NOAM CHOMSKY - Sur le contrôle de nos vies

NOAM CHOMSKY
Sur le contrôle de nos vies
Sur le contrôle de nos vies
Cette conférence a été prononcée à Alburquerque, au Nouveau-Mexique, le 26 février 2000, à l’occasion du vingtième anniversaire de l’Interhemispheric Resource Cerner (Centre de documentation intercontinental)
Résumé :
(Sur la faillite de nos démocraties, la fin de la souveraineté des peuples, l'oligarchie politique, l'oligopole des multinationales contraire au commerce, la dette imaginaire subie...)
(Sur la faillite de nos démocraties, la fin de la souveraineté des peuples, l'oligarchie politique, l'oligopole des multinationales contraire au commerce, la dette imaginaire subie...)
Extraits :
ON PEUT sans exagération affirmer que la tentative pour prendre le contrôle de nos propres vies est un trait essentiel de l’histoire du monde, qui a connu un crescendo au cours des derniers siècles, marqués par des changements spectaculaires tant dans les relations humaines que dans l’ordre mondial. (…) Je me cantonnerai également au domaine de la politique internationale, qui est loin d’être le seul où ces questions se posent.
Durant l’année qui vient de s’écouler, les problèmes mondiaux se sont pour la plupart articulés autour de la notion de souveraineté, c’est-à-dire le droit des entités politiques à suivre leur propre voie, bonne ou mauvaise, et à le faire sans ingérence de l’extérieur. Dans la réalité, il y a bien ingérence et elle est le fait d’un pouvoir extrêmement concentré, dont le centre principal se trouve aux États-Unis. Ce pouvoir mondial concentré prend différents noms, selon qu’on songe à tel ou tel aspect de la souveraineté et de la liberté. C’est ainsi qu’on l’appelle parfois consensus de Washington, complexe de Wall Street et du Trésor, OTAN, ou bureaucratie économique internationale (l’Organisation mondiale du Commerce, la Banque mondiale et le FMI), ou G-7 (les pays occidentaux riches et industrialisés), ou G-3, ou en général, et de façon plus appropriée, G-1. Pour aller au fond des choses, certes de façon moins concise, nous pourrions le décrire comme un ensemble de sociétés géantes [megacorporations[1]], souvent liées les unes aux autres par des accords stratégiques, administrant une économie mondiale qui est, en fait, une forme de mercantilisme régi par des sociétés qui tendent vers l’oligopole dans la plupart des secteurs, et ont largement recours à l’État lorsqu’il s’agit de faire supporter à la société les risques et les coûts ou de mettre au pas les éléments récalcitrants.
(…) nous sommes là dans un monde dominé par les multinationales, en particulier, ces dernières années, les institutions financières et toute la structure
mise en place pour servir leurs intérêts ;
mise en place pour servir leurs intérêts ;
(…)
D’abord une remarque d’ordre général ; la souveraineté n’est pas une valeur en soi. Ce n’est une valeur que dans la mesure où elle a partie liée avec la liberté et les droits, qu’elle les accroisse ou les diminue. Je partirai d’un principe qui peut paraître évident, mais qui est en fait controversé, à savoir que lorsque nous parlons de liberté et de droits, nous faisons référence à des êtres humains, c’est-à-dire des personnes en chair et en os, et non à des constructions politiques et légales comme des entreprises, des États ou des montages de capitaux. Si de telles entités ont quelques droits que ce soit, ce qui ne va pas de soi, ceux-ci devraient être dérivés du droit des gens. C’est le cœur de la doctrine progressiste classique. C’est aussi le principe qui a guidé les luttes populaires depuis des siècles, mais il se heurte à une très forte opposition. S’y oppose la doctrine officielle. S’y opposent ceux qui possèdent la richesse et les privilèges, et cela aussi bien dans le domaine politique que dans le domaine socio-économique. (…)
Dans le domaine politique, le slogan classique est “souveraineté populaire dans un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple”, mais la structure en place est bien différente. Selon la structure en place, le peuple est considéré comme un ennemi dangereux. Il doit être contrôlé pour son propre bien. Ce qui nous ramène des siècles en arrière, aux premières révolutions démocratiques modernes, dans l’Angleterre du XVIIe siècle et dans les colonies nord-américaines au siècle suivant. Dans les deux cas, les démocrates furent vaincus – pas complètement et certainement pas pour toujours, loin de là. Dans l’Angleterre du XVIIe siècle, une grande partie de la population ne voulait être gouvernée ni par un roi ni par un parlement. Ces deux-là sont, dans la version traditionnelle de la guerre civile, les deux adversaires ; mais, comme dans la plupart des guerres civiles, une bonne partie de la population les rejetait l’un comme l’autre. Ainsi que le montrent les pamphlets de l’époque, le peuple voulait être gouverné “par des gens de la campagne comme nous, qui connaissent nos aspirations” et non par “des chevaliers et des gentlemen qui nous font des lois, qui sont choisis par peur et ne font que nous opprimer, et ne connaissent rien des misères du peuple[2]”.
