, de destructions, et de toutes sortes de bestialités, la IVe Internationale est destinée à jouer un rôle historique. Mais c’est l’avenir. Dans le passé, elle n’a connu que les coups et la persécution. Personne n’aurait pu espérer au cours des douze dernières années faire une carrière grâce à la IVe Internationale. Pour cette raison, ceux qui ont rejoint ce mouvement sont des gens désintéressés, convaincus, prêts à renoncer non seulement aux biens matériels, mais aussi, si c’est nécessaire, prêts au sacrifice de leur vie. Sans vouloir aucunement tomber dans l’idéalisation, je me permettrai néanmoins de dire qu’il est impossible de trouver dans une autre organisation une telle sélection d’hommes dévoués à leur drapeau et étrangers aux prétentions personnelles, que dans la IVe Internationale. »
Léon Trotsky Coyoacan le 2 novembre 1937
Léon Trotsky
Lettre ouverte à toutes les organisations ouvrières
« Le mouvement socialiste mondial est consumé par une terrible maladie. La source de la contagion est le Komintern, ou pour le dire plus justement, le GPU, pour lequel l’appareil du Komintern ne sert que de couverture légale. Les événements des derniers mois en Espagne ont montré quels crimes la bureaucratie déchaînée et entièrement dégénérée de Moscou et ses hommes de main sortis d’une écume internationale déclassée sont capables. Ce n’est pas une affaire de meurtres « occasionnels » ou de coups montés « occasionnels ». C’est une affaire de conspiration contre le mouvement ouvrier mondial.
Bien entendu, les procès de Moscou ne pouvaient avoir lieu sans un régime totalitaire où la Guépéou dicte leur attitude à la fois aux inculpés, au procureur et à la défense.
Mais ces faux judiciaires étaient destinés dès le début à être le point de départ d’une campagne d’extermination contre les opposants à la clique de Moscou sur la scène mondiale. Le 3 mars, Staline prononça un discours devant le Comité Central du parti communiste d’Union Soviétique dans lequel il déclarait que la « Ive Internationale est formée aux deux tiers d’espions et de saboteurs ». Cette déclaration insolente et tout à fait dans le style stalinien indiquait déjà clairement quel était le but du Caïn du Kremlin. Ses desseins ne se limitent cependant pas au cadre de la IVe Internationale. En Espagne, le POUM, qui était pourtant engagé dans un conflit irréconciliable avec la IVe Internationale, fut enrôlé dans les rangs des « trotskystes ». Après le POUM, ce fut le tour des anarcho-syndicalistes et même des socialistes. Et maintenant, tous ceux qui protestent contre la répression anti-anarchiste sont comptés parmi les trotskystes. Les falsifications et les crimes augmentent à un rythme effrayant. Le zèle excessif de quelques agents peut expliquer certains détails isolés et particulièrement scandaleux. Mais l’action dans son ensemble est rigoureusement centralisée et menée suivant un plan élaboré par le Kremlin.
Un plenum du Comité Exécutif du Komintern prépare la campagne mondiale d’assassinats
Le 21 avril, se réunit à Paris un congrès extraordinaire du Comité Exécutif du Komintern auquel participaient les représentants les plus sûrs des 17 plus importantes sections. Les sessions se déroulèrent à huis clos, dans le plus grand secret. La presse mondiale signala simplement brièvement que les délibérations du plenum portaient sur la lutte internationale contre le trotskysme. Les instructions venaient de Moscou, en direct de Staline. Ni les débats ni les résolutions ne furent publiées. D’après les informations dont nous disposons et d’après la suite des événements, il semble évident que ce mystérieux plenum n’était en réalité qu’une conférence des agents internationaux les plus importants de la Guépéou réunis pour préparer la campagne internationale d’accusations, de dénonciations, d’enlèvements et d’assassinats contre les adversaires du stalinisme parmi le mouvement ouvrier dans le monde entier.
