mardi 1 mai 2018

Sous les pavés, la dette


1er mai 2018

Sous les pavés, la dette

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En ce printemps 2018, -certains ont rêvé d'une convergence des luttes. Mais, alors que le joli mois de mai pointe son nez, force est de constater que l'heure est à la divergence des causes. Le malaise est bien là, mais, en lieu et place d'une bataille rangée, on assiste surtout à des escarmouches corporatistes et à des éclats de militantisme sans lendemain.
Les pilotes d'Air France, à force de voler à 10 000 pieds, ont définitivement perdu le sens des réalités, à commencer par celles des autres salariés de la compagnie. Ceux-ci ont jusqu'au 4  mai pour le leur signifier grâce à la consultation organisée par la direction. Les activistes-étudiants de Tolbiac sont obligés de s'inventer des martyrs, faute d'avoir su mobiliser autour d'une cause à la hauteur des problèmes – réels – de l'Université. Les syndicats de cheminots ont bien du mal à convaincre l'opinion que la loi sur la réforme de la SNCF, une fois adoptée au Parlement, sera nulle et non avenue. A Notre-Dame-des-Landes, les ânesses zadistes, Orphée, Pilou et Murette sont prêtes à rentrer à l'écurie, alors que leurs propriétaires surmontent leurs réticences à consentir à l'impôt et à respecter le droit.
Quant aux partenaires sociaux, leurs cris d'orfraie face aux coups de boutoir du gouvernement ont toutes les peines du monde à faire oublier les dysfonctionnements patents du système de cogestion de l'assurance-chômage et de la formation professionnelle.
Bref, la " coagulation " sociale n'est pas pour tout de suite. En revanche, ce qui est en train de coaguler de façon plus certaine, c'est l'endettement de la France. Le sujet fait moins parler, mais il n'en est pas moins crucial. Pourtant, curieusement, à ce stade, il s'agit de la grande impasse de la fièvre réformiste de l'ère Macron.
Les dépenses en hausse de 2,5 %Certes, des perspectives ont été fixées. Il y a quelques jours, le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, et celui de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, nous ont promis, la main sur le cœur, que la France afficherait un excédent budgétaire en  2022 et une dette publique réduite de 8 points par rapport au début du quinquennat. Cette euphorie s'explique sans doute par la divine surprise des chiffres de 2017. Alors qu'on attendait un déficit de 2,9 %, celui-ci s'est établi à 2,6 %, permettant ainsi de s'attirer les bonnes grâces de Bruxelles. La France est enfin dans les clous des critères de Maastricht et n'est plus considérée en situation de " déséquilibre excessif ".
Encourageant, mais pas suffisant pour nous éclairer sur la façon dont nous allons parvenir à un excédent budgétaire dans cinq ans. Un exploit qui, rappelons-le, ne s'est plus produit depuis 1974, année où un certain Raymond Barre avait commencé à faire parler de lui en signant un article dans La Vie française intitulé " Les candidats n'osent pas en parler : l'austérité ". Les années passent, mais 2 300 milliards d'euros de dettes plus tard (soit l'équivalent de notre PIB) et un déficit budgétaire de 67,8 milliards, le courage politique laisse toujours à désirer. Car, en réalité, " l'exploit " de 2017 ne doit pas grand-chose à l'habileté du gouvernement, mais tient surtout à une conjoncture accommodante.
Les dépenses n'ont pas baissé. Bien au contraire : elles sont en hausse de 2,5 %. En revanche, les recettes ont progressé plus vite, de 4 %, grâce un rythme de croissance économique plus soutenu.
Cet effet en trompe-l'œil nous a valu un remake du fameux épisode de " la cagnotte ", qui avait déjà connu un certain succès sous Lionel Jospin. On rappelle le synopsis : l'Etat est assis sur un trésor caché, qu'il faut dépenser pour satisfaire toutes sortes de revendications. Il y a quelques semaines, Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, a évoqué une " bonne fortune " des finances publiques. Cette manne tombée du ciel pourrait être utilisée pour les Ehpad et les territoires fragilisés par la désindustrialisation, a-t-il suggéré. Personne ne conteste la légitimité de l'affectation des fonds, sauf que cette " bonne fortune " reste assez virtuelle : grâce à la croissance, la France n'est pas plus riche, elle a juste besoin de s'endetter un peu moins.
Entre les baisses d'impôts (8  milliards d'euros pour la suppression de la taxe d'habitation, 10  milliards au titre de la diminution de l'impôt sur les sociétés, 3  milliards consacrés à la suppression des cotisations sociales sur les heures supplémentaires…) et les nouvelles dépenses (plan d'investissement de 56  milliards, hausse de 1,7  milliard du budget militaire annuel, sans compter le financement de l'hôpital, le plan banlieue et la reprise partielle de la dette de la SNCF…), on a une idée à peu près claire de ce qui va sortir et de ce qui ne va pas rentrer dans les caisses de l'État.
En revanche, côté réduction des dépenses, on est impatient de connaître la recette. Le gouvernement a promis qu'il réaliserait 3 points de PIB d'économies, soit 60 à 70 milliards d'euros. Mais où les trouvera-t-il ? Retraites, santé, éducation, sécurité ? Pas très populaire. Le coup de rabot dans les administrations que s'apprête à donner le plan " Action publique 2022 " ? Pas suffisant. Seule certitude : la croissance ne sera pas toujours là pour faire illusion. Le net ralentissement observé au premier trimestre n'est qu'un avertissement. " On va doucement glisser vers le rythme de croissance potentielle, que le Trésor situe autour de 1,25 %, prévoit Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis. Dans ce contexte, d'après nos calculs, sans réduction des dépenses, le déficit français s'établirait à 4,5 % du PIB en  2021. La question du bouclage économique des dépenses publiques est un vrai sujet. "
Le gouvernement n'a que deux solutions. Soit réduire les dépenses en volume (ce qu'aucun gouvernement n'a osé). Soit augmenter les prélèvements (déjà à un niveau proche de l'insupportable). Un choix cornélien face à une opinion déjà passablement à cran. La coagulation des luttes n'a peut-être pas dit son dernier mot.
par Stéphane Lauer
© Le Monde

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