D’abord une remarque d’ordre général ; la souveraineté n’est pas une valeur en soi. Ce n’est une valeur que dans la mesure où elle a partie liée avec la liberté et les droits, qu’elle les accroisse ou les diminue. Je partirai d’un principe qui peut paraître évident, mais qui est en fait controversé, à savoir que lorsque nous parlons de liberté et de droits, nous faisons référence à des êtres humains, c’est-à-dire des personnes en chair et en os, et non à des constructions politiques et légales comme des entreprises, des États ou des montages de capitaux. Si de telles entités ont quelques droits que ce soit, ce qui ne va pas de soi, ceux-ci devraient être dérivés du droit des gens. C’est le cœur de la doctrine progressiste classique. C’est aussi le principe qui a guidé les luttes populaires depuis des siècles, mais il se heurte à une très forte opposition. S’y oppose la doctrine officielle. S’y opposent ceux qui possèdent la richesse et les privilèges, et cela aussi bien dans le domaine politique que dans le domaine socio-économique. (…)
Dans le domaine politique, le slogan classique est “souveraineté populaire dans un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple”, mais la structure en place est bien différente. Selon la structure en place, le peuple est considéré comme un ennemi dangereux. Il doit être contrôlé pour son propre bien. Ce qui nous ramène des siècles en arrière, aux premières révolutions démocratiques modernes, dans l’Angleterre du XVIIe siècle et dans les colonies nord-américaines au siècle suivant. Dans les deux cas, les démocrates furent vaincus – pas complètement et certainement pas pour toujours, loin de là. Dans l’Angleterre du XVIIe siècle, une grande partie de la population ne voulait être gouvernée ni par un roi ni par un parlement. Ces deux-là sont, dans la version traditionnelle de la guerre civile, les deux adversaires ; mais, comme dans la plupart des guerres civiles, une bonne partie de la population les rejetait l’un comme l’autre. Ainsi que le montrent les pamphlets de l’époque, le peuple voulait être gouverné “par des gens de la campagne comme nous, qui connaissent nos aspirations” et non par “des chevaliers et des gentlemen qui nous font des lois, qui sont choisis par peur et ne font que nous opprimer, et ne connaissent rien des misères du peuple[2]”.
Ce sont ces mêmes idées qui animaient les fermiers rebelles des colonies un siècle plus tard, mais le système constitutionnel qui résulta de leur révolte fut conçu dans une optique toute différente. Il fut conçu pour stopper cette hérésie. Le but était “de protéger la minorité des nantis de la majorité” et de s’assurer que “le pays serait gouverné par ceux qui le possèdent”. Ce sont les propres mots du principal rédacteur de la constitution, James Madison, et du président du Congrès continental et premier magistrat de la Cour suprême, John Jay. Leur conception prévalut, mais les conflits perdurèrent. Ils ne cessent de prendre de nouvelles formes, ils sont encore vivants aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, la doctrine de l’élite demeure, dans ses principes, inchangée[3].
Sautons les étapes pour arriver au vingtième siècle (je ne retiendrai ici que le côté prétendument démocrate ou progressiste de l’échiquier politique – c’est plus rude sur l’autre versant). Aujourd’hui les peuples sont considérés comme “des étrangers au système, ignorants et importuns”, dont le rôle est celui de “spectateurs” et non de “participants”, hormis en de périodiques occasions où ils ont le droit de choisir parmi les représentants du pouvoir privé[4]. C’est ce qu’on appelle les élections. Au cours des élections, l’opinion publique est considérée comme essentiellement négligeable si elle entre en conflit avec les exigences de la minorité des nantis qui possèdent le pays. Nous en avons en ce moment même, très concrètement, l’illustration sous les yeux.
Un exemple frappant (il n’en manque pas) peut être trouvé dans l’ordre économique international – je veux parler de ce qu’on appelle les accords commerciaux. La population, comme le prouvent très clairement les scrutins, est fortement opposée, dans l’ensemble, au cours que prennent les choses, mais cette opposition ne parvient pas à se traduire dans les faits. Les élections n’offrent pas d’issue car les centres de décision – la minorité des nantis – se rejoignent pour instituer une forme particulière d’ordre socio-économique. Ce qui empêche le problème de trouver son expression. Les choses dont on discute ne touchent les électeurs que de loin : questions de personnes ou de réformes dont ils savent qu’elles ne seront pas appliquées. Voilà ce dont on discute, non ce qui intéresse les gens. Cas d’école, et qui vient renforcer notre hypothèse que le rôle de ce public d’étrangers au système, ignorants et importuns, est d’être de simples spectateurs. Quand le peuple, comme il lui arrive souvent, cherche à s’organiser et à investir l’arène politique, pour jouer un rôle et défendre ses propres intérêts, alors il y a problème. Ce n’est pas la démocratie, c’est une “crise de la démocratie”, qui doit être surmontée.