A l’époque du procès Zinoviev-Kamenev (août 1936), les rangs du Komintern étaient encore traversés par bien des hésitations. Malgré les efforts des vieux mercenaires de la Guépéou comme Jacques Duclos en France, même les cadres de la Guépéou – pourtant endurcis – tardaient à se vautrer dans cette boue arrosée de sang frais. Mais la résistance des hésitants fut vaincue en quelques mois. Toute la presse du Komintern, que Staline garde dans une cage dorée, fut entraînée dansune orgie de calomnies jamais égalées en bassesse et en cruauté. Comme d’habitude, la direction de cette campagne avait été confiée aux émissaires de Moscou comme Michaël Kaltsov, Willie Muenzenberg et autres aventuriers. La Pravda assura que l’épuration en Espagne serait menée aussi rudement qu’en URSS. Ces paroles furent suivies d’actes : faux documents incriminant le POUM, assassinats d’écrivains anarchistes, assassinat d’Andres Nin, enlèvement d’Erwin Wolf et de Mark Rein, assassinats de dizaines de personnages moins importants, tous commis en traître, incarcérations dans les prisons extraterritoriales de Staline en Espagne et réclusions à l’intérieur de ces prisons dans des cellules spéciales, passages à tabac et toutes sortes de tortures physiques et morales – tout cela recouvert par de continuelles calomnies grossières, venimeuses, tout à fait dans le style stalinien.
En Espagne, où le soi-disant gouvernement républicain sert de couverture au gang criminel de Staline, la Guépéou a trouvé un terrain des plus favorables pour appliquer les directives du plenum d’avril. Mais l’affaire ne fut pas limitée à l’Espagne. Comme nous l’apprend la presse du Komintern elle-même, les états-majors français et britannique ont reçu de mystérieux documents révélant l’’existence d’une « entrevue de Trotsky avec Rudolf Hess ». L’état-major tchèque reçut une fausse correspondance qui devait établir qu’il existait des liens entre la Gestapo et un vieux révolutionnaire allemand. Jacques Duclos essaya de mêler les « trotskystes » à de mystérieux attentats qui eurent lieu à Paris et au sujet desquels la Guépéou pourrait sans aucun doute fournir quelques éclaircissements à la police française. A Lausanne, le 4 septembre, Ignace Reiss était assassiné uniquement parce que, horrifié par les crimes de Staline, il avait rompu publiquement avec Moscou. Certains de ses assassins ont été arrêtés. Ce sont des membres du Komintern et des agents de la Guépéou, recrutés parmi les Gardes Blancs russes. Les résultats de l’instruction, menée par les autorités judiciaires françaises et suisses, permet d’affirmer que ce même groupe avait déjà commis toute une série de crimes non encore découverts. Les Gardes Blancs servent de tueurs à Staline, de la même façon qu’ils servent de procureur (Vychinsky), d’agents de publicité (M. Koltsov, Zaslansky, etc.) ou de diplomates (Troïanovsky, Maïsky et leurs frères).
Les activités avaient à peine commencé en Orient que Staline lançait une campagne d’extermination contre les opposants révolutionnaires en Chine. La méthode est la même que celle qui fut appliquée en Espagne. Staline vend à Chang Kaï-chek, comme il vendait à Negrin, les produits de l’industrie soviétique au prix fort et, avec les devises ainsi obtenues, il paie ses falsificateurs, ses journalistes-escrocs, ses tueurs à gages. Le 5 octobre, le « New York Daily Worker » publiait un télégramme de Shanghaï qui accusait les « trotskystes » chinois du Kuangsi d’avoir fait alliance avec l’état-major japonais. Le « Daily Worker » est l’organe de la Guépéou publié à New York ; son correspondant à Shanghaï est un agent de la Guépéou qui applique les décisions du plenum d’avril. Pendant ce temps, des sources chinoises bien informées expliquaient qu’il n’y avait pas d’organisation trotskyste dans le Kuangsi (« Socialist Appeal », 16 octobre). Mais cela ne change rien à la situation : le télégramme de Shangaï signifie que le chapitre des faux documents, des enlèvements de trotskystes et des assassinats a été ouvert. Déjà, plus d’un révolutionnaire irréprochable était enfermé dans les prisons de Chang Kaï-chek. Leur vie est désormais directement menacée par Staline.
