La presqu'île de Hel, dans la baie de Gdansk, aux bords de la mer Baltique, est une bande de terre de 33 kilomètres de long et de 300 mètres de large. Cette destination touristique, qui a tout d'un petit coin de paradis, est parmi les plus prisées de Pologne. Les vastes plages de sable fin y offrent un paysage singulier, séparé de la route pard'élégantes dunes et de denses forêts de pins, classées patrimoine naturel.
A l'heure où le gouvernement ultraconservateur polonais porte un coup de grâce à l'indépendance du système judiciaire polonais et se retrouve plus isolé que jamais en Europe, les multiples atteintes à l'Etat de droit et les imbroglios institutionnels paraissent, vu des plages de Hel, bien lointains. Ici, les enfants débordent de joie. Dans la foule, on reconnaît les filles et les fils des familles modestes au fait qu'ils sont encore plus gais que les autres, euphoriques de voir la mer pour la première fois de leur vie.
Anna et Stefan Juszczak sont venus de la région de Lodz, à 400 km de là. Pendant que leurs enfants de 17, 14 et 9 ans se défoulent dans l'eau, eux profitent du soleil. -Stefan est charpentier, Anna est caissière dans une épicerie. Ils -gagnent à eux deux 4 000 zlotys par mois (1 000 euros), soit deux salaires minimum.
Etant en dessous du seuil de pauvreté, ils touchent 1 500 zlotys par mois dans le cadre du programme 500 +. Il s'agit d'une politique de prestations sociales mise en place en 2016 par le gouvernement du PiS (Droit et justice). Conçue à l'origine comme une mesure nataliste, cette allocation familiale subventionne les familles à hauteur de 500 zlotys (125 euros) par mois et par enfant, à partir du deuxième enfant, où à partir du premier pour les ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté (150 euros par mois et par personne). Une révolution, dans un pays où la politique -sociale était quasi inexistante. C'était une promesse de campagne de Jaroslaw Kaczynski, l'homme fort du pays et l'une des principales raisons de la popularité du gouvernement.
" C'est quasiment un salaire supplémentaire par mois, souligne Anna Juszczak.
C'est sûr que ça nous a allégé la vie ! " C'est la première fois qu'ils ont l'occasion d'emmener leurs enfants en vacances.
" Avant, nous ne partions pas, nous restions à la maison pendant nos congés. Avec mon mari, nous sommes partis en vacances pour la dernière fois il y a quinze ans. "Pour leur séjour de dix jours, leur budget est serré : 950 euros pour cinq, transport et logement compris.
" En 2019, nous irons voter "
" Nous avons plus d'argent pour nous faire plaisir,
emmener les enfants au cinéma, leur acheter des habits de marque ", ajoute Anna Juszczak. Avant, ils consommaient tant bien que mal à crédit. Aujourd'hui, ils paient comptant.
" Nouvelle télévision, nouvelle machine à laver… Nous en avions besoin. Nous avons pu aussi pour la première fois leur -offrir un voyage scolaire. "
Anna et Stefan Juszczak n'ont pas voté aux dernières législatives qui ont porté le parti populiste au pouvoir. Ils ne se sont jamais intéressés à la politique, car la politique ne s'est jamais vraiment intéressée à eux.
" En 2019, nous irons voter, je pense. Ce qui est certain, c'est que celui qui voudra toucher au programme 500 + ne sera pas élu ", affirme Anna Juszczak.
Le gouvernement affirme que la quasi-totalité des 25 milliards de zlotys que coûte le programme 500 + (7 % du budget de l'Etat) provient de la lutte contre la fraude fiscale. Une réalité difficile à vérifier, car depuis l'arrivée du PiS au pouvoir, les finances publiques n'ont jamais été aussi peu transparentes. Mais l'idée de la " politique Robin des bois " s'ancre doucement dans les esprits.
Un peu plus loin, Lukasz et Justyna Zakrzewski regardent leur fille de 9 ans et leur garçon de 5 ans jouer. Lui est mineur, comme l'a été son père, elle esthéticienne. Ils gagnent à eux deux 6 500 zlotys par mois, soit environ deux salaires moyens. Ils viennent de Bytom à 600 km de là, et sont aussi à la mer pour la première fois.
" Tous les ans, nous partions à la montagne, à 100 km de chez nous, parce que c'était moins cher ", indique Lukasz Zakrzewski. Grâce aux 500 zlotys supplémentaires par mois, leurs enfants profitent avant tout d'activités extrascolaires.
" Vous savez, moi, la politique ne m'intéresse pas, mais ce programme aurait dû être introduit trente ans plus tôt, affirme Lukasz Zakrzewski.
Ça existe partout ailleurs, en Allemagne, en Grande-Bretagne, dans les pays nordiques. Pourquoi pas chez nous ? Mon père nous a élevés en touchant 50 zlotys par mois de l'Etat comme prestation familiale. C'était ça, la Pologne ! Un pays où on ne pouvait compter que sur soi-même. "
Pawel et Aneta Bankowski n'ont jamais vraiment eu à se plaindre. Vivant et travaillant en banlieue de Varsovie, ils gagnent à eux deux 8 000 zlotys par mois, ce qui les situe dans la classe moyenne supérieure. Avec trois enfants, ils touchent 1 000 zlotys supplémentaires par mois.
" C'est de l'argent dont nous n'avions pas fondamentalement besoin, souligne Pawel Bankowski.
Mais puisqu'il est là, nous épargnons pour l'avenir de nos enfants, leurs études. Nous leur offrons aussi des activités qui stimulent leur développement. " Leur garçon de 7 ans suit des cours -extrascolaires de programmation informatique, et leur fils de 5 ans des cours de robotique.
" Tout ce programme est évidemment très positif. Les gens consomment, l'économie tourne, affirme Pawel Bankowski.
Mais il mériterait d'être corrigé et rationalisé. Ma sœur, qui élève seule son unique enfant, et peine à joindre les deux bouts, n'y a pas le droit, contrairement aux familles nombreuses aisées. " Si les experts soulignent les imperfections du programme – ou craignent pour la stabilité des finances publiques à terme –, des études affirment que le nombre d'enfants vivant dans des conditions de pauvreté extrême a baissé de 94 % en deux ans.
Paradoxalement, l'économie touristique à Hel tire un bilan mitigé de ces deux années.
" Nous voyons clairement un effet 500 +, mais pas nécessairement de manière positive, affirme le propriétaire d'un restaurant réputé à Hel, qui souhaite rester anonyme.
-Notre clientèle relativement aisée a désormais les moyens de partir à l'étranger, et les nouveaux venus sont une clientèle à bas coût, qui tire les prix vers le bas. " Un phénomène qui témoigne d'une certaine promotion sociale, appelée par le pouvoir conservateur la
" redistribution de la dignité ". Un argument électoral de poids.
Jakub Iwaniuk
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