(…)
Tout ceci a son pendant dans le domaine socio-économique. Celui-ci a été agité de conflits parallèles, étroitement liés aux premiers depuis bien longtemps. À l’aube de la révolution économique aux États-Unis, il y a cent cinquante ans, il existait en Nouvelle-Angleterre une presse ouvrière indépendante très active dirigée par des jeunes femmes des fermes ou, en ville, par des artisans. Ils stigmatisaient la “dégradation et la soumission” induites par le système industriel naissant, qui obligeait les gens à se louer pour survivre. Il est aussi nécessaire que, peut-être, difficile, d’imaginer que le travail salarié n’était alors pas loin d’être considéré comme une véritable forme d’esclavage, non seulement par les travailleurs des fabriques, mais par une grande partie de l’opinion commune – voir Abraham Lincoln, le Parti Républicain, ou même certains éditoriaux du New York Times (qu’ils préféreraient peut-être oublier aujourd’hui). Les travailleurs s’opposaient au retour dans le système industriel de ce qu’ils appelaient des “principes monarchiques”, et arguaient que ceux qui travaillaient dans les manufactures devraient en être les propriétaires – l’essence même du républicanisme. Ils dénonçaient “le nouvel esprit de l’époque – la richesse au mépris de tout sauf de son propre intérêt”, une vision avilissante et dégradante de la vie humaine qu’on doit implanter dans le cerveau des gens au prix d’un immense effort, lequel ne s’est pas relâché depuis des siècles[5].
Au XXe siècle, l’industrie des relations publiques a produit une abondante littérature qui fournit une très riche et instructive réserve de recommandations sur la façon d’instiller le “nouvel esprit de l’époque”, en créant des besoins artificiels ou en (je cite) “enrégimentant l’opinion publique comme une armée enrégimente ses soldats”, en suscitant une “philosophie de la futilité” et de l’inanité de l’existence, ou encore en concentrant l’attention humaine sur “les choses plus superficielles qui font l’essentiel de la consommation à la mode” (Edward Bernays)[6]. Si cela réussit, alors les gens accepteront les existences dépourvues de sens et asservies qui sont leur lot, et ils oublieront cette idée subversive : prendre le contrôle de sa propre vie.
Il s’agit là d’un projet d’ingénierie sociale de grande envergure. Projet très ancien, mais qui a pris une intensité et une ampleur démesurées au cours du dernier siècle. Ses procédés sont nombreux. Certains appartiennent au genre que je viens d’indiquer, et sont trop familiers pour avoir besoin d’illustration. D’autres consistent à saper la sécurité et, là non plus, les moyens ne manquent pas. Pour saper la sécurité, on peut, par exemple, faire appel à la menace de mutation professionnelle. Une des conséquences majeures et, selon toute rationalité, l’un des buts majeurs de ce qu’on appelle à tort les “accords commerciaux” (j’insiste sur “à tort” parce que ces accords ne relèvent pas du libre-échange – ils comportent toutes sortes d’éléments qui vont à l’encontre du marché – et il ne s’agit certainement pas d’accords, du moins si l’avis des gens a quelque importance, dans la mesure où ceux-ci s’y opposent pour la plupart), une conséquence de ces arrangements, dis-je, est de renforcer la menace – qui n’a pas besoin d’être mise à exécution, même si elle l’est parfois, la menace suffit – de mutation professionnelle, bonne manière d’asseoir la discipline tout en sapant la sécurité.
Un autre mécanisme, pardonnez le jargon technique, consiste à renforcer ce qu’on appelle “la flexibilité du marché du travail”. Permettez-moi de citer la Banque mondiale qui exposa les choses très clairement. “Il est essentiel d’accroître la flexibilité du marché du travail – même si ce terme a acquis la mauvaise réputation d’être un euphémisme, synonyme de diminution des salaires et de licenciement des travailleurs” (ce qui est exactement le cas) “dans toutes les régions du monde… Les réformes les plus importantes impliquent la levée des contraintes pesant sur la mobilité du travail et la flexibilité des salaires, aussi bien que la suppression dans les contrats de travail de toute référence aux services sociaux”[7]. Ce qui signifie supprimer les avantages et les droits acquis en des générations de haute lutte.
Quand ils parlent de lever les contraintes sur la flexibilité des salaires, ils ont en vue la flexibilité vers le bas, non vers le haut. De même, la mobilité du travail ne signifie pas le droit pour les gens de déménager où ils l’entendent, comme le voulait la théorie du libre-échange depuis Adam Smith, mais plutôt le droit de licencier des employés à volonté. Et dans la version actuelle de la mondialisation, celle des investisseurs, les capitaux et les compagnies doivent être libres de se déplacer, mais non les gens, car leurs droits sont secondaires, accessoires.
Les “réformes essentielles”, ainsi que les appelle la Banque mondiale, sont imposées dans une grande partie du monde comme conditions à la ratification de la politique des pays en question par la Banque mondiale et le FMI. Elles sont introduites dans les pays industrialisés par d’autres moyens, et elles ont prouvé leur efficacité. Alan Greenspan a déclaré devant le Congrès qu’une “plus grande insécurité du travailleur” était un facteur important dans ce qu’on appelle “l’économie de contes de fées”. Elle maintient l’inflation à un bas niveau, les travailleurs n’osant pas réclamer d’augmentations et d’avantages sociaux. Ils sont en situation d’insécurité. (…) se félicitant de voir les travailleurs obligés d’abandonner leurs “modes de vie luxueux”, tandis que les profits des entreprises sont “éblouissants” et “prodigieux” ( Wall Street Journal, Business Week et Fortune).