Le témoignage étonnant d’un communiste canadien révolté
Le communiste canadien, Henry Beattie, qui fut volontaire pendant quatre mois sur le front espagnol pour être ensuite renvoyé dans son pays en qualité d’agitateur par les miliciens eux-mêmes, a récemment raconté à la presse comment le parti des staliniens canadiens l’avait obligé à dire à une réunion publique que les trotskystes « fusillaient les miliciens blessés ». D’après sa déclaration, Beattie se conforma pendant quelque temps à ces instructions monstrueuses, « se soumettant à la discipline du Parti », c’est-à-dire à la décision prise au même plenum secret, dirigé par Staline. Aujourd’hui que Beattie a fui l’atmosphère empoisonnée du Komintern pour retrouver l’air frais du dehors, il est bien entendu traité d’espion et de saboteur et il est même possible que sa tête soit mise à prix. Pour de telles entreprises, Staline n’est pas avare : les dépenses engagées pour la préparation et l’exécution technique seules de l’assassinat d’Ignace Reiss s’élèvent à 300 000 francs !
Des douzaines de journalistes bourgeois étrangers de l’école Walter Duranty – Louis Fischer émargent au budget de la Guépéou dont le rôle est de couvrir ou de justifier ces crimes. Pour ceux qui savent lire entre les lignes, ce n’est plus un secret depuis longtemps que les dépêches et les articles amicaux-critiques-équivoques venant de Moscou et signés de noms « indépendants » et qui sont souvent accompagnés de la mention « non censuré », sont en réalité écrits sous la dictée de la Guépéou et ont pour but de réconcilier l’opinion publique mondiale avec le sinistre personnage de Caïn au Kremlin. Ce genre de journalistes « indépendants » diffèrent de M. Duranty uniquement en cela qu’ils coûtent plus cher. Mais les reporters ne sont pas les seuls mobilisés. Des écrivains de renom comme Romain Rolland, feu Barbusse, Malraux, Heinrich Mann ou Feuchtwangler sont en réalité pensionnés par la Guépéou qui paie libéralement pour les services « moraux » de ces amis, par l’intermédiaire des Editions d’Etat.
La situation est différente, mais guère meilleure, en ce qui concerne les dirigeants de la IIe Internationale et de l’Internationale du Travail. Pour des considérations diplomatiques ou de la politique intérieure, Léon Blum, Léon Jouhaux, Vandervelde et leurs compères dans d’autres pays ont organisé, au plein sens du terme, la conspiration du silence autour des crimes de la bureaucratie stalinienne, aussi bien en URSS que dans l’arène mondiale. Negrin et Prieto sont les complices directs de la Guépéou. Tout cela sous la couverture de la « défense de la démocratie » !
Nous savons que l’ennemi est puissant, il a le bras long et de l’or plein les poches. Il se dissimule derrière l’autorité de la révolution qu’il est en train d’étrangler et de déshonorer. Mais nous savons aussi autre chose : quelque puissant que soit l’ennemi, il n’est pas tout-puissant. Malgré le trésor du Kremlin et son appareil, malgré sa légion d’ « amis », la vérité commence à faire son chemin dans la conscience des masses laborieuses dans le monde entier. Enivré par son impunité, Staline a ostensiblement franchi la limite que la prudence impose même aux criminels les plus privilégiés. On ne peut tromper ainsi que ceux qui veulent bien être dupes : plus d’une de ces sommités équivoques de notre temps appartient à cette catégorie. Mais les masses refusent d’être trompées. Il leur faut la vérité. Elles la réclament et l’obtiendront.
N’étant plus retenu par aucun principe, Staline a franchi le dernier pas. Mais c’est justement là que réside sa faiblesse. Il peut encore tuer, mais il ne peut arrêter la vérité. De plus en plus d’ouvriers communistes, socialistes ou anarchistes s’alarment. Même les alliés de Staline dans la IIe Internationale commencent à regarder avec effroi du côté du kremlin. Déjà beaucoup d’ « amis » écrivains se sont prudemment retirés, sous prétexte de « neutralité ». Mais ce n’est qu’un début.
La vérité sera révélée : nous devons nous organiser pour la faire connaître
Ignace Reiss ne sera pas le dernier à nous avoir fourni des révélations. Ses meurtriers, arrêtés en Suisse ou en France, peuvent raconter beaucoup de choses. Des milliers de volontaires révolutionnaires en Espagne vont répandre la vérité à travers le monde entier au sujet des bourreaux de la révolution. Les prolétaires qui réfléchissent se posent la question : « Quel est le but de tout cela ? Quel objectif cette chaîne sans fin de crimes peut-elle servir ? « Et la réponse se fraye un chemin à coups de marteau dans leur esprit. Staline prépare son « couronnement » sur les ruines de la révolution et les cadavres des révolutionnaires.
Pour le mouvement ouvrier, le couronnement bonapartiste doit coïncider avec sa mort politique. Il faut unir les efforts de tous les révolutionnaires, tous les travailleurs honnêtes, les véritables amis du prolétariat pour purger les rangs du mouvement d’émancipation de l’horrible contagion du stalinisme. Pour cela, il n’y a qu’un moyen : dévoiler la vérité aux travailleurs, sans exagération mais aussi sans enjolivures. Le programme d’action découle ainsi automatiquement de la situation elle-même.
Nous devons établir définitivement et rendre publique la liste des noms des représentants nationaux qui ont participé au récent plenum à Paris parce qu’ils sont personnellement et directement responsables de l’organisation des falsifications, des enlèvements et des meurtres commis dans leurs pays respectifs.
Nous devons suivre attentivement la presse stalinienne ainsi que toutes les activités « littéraires » des amis avoués ou secrets de la Guépéou dans la mesure où l’étude de l’opium qu’elle répand permet souvent de prévoir les nouveaux crimes que prépare Staline.
Il faut instituer à l’intérieur de tous les syndicats un régime de défiance rigoureuse envers tout individu directement ou indirectement lié à l’appareil stalinien. De la part des agents du Komintern qui sont les instruments sans volonté de la Guépéou, il ne faut attendre que toutes sortes de perfidies envers les révolutionnaires.
Nous devons infatigablement rassembler du matériel imprimé, des documents, des témoignages au sujet du travail criminel des agents de la Guépéou-Komintern. Nous devons publier périodiquement dans la presse les conclusions rigoureusement fondées que nous retirons de ces documents.
Il faut ouvrir les yeux de l’opinion publique sur le fait que la propagande doucereuse et mensongère de philosophes, moralistes, esthètes, artistes, pacifistes et « leaders » ouvriers en faveur du Kremlin sous le couvert de la « défense » de l’URSS est libéralement rémunérée en or de Moscou. Ces messieurs doivent être couverts d’infamie comme ils l’ont si bien mérité.
Le mouvement ouvrier n’avait encore jamais eu dans ses rangs d’ennemi aussi vicieux, dangereux, puissant et peu scrupuleux que la clique stalinienne et son agence internationale. La négligence dans la lutte contre ces ennemis équivaudrait à une trahison. Seuls les bavards et les dilettantes peuvent se contenter de pathétiques clameurs d’indignation, mais pas les révolutionnaires sérieux. Il faut un plan et une organisation. Il est urgent de créer des commissions spéciales chargées de dépister les manœuvres, les intrigues et les crimes des staliniens, de prévenir les organisations ouvrières du danger qui les menace et d’élaborer les meilleures méthodes pour parer et résister aux coups des gangsters de Moscou.