Dans les dépendances, on peut faire usage de mesures moins délicates. L’une d’entre elles consiste en la fameuse “crise de la dette”, attribuable dans une large mesure aux programmes politiques de la Banque mondiale et du FMI dans les années 70, et au fait que les riches du tiers-monde sont, pour la plupart, dépourvus d’obligations sociales. C’est dramatiquement vrai en Amérique latine, dont c’est l’un des problèmes majeurs. Il y a bien une “crise de la dette”, mais il est nécessaire d’y regarder de près pour déterminer sa nature. Ce n’est en aucune façon un simple fait économique. C’est, en grande partie, une construction idéologique. Ce qu’on appelle la “dette” pourrait être surmonté, et largement surmonté, de nombre de façons très élémentaires[8].
Une de celles-ci consisterait à recourir au principe capitaliste selon lequel c’est aux emprunteurs de payer et aux prêteurs de prendre le risque. (…)
Voilà l’essence même de la “crise de la dette”. Ce ne sont pas les gens qui ont emprunté – les dictateurs militaires, leurs acolytes, les riches et les privilégiés de sociétés fortement autoritaires que nous avons soutenues – qui sont censés rembourser la dette, eux n’ont pas à payer. Ainsi, prenons l’Indonésie, où la dette actuelle atteint à peu près 140 % du produit intérieur brut. L’argent fut accaparé par la dictature militaire et ses complices et bénéficia probablement à peut-être deux ou trois cents personnes à l’extérieur, mais c’est à la population de payer à travers de sévères mesures d’austérité. Et les prêteurs sont pour la plupart protégés de toute mésaventure. Ils jouissent de ce qui s’apparente à une assurance tous risques grâce à différents mécanismes de socialisation des coûts, qui retombent sur les contribuables occidentaux. C’est à ça que sert, entre autres, le FMI.
De même, la vaste dette latino-américaine ne diffère pas tant que ça du montant de la fuite des capitaux hors d’Amérique latine, ce qui suggère une manière simple de traiter la dette (ou une grande partie de la dette), si d’aventure on devait respecter le principe capitaliste lequel est, bien sûr, inacceptable. Il fait reposer le fardeau sur ceux qu’il ne faut pas, la minorité des nantis.
Il existe encore d’autres façons d’éliminer la dette, bien connues, et qui révèlent à quel point celle-ci est une construction idéologique. Une de celles-ci, différente du principe capitaliste, est ce principe juridique international qui fut introduit par les États-Unis quand ils “libérèrent” Cuba, comme on dit dans les manuels d’histoire, c’est-à-dire quand ils conquirent Cuba pour l’empêcher de se libérer tout seul de la tutelle de l’Espagne en 1898. Après quoi les États-Unis annulèrent la dette de Cuba envers l’Espagne, au motif parfaitement sensé que celle-ci avait été imposée sans le consentement de la population, de façon coercitive. Ce principe pénétra alors la loi internationale, en grande partie à l’initiative des Américains. On l’appelle principe de la dette inique. Une dette inique n’est pas valide ; elle n’a pas à être payée. Il a été admis, entre autres par le directeur exécutif américain du FMI, que si ce principe s’appliquait aux victimes, et non aux seuls riches, la dette du tiers-monde serait en grande partie dissoute, parce qu’elle n’est pas valide. C’est une dette inique.
Mais ce n’est pas comme ça que cela se passe. La dette inique est une arme de contrôle très puissante et on ne saurait l’abandonner. Grâce à elle, de nos jours, la politique économique nationale d’à peu près la moitié de la population mondiale est en fait dirigée par des bureaucrates à Washington. (…)
C’est par d’autres méthodes qu’on aboutit à des résultats similaires dans les pays riches. J’y reviendrai mais, auparavant, juste un mot au sujet de ce que nous ne devrions jamais nous permettre d’oublier, à savoir que les procédés utilisés dans les dépendances peuvent être très brutaux. Il y a quelques années se tint au Salvador une conférence organisée par les jésuites, qui abordait le plan de terrorisme d’État des années 80 et sa continuation depuis, à travers les politiques socio-économiques imposées par les vainqueurs. La conférence s’attacha particulièrement à ce qu’elle appela la “culture de terreur” résiduelle, qui persiste après que la terreur effective a décliné, et a pour effet de “domestiquer les aspirations de la majorité”, qui renonce alors à toute idée d’“alternative aux demandes des puissants”. Ils ont appris la leçon : There Is No Alternative – c’est TINA, selon la formule cruelle de Maggie Thatcher. L’idée est qu’il n’y a pas d’alternative – c’est devenu le slogan classique de la mondialisation telle que l’envisagent les multinationales. Dans les dépendances, la grande victoire des opérations terroristes a consisté à détruire les espérances qui avaient surgi en Amérique latine et centrale dans les années 70, inspirées par le peuple qui commençait à s’organiser dans toute la région et “l’option préférentielle pour les pauvres” de l’Église, laquelle fut sévèrement sanctionnée pour être sortie du droit chemin.