Il faut publier une littérature appropriée et récolter des fonds pour cette publication. Dans chaque pays, un livre devrait être publié qui mettrait à nu tous les rouages de la section nationale du Komintern.
Nous n’avons ni appareil d’Etat, ni amis appointés. Nous laçons pourtant avec confiance un défi à Staline devant l’humanité entière. Nous ne resterons pas les mains inoccupées. Certains parmi nous peuvent encore tomber dans ce combat. Mais l’issue générale est prédéterminée. Le stalinisme sera abattu, détruit et couvert à jamais d’infamie. La classe ouvrière mondiale marchera sur la grande route, à l’air libre.
Léon Trotsky
Le témoignage d’ Esteban Volkov, petit fils de Léon Trotsky
Il est nécessaire de rétablir la vérité historique, dans cet océan de confusion, de falsification et d’altération dont sont responsables les oppresseurs et les exploiteurs de la planète, qui veulent maintenir le statu quo.
Je ne suis pas un expert en religions, mais je pense qu’elles contiennent une grande vérité : l’existence de l’enfer. Elles commettent seulement une petite erreur concernant son emplacement. Il n’est pas sous terre – mais ici même, à sa surface, sous la domination de la propriété privée des moyens de production et du Capital. Les trois quarts de l’humanité, et peut-être davantage, vivent dans cet enfer. Tous les progrès technologiques et scientifiques sont utilisés pour accroître l’exploitation des travailleurs et le pillage des ressources naturelles. On impose aux hommes de choisir entre mourir de faim et mourir sous le feu de « bombes intelligentes ».
Une grande question nous vient à l’esprit : l’accomplissement de la grande révolution d’octobre 1917 valait-il la peine ? Car cette révolution a fini par être détruite par le stalinisme, lequel a causé la mort de dizaines de millions d’individus et a anéanti la grande majorité des mouvements révolutionnaires, aidant ainsi le capitalisme à se survivre dans sa phase la plus destructive et parasitaire.
La réponse est claire, et n’admet pas de doute. Pour sortir l’humanité de l’enfer du capitalisme et du totalitarisme bureaucratique ; pour commencer à bâtir une nouvelle civilisation, dans laquelle les hommes ne seront plus traités comme des marchandises – pour cela, aucun sacrifice n’est trop grand.
Il me vient à l’esprit ces phrases que Léon Trotsky a prononcées aux camarades américains, en 1938 : « Il n’est pas de tâche plus grandiose, sur terre, que la notre. Aussi, notre parti exige de nous que nous nous donnions entièrement à lui. Mais en retour, il nous donne la plus haute des satisfactions : la conscience de participer à l’édification d’un avenir meilleur, de porter sur nos épaules une parcelle des espoirs de l’humanité, et de ne pas vivre en vain notre existence. »
La vie du révolutionnaire Trotsky est une confirmation de ces paroles. Une vie intégralement dédiée à la révolution, et qui s’est éteinte sur le champ de bataille révolutionnaire.
Plus que personne, Trotsky comprenait le rôle de la bureaucratie stalinienne comme frein à la révolution. Dans la dernière partie de sa vie, qu’il considérait comme la plus importante, il s’est fixé l’objectif de rassembler une nouvelle avant-garde révolutionnaire, tout en continuant de combattre et de démasquer le régime bureaucratique de Staline. Du fait du courage que Trotsky y mettait, cette lutte faisait trembler le tyran du Kremlin. En conséquence, l’assassinat de Trotsky est devenu un objectif majeur de Staline. Il consacrait à cette fin toutes les ressources économiques et humaines à sa disposition, et y est finalement parvenu le 20 août 1940. Aujourd’hui, Staline et ses complices occupent enfin la place qui leur revient – la poubelle de l’histoire, dans la galerie des horreurs aux côtés de Néron et Caligula.
Celui qui vous parle, Sieva Volkov, est l’ultime survivant, le seul témoin qui reste du dernier chapitre de la vie de Léon Trotsky, à Mexico.