(…)
l’administration Reagan cherchait à maintenir “l’ordre fondamental de sociétés qui n’ont rien de démocratique”, à éviter un “changement dicté par le peuple” et, comme ses prédécesseurs, adoptait “des politiques pro-démocratiques en guise de soupape aux demandes de changements plus radicaux, mais ne cherchait immanquablement que des formes de changement démocratique limitées, imposées par le haut et qui ne risquaient pas d’ébranler les structures traditionnelles du pouvoir avec lesquelles les États-Unis sont alliées depuis longtemps”. Presque exact – il serait encore plus exact de dire “les structures traditionnelles du pouvoir avec lesquelles les structures traditionnelles du pouvoir à l’intérieur des États-Unis sont alliées depuis longtemps” – et nous y sommes.
(…)
Ils voulaient que les Nicaraguayens agissent de façon autonome “sauf (c’est lui qui souligne) si cette action venait à affecter négativement les intérêts des États-Unis”[10]. Aussi, en d’autres termes, les Latino-Américains ont le droit d’être libres, libres d’agir selon nos desiderata. Nous voulons qu’ils puissent choisir leur propre destin, à condition qu’ils ne fassent pas de choix dont nous ne voulons pas, auquel cas nous devons restaurer les structures traditionnelles du pouvoir – par la violence, si nécessaire. Voilà pour le côté le plus libéral et progressiste de l’éventail politique.
Certaines voix se font entendre en dehors de l’éventail – je ne cherche pas à le nier. Par exemple, court l’idée que “les gens devraient avoir le droit de prendre part aux décisions, qui modifient souvent profondément leur mode de vie” et de ne pas voir leurs espérances “cruellement anéanties” dans un ordre mondial où “le pouvoir politique et financier est concentré”, alors que les marchés financiers “fluctuent erratiquement” avec des conséquences dévastatrices pour les pauvres, que “les élections peuvent être manipulées” et que “les effets négatifs sur autrui sont considérés comme tout à fait accessoires” par les puissants. (…)
Certaines voix se font entendre en dehors de l’éventail – je ne cherche pas à le nier. Par exemple, court l’idée que “les gens devraient avoir le droit de prendre part aux décisions, qui modifient souvent profondément leur mode de vie” et de ne pas voir leurs espérances “cruellement anéanties” dans un ordre mondial où “le pouvoir politique et financier est concentré”, alors que les marchés financiers “fluctuent erratiquement” avec des conséquences dévastatrices pour les pauvres, que “les élections peuvent être manipulées” et que “les effets négatifs sur autrui sont considérés comme tout à fait accessoires” par les puissants. (…)
Pourquoi s’accorde-t-on si largement sur le fait qu’il est impossible de permettre aux Latino-Américains, et, en fait, à tout le reste du monde, d’exercer leur souveraineté, c’est-à-dire de prendre le contrôle de leurs vies ? Nous sommes là en présence de l’équivalent au niveau mondial de la peur de la démocratie sur le plan national. (…)
La Charte demandait la fin du “nationalisme économique (c’est-à-dire de la souveraineté) sous toutes ses formes”. Les Latino-Américains devraient dorénavant éviter un développement industriel jugé “excessif”, susceptible d’entrer en compétition avec les intérêts des États-Unis ; ils pourraient toutefois accéder à “un développement complémentaire”. Ainsi le Brésil avait le droit de produire de l’acier à bas prix auquel les sociétés américaines ne s’intéressaient pas. Tout cela était indispensable “pour protéger nos ressources”, comme l’a dit George Kennan, même si cela nécessitait “des États policiers”.
(…)
Il en va de même pour Cuba, autre exemple actuellement sous nos yeux. Quand les États-Unis prirent (secrètement) la décision de renverser le gouvernement cubain en 1960, le raisonnement était très similaire. Il fut explicité par l’historien Arthur Schlesinger, qui résuma le rapport d’une mission latino-américaine dans un document secret destiné au président Kennedy nouvellement élu. À en croire cette mission, la menace cubaine consistait en “la propagation de l’idée castriste de prendre son destin entre ses propres mains”. C’est une maladie, expliquait Schlesinger, qui risquait d’infecter le reste de l’Amérique latine, où “les pauvres et les déshérités”, c’est-à-dire presque tout le monde, “stimulés par l’exemple de la révolution cubaine, demandent maintenant des perspectives de vie décente”. Il fallut donc faire quelque chose : vous connaissez la suite. Et la “Soviet connection” dans tout ça ? Le rapport l’évoque en ces termes : “Pendant ce temps, l’Union soviétique complote en coulisses, faisant miroiter de vastes prêts au développement, et se présentant comme le modèle à suivre pour réaliser la modernisation en une seule génération.”
Voilà donc la menace : qu’ils prennent leurs vies entre leurs propres mains ; et il a fallu la détruire par le terrorisme et l’étranglement économique, qui continue de nos jours. Tout cela n’a rien à voir avec la Guerre Froide, comme c’est aujourd’hui devenu évident, même sans archives secrètes. (…)
Les mêmes préoccupations sous-tendent les accords commerciaux, par exemple NAFTA (North American Free Trade Agreements). À l’époque, vous vous en souvenez, la propagande présentait la chose comme une aubaine merveilleuse pour les travailleurs des trois pays – le Canada, les États-Unis et le Mexique. Il n’en fut tout bonnement plus question peu de temps après, devant l’épreuve des faits. Et ce qui était patent depuis le début fut finalement reconnu publiquement. Il s’agissait “d’enfermer le Mexique dans les réformes” des années 80, les réformes qui avaient sévèrement réduit les salaires, et enrichi un petit secteur en même temps que les investisseurs étrangers. Les intérêts sous-jacents furent exprimés lors d’une conférence sur le développement stratégique latino-américain, en 1990. La conférence mettait en garde contre “une ‘ouverture démocratique au Mexique qui pourrait mettre à l’épreuve la relation privilégiée en amenant au pouvoir un gouvernement plus susceptible d’entrer en concurrence avec les États-Unis sur le terrain de l’économie ou plus regardant quant à son indépendance”. Vous l’aurez remarqué on retrouve la même menace qu’en 1 et par la suite, endiguée, dans ce cas précis, en enfermant le Mexique dans les obligations du traité. (…)
Revenons à ce que je vous avais demandé de laisser de côté, notre point de départ : la question controversée de la liberté et des droits, et, partant, de la souveraineté, si tant est qu’elle soit une valeur. Appartiennent-ils, ces droits et cette liberté, à des personnes en chair et en os, ou seulement à de petits îlots de richesse et de privilèges ? Ou même à des constructions abstraites comme des sociétés, des montages financiers ou des États ? Durant le siècle qui vient de s’écouler, l’idée que de telles entités ont des droits spéciaux prévalant sur ceux des personnes a été très vigoureusement défendue. Les exemples les plus marquants en sont le bolchevisme, le fascisme et le pouvoir des entreprises [corporatism], qui est une forme de tyrannie privatisée. Deux de ces systèmes se sont effondrés. Le troisième est bien vivant et prospère sous la bannière TINA : il n’y a pas d’alternative au système émergeant de mercantilisme mis en place par les entreprises s’appuyant sur l’Etat et décliné à l’aide de différents mantras tels que mondialisation et libre-échange.
Il y a un siècle, aux premiers stades de la “corporatisation” de l’Amérique, la discussion sur ces problèmes était tout à fait franche. Les conservateurs du siècle dernier dénonçaient le processus, décrivant cette “corporatisation” comme un “retour au féodalisme” et “une forme de communisme”, analogie qui n’est pas complètement dénuée de fondement. (…)
Il ne faut pas oublier que dans la prétendue “économie de marché” d’aujourd’hui, une très grande part des transactions internationales (ce qu’on appelle, de façon erronée, le commerce), probablement près de 70 % d’entre elles, se déroule en fait en vase clos dans le cadre d’institutions centralisées, à l’intérieur d’entreprises et d’alliance d’entreprises, si l’on prend en compte la sous-traitance et les autres dispositifs administratifs. Sans parler de toutes les autres formes de distorsions extrêmes du marché.
La critique conservatrice – notez que j’utilise le terme “conservatrice” dans son sens traditionnel ; les conservateurs de ce genre ont presque tous disparu – la critique conservatrice, dis-je, rencontra un écho à l’extrémité démocrate-progressiste de l’éventail, notamment en la personne de John Dewey, le principal philosophe politique d’Amérique, dont les travaux portent principalement sur la démocratie. Il affirmait que les formes démocratiques gardent peu de substance quand “la vie du pays” (production, commerce, médias) est dominée par des tyrannies privées dans un système qu’il appelait “féodalisme industriel”, où les travailleurs sont assujettis au contrôle de la direction, et où la politique devient “l’ombre jetée par les grandes entreprises sur la société”[14].
(…)
Fait intéressant, les intellectuels progressistes qui soutenaient le processus de “corporatisation” tombèrent plus ou moins d’accord avec cette description. Ainsi Woodrow Wilson, par exemple, écrivit que “la plupart des hommes sont au service de sociétés”, qui représentent maintenant “la plus grande part des affaires de ce pays” dans “une Amérique très différente de l’ancien temps, … qui n’est plus le théâtre de l’entreprise individuelle, des possibilités individuelles et de la réalisation individuelle” mais une nouvelle Amérique dans laquelle “de petits groupes d’hommes à la tête de grandes sociétés exercent le pouvoir et le contrôle sur la richesse et les affaires du pays”, devenant “des rivaux du gouvernement lui-même” et sapant la souveraineté populaire, qui s’exerce dans le système politique démocratique[15].