Je suis arrivé au Mexique, en août 1939, avec les Rosmer, qui étaient proches de Trotsky et Natalia [la femme de Trotsky]. Je venais de Paris, où j’avais vécu avec Jeanne, la veuve de Léon Sédov [fils de Trotsky, assassiné par des agents staliniens à Paris]. C’était pour moi un grand changement : la vie à Paris avec Jeanne était très difficile à cause de la peine que lui causait la mort de son mari. J’avais 13 ans lorsque j’arrivais à la maison, au 19 rue de Vienne, à Coyoacan (Mexico). Je m’en souviens comme d’une communauté, une grande famille. Une petite avant-garde du socialisme, où régnait une ambiance de travail, de solidarité, d’humanité… Maintenant, je me figure la maison comme la caserne d’une lutte politique. Natalia et Trotsky étaient entourés d’un groupe de jeunes camarades de différentes nationalités, surtout américains, et tous volontaires. Ils participaient à l’activité de la maison, comme gardes, secrétaires, etc.
Il y avait toujours, dans la maison, une grande activité. Trotsky était très actif et très vivant. Il savait parfaitement que ses jours étaient comptés et voulait accomplir le plus de travail possible pendant ce peu de temps qui lui restait. Il ne négligeait jamais l’éducation politique des camarades, et il y avait fréquemment, le soir ou l’après-midi, des réunions dans son bureau, où éclatait parfois une polémique…
L’une des qualités les plus remarquables de Trotsky était son merveilleux sens de l’humour. De même, il s’intéressait vivement aux camarades, et était très chaleureux. Mais, en même temps, il était très strict vis-à-vis des règles. Il est arrivé une fois que Sheldon Harte, un jeune garde, oublie de fermer la porte principale de la maison. De façon prémonitoire, Trotsky déclara que ces erreurs étaient impardonnables et que Sheldon pourrait en être la première victime.
Une autre caractéristique remarquable de Trotsky, c’était sa grande admiration pour le travail des gens. Il n’admettait pas les privilèges et les distinctions. Je me souviens que lorsque la fosse septique de la maison s’est bouchée, Trotsky a lui-même pris une pioche et commencé à dégager les déchets.
Je me souviens aussi de ce qu’il a dit à André Malraux qui, pour le troubler, lui avait demandé quels étaient ses sentiments vis-à-vis de la mort. Très calmement, Trotsky a répondu que la mort n’était pas un problème dès lors qu’on avait le sentiment d’avoir accompli sa mission dans la vie.
La maison vivait d’une intense activité. Elle tombait à moitié en ruine et nécessitait de nombreuses rénovations. Mequiades, un camarade mexicain, a fabriqué des cages à poulets et des cabanes pour les lapins. Alex Buckman, qui était un photographe professionnel et un expert en électricité, a installé le système d’alarme. La meilleure collection de photos de Trotsky, et la dernière, a été réalisée par Alex Buckman, qui est mort récemment.
Les différentes descriptions qui ont été réalisées de la maison de Coyoacan comportent de nombreuses erreurs et falsifications. A l’origine, la maison n’avait rien d’une forteresse. Il y avait des murs d’une certaine hauteur ; à l’intérieur, des fils étaient installés, et lorsqu’ils se brisaient, l’alarme se déclenchait.
A Mexico, la presse stalinienne attaquait et calomniait constamment Trotsky. Des milliers de roubles étaient envoyés de Moscou et généreusement distribués aux journalistes corrompus. Au début de l’année 1940, le nombre d’attaques et de calomnies s’est mis à augmenter. Ce que Trotsky commentait ainsi : « Il semble que ces journalistes ne vont pas tarder à troquer leur stylo contre une mitrailleuse ». Le 24 mai, un groupe de terroristes dirigés par le peintre Alvaro Siqueiros s’est introduit dans la maison et en a pris le contrôle. Un groupe a pris position derrière un arbre situé en face des gardes. Ils tiraient de telles rafales que les gardes ne pouvaient pas bouger. Un autre groupe est parti à la recherche de Natalia et Trotsky. Ils ont tiré de trois positions différentes, dans le noir, avec une mitraillette Thompson. L’un des terroristes est entré dans la chambre où je dormais et a fait feu. Trotsky s’en est miraculeusement sorti. C’est en partie grâce à la réaction rapide de Natalia, qui l’a poussé sous une table et l’a protégé de son propre corps. Trotsky, qui prenait des somnifères, était endormi. Il croyait dans un premier temps qu’il s’agissait d’une de ces fêtes religieuses mexicaines où l’on tire des coups de feu ! Mais l’odeur de la poudre et la proximité de l’attaque n’ont pas tardé à le rendre conscient de ce qui se passait.
Lorsque les terroristes sont partis, je me souviens qu’on a immédiatement entendu la voix de Trotsky. Il tirait sur l’ombre qui fuyait le long du canal situé tout près de la maison. Quelques instants plus tard, tous les membres de la famille, tous les habitants de la maison se sont réunis. Le fait d’avoir échappé à cet attentat mettait Trotsky dans un état de véritable euphorie. Je me souviens aussi que lorsque le téléphone a sonné, Trotsky l’a décroché et s’est immédiatement mis à injurier son interlocuteur. Il pensait évidemment que c’était ses assaillants qui cherchaient à s’informer. Il y avait un fait, cependant, qui assombrissait l’ambiance : Sheldon Harte avait été kidnappé par les terroristes. [1]
Après cette attaque, on a modifié certaines choses dans la maison, et ce grâce à l’aide de la section américaine de l’Internationale. On a installé une porte métallique, de nouvelles fenêtres et des tours pour les gardes. Trotsky était un peu sceptique quant à l’utilité réelle de tout ce travail. Il était persuadé que la prochaine attaque ne serait pas du même genre. Et il avait raison. Personne n’aurait pu imaginer que Jackson, qui était le compagnon de Sylvia Ageloff, et qui ne s’intéressait pas à la politique – un homme d’affaire généreux, qui sympathisait avec les gardes, etc. – était en réalité un agent du GPU [la police secrète de Staline]. Finalement, c’est lui qui est parvenu à accomplir la volonté de Staline.
Le 20 août, je revenais de l’école par la rue de Vienne, une rue assez longue, et lorsque j’arrivais à trois intersections de la maison, je remarquai que quelque chose se passait. Je me suis mis à courir ; j’étais angoissé. Plusieurs officiers de police se tenaient devant la porte, qui était ouverte. Une voiture était là, mal garée. En entrant, j’aperçus Harold Robbins, l’un des gardes, qui tenait un revolver et était très agité. Je lui demandai : « Que se passe-t-il ? ». Il me répondit : « Jackson, Jackson… ». Je ne compris pas, tout d’abord, et continuais à marcher. Je vis alors un homme, tenu par deux policiers, dont le visage ruisselait de sang, et qui criait, pleurait… C’était Jackson. Cette image me rappelle le comportement des soi-disant « héros » staliniens, et puis je pense aux militants de l’Opposition qui se sont battus et qui sont tombés sous les balles du GPU en criant « Vive Lénine et Trotsky ! » et en chantant l’Internationale.
En entrant dans la maison, je réalisais ce qui venait de se passer. Natalia et les gardes étaient là. Je me souviens de ce détail : même à cet instant, malgré son état, Trotsky refusa que son petit-fils assiste à la scène. Cela montre la grande qualité humaine de cet homme. De même, il eut la présence d’esprit de recommander de ne pas tuer Jackson, qui était plus utile vivant. Mais les gardes ont tout de même frappé Jackson, et Hansen s’y est cassé le poigné.
Je voudrais finir en citant les derniers mots du testament de Trotsky : « La vie est belle. Que les générations futures la nettoient de tout mal, de toute oppression, de toute violence, et en jouissent pleinement. »
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