Des questions similaires, et même très similaires, se posent de nos jours de façon brûlante dans l’arène internationale, avec la réforme de l’architecture financière et toutes ces sortes de choses. Il y a un siècle exactement, on a, après une bataille judiciaire forcenée, accordé aux sociétés les mêmes droits qu’aux personnes, ce qui représente une violation radicale des principes progressistes classiques. Les entreprises furent également relevées de l’obligation de s’en tenir aux activités spécifiques pour lesquelles elles étaient agréées. De plus, et ce fut un changement important, les tribunaux déplacèrent le pouvoir des mains des partenariats d’actionnaires dans celles de la direction centrale, qui s’identifiait à la personne immortelle de la société. Ceux d’entre vous à qui l’histoire du communisme est familière reconnaîtront que ce processus ressemble fort à celui qui se mettait en place à l’époque et avait été très tôt annoncé par les critiques de gauche, la gauche du marxisme et les critiques anarchistes du bolchevisme, des gens comme Rosa Luxembourg. Ceux-ci avertirent, dès le début, que l’idéologie centraliste allait ôter le pouvoir des mains des travailleurs pour le confier au parti, au comité central puis au chef suprême, ce qui ne manqua pas d’arriver après la conquête du pouvoir en 1917, qui vit la destruction immédiate de tout ce qui pouvait subsister des formes ou des principes socialistes. (…)
Ces dernières années, on a accordé aux sociétés des droits qui dépassent largement ceux des personnes. D’après les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, les sociétés peuvent exiger ce qu’on appelle le droit au “traitement national”. Cela signifie que la General Motors, si elle opère au Mexique, peut demander à être traitée comme une firme mexicaine. Aujourd’hui, c’est un droit que seules possèdent les personnes immortelles, non les êtres en chair et en os. Un Mexicain ne peut pas débarquer à New York, demander un traitement national et s’en trouver fort bien ; les sociétés si.
(…)
Ces problèmes se posent de nos jours de façon très dramatique, et, pour tout dire, obscène. Des dizaines de millions de gens dans le monde meurent de maladies pourtant curables en raison des clauses protectionnistes inscrites dans les règlements de l’Organisation Mondiale du Commerce, qui accordent aux multinationales le droit de fixer les prix à la façon d’un monopole. Ainsi la Thaïlande et l’Afrique du Sud, pour ne citer qu’elles, possèdent des industries pharmaceutiques capables de produire des médicaments qui sauveraient des vies à une fraction du prix décrété par le monopole ; mais, sous la menace de sanctions commerciales, elles n’osent pas le faire. En fait, en1998, les États-Unis ont même menacé l’Organisation Mondiale de la Santé de lui retirer leurs fonds si elle faisait ne serait-ce que surveiller les effets des conditions commerciales sur la santé[16]. Il s’agit de menaces très réelles. Je parle de l’époque actuelle, vous n’avez qu’à ouvrir la presse de cette semaine.
Tout cela a pour nom “droit commercial”. Qui n’a rien à voir avec le commerce. On a affaire à des pratiques de fixation des prix relevant du monopole, appliquées en vertu des mesures protectionnistes présentes dans ce qu’on appelle les accords de libre-échange. Ces mesures sont conçues dans le but d’assurer les droits des entreprises. Naturellement, elles ont aussi pour effet de réduire la croissance et l’innovation. Et elles ne sont qu’une partie des règles introduites dans ces accords pour empêcher le développement et la croissance. Ce sont les droits des investisseurs qui sont en jeu, non le commerce. Et le commerce, bien sûr, n’a pas de valeur en soi. Il n’a de valeur que s’il accroît le bien-être humain, pas autrement.
En général, le principe de l’Organisation Mondiale du Commerce, le principe fondamental, et les traités qui ont pour charge de le faire appliquer, est que la souveraineté et les droits démocratiques doivent être subordonnés aux droits des investisseurs. En pratique cela signifie les droits des gigantesques personnes immortelles, les tyrannies privées auxquelles les gens doivent être asservis. Voici ce qui, en partie, a conduit aux événements remarquables de Seattle. Mais d’une certaine manière, de beaucoup de manières même, le conflit entre souveraineté populaire et pouvoir privé s’est trouvé éclairé plus crûment encore quelques mois après Seattle, il y a à peine quelques semaines de cela, à Montréal, où un accord ambigu fut conclu sur ce qu’on a appelé à cette occasion le “protocole de sécurité biologique”. Le problème fut là très clairement posé. Pour citer le New York Times, “on trouva un compromis après d’intenses négociations qui opposèrent souvent les États-Unis à tous les autres”, sur le prétendu “principe de précaution”. De quoi s’agit-il ? Eh bien le négociateur en chef de l’Union européenne l’a défini ainsi : “Les pays doivent avoir la liberté, le droit souverain de prendre des mesures de précaution quant aux céréales, microbes, animaux, produits agricoles génétiquement modifiés, dont ils craignent qu’ils puissent être nocifs.” Les États-Unis, cependant, mirent l’accent sur les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce. Ces règles stipulent qu’une importation ne peut être interdite que sur la base de preuves scientifiques[17].
Saisissez bien ce qui est en jeu ici. La question qui se pose est de savoir si les gens ont le droit de refuser d’être des cobayes. Ainsi, pour personnaliser le problème, supposez que le département de biologie de l’université entre et vous dise : “Vous devez être les cobayes d’une expérience que nous menons, où nous allons, je ne sais pas, enfoncer des électrodes dans votre cerveau et voir ce qui se passe. Vous avez le droit de refuser, mais seulement si vous fournissez la preuve scientifique que cela va vous faire du mal.” En général, vous ne pouvez produire la preuve scientifique. La question est : avez-vous le droit de refuser ? Selon les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, vous ne l’avez pas. Vous êtes obligés de faire les cobayes. C’est une forme de ce que Edward Herman, un économiste avec lequel j’ai cosigné des livres, appelle “la souveraineté du producteur[18]”. Le producteur règne ; les consommateurs en sont réduits à se défendre comme ils peuvent
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Il existe un principe prépondérant. Ce principe est que les puissants et les privilégiés doivent pouvoir faire ce qu’ils veulent (au nom, bien sûr, de nobles buts). Son corollaire est que la souveraineté et les droits démocratiques des gens doivent disparaître ; dans le cas que nous venons d’examiner – et c’est ce qui rend l’affaire si dramatique – il s’agit de leur répugnance à jouer le rôle de cobayes pour que des sociétés basées aux États-Unis puissent tirer profit de l’expérience. Il est bien naturel que les États-Unis fassent appel aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, dans la mesure où ils ont codifié ce principe ; c’est le but même de la manœuvre.
Ces questions, bien qu’elles soient très concrètes et affectent un très grand nombre de personnes dans le monde, sont en fait secondaires par rapport à d’autres moyens mis en œuvre pour réduire la souveraineté au profit du pouvoir privé. Le plus important, je crois, fut certainement le démantèlement du système de Bretton Woods par les États-Unis, l’Angleterre, et d’autres au début des années 70. Ce système avait été conçu par les États-Unis et l’Angleterre dans les années 40. À cette époque les programmes d’aide sociale et les mesures démocratiques radicales bénéficiaient d’un soutien populaire écrasant. C’est en partie pour ces raisons que le système de Bretton Woods du milieu des années 40 réglementait les taux de change et permettait le contrôle des flux monétaires. L’idée était de mettre fin à la spéculation ruineuse et nocive et de restreindre la fuite des capitaux. Les raisons étaient bien comprises et clairement formulées – le libre flux des capitaux instaure ce qu’on appelle parfois un “parlement virtuel” du capital mondial, lequel a un pouvoir de veto sur les politiques gouvernementales qu’il juge irrationnelles. À savoir le droit du travail, les programmes d’éducation ou de santé, ou encore les efforts pour stimuler l’économie ; à vrai dire, tout ce qui est susceptible d’aider les gens, et non de favoriser les profits (et qui est donc irrationnel au sens technique).
Le système de Bretton Woods fonctionna tant bien que mal pendant vingt-cinq ans. (...)
La période qui suivit, et qui dure encore aujourd’hui, a souvent été décrite à juste titre comme un “âge de plomb”. Le capital spéculatif à très court terme a connu une forte explosion, écrasant complètement l’économie productive. Une détérioration assez marquée a touché presque tous les domaines – croissance économique considérablement ralentie, croissance plus lente de la productivité et des investissements financiers, taux d’intérêts beaucoup plus élevés (ce qui ralentit la croissance), plus grande volatilité des marchés, le tout accompagné de crises financières. Toutes ces choses sont durement ressenties sur le plan humain, même dans les pays riches : salaires qui stagnent ou qui diminuent, augmentation importante des heures de travail, particulièrement frappante aux États-Unis, compression des services.
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Si ces effets se font sentir dans les sociétés riches, ils sont une véritable catastrophe dans les sociétés plus pauvres. Ces problèmes ne connaissent pas de frontières, il ne s’agit donc pas de savoir si telle société est devenue plus riche et telle autre plus pauvre
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Il y a un corollaire à tout cela. Il est bien dans l’ordre des choses que le démantèlement du système économique d’après-guerre s’accompagne d’une attaque importante contre la démocratie effective – liberté, souveraineté populaire et droits de l’homme – sous le slogan TINA (il n’y a pas d’alternative). On dirait une grossière caricature du marxisme. Ce slogan, inutile de le dire, n’est qu’une supercherie. L’ordre socio-économique particulier qu’on impose est le résultat de décisions humaines prises à l’intérieur d’institutions humaines. Les décisions peuvent être modifiées ; les institutions peuvent être changées. Si nécessaire, elles peuvent être renversées et remplacées, comme des gens honnêtes et courageux l’ont fait tout au long de l’histoire
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Il y a un corollaire à tout cela. Il est bien dans l’ordre des choses que le démantèlement du système économique d’après-guerre s’accompagne d’une attaque importante contre la démocratie effective – liberté, souveraineté populaire et droits de l’homme – sous le slogan TINA (il n’y a pas d’alternative). On dirait une grossière caricature du marxisme. Ce slogan, inutile de le dire, n’est qu’une supercherie. L’ordre socio-économique particulier qu’on impose est le résultat de décisions humaines prises à l’intérieur d’institutions humaines. Les décisions peuvent être modifiées ; les institutions peuvent être changées. Si nécessaire, elles peuvent être renversées et remplacées, comme des gens honnêtes et courageux l’ont fait tout au long de l’histoire
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