Aujourd'hui, nous allons vous montrer ce que le monde n'a encore jamais vu. " Benyamin Nétanyahou a le goût des formules d'estrade et de la mise en scène. Lundi 30 avril, tandis qu'il parlait en direct, des documents en farsi défilaient sur un écran. Dans son dos, d'abord dissimulés par une couverture noire, des dossiers et une armoire à CD. Le premier ministre israélien avait convoqué la presse pour une présentation : celle d'un succès imposant de ses services de renseignement au sujet du programme nucléaire iranien.
A treize jours de la décision des Etats-Unis quant à leur éventuel retrait de l'accord sur le nucléaire iranien de juillet 2015 – le JCPOA – entre Téhéran et les " 5 + 1 " (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et l'Allemagne), Israël a choisi de révéler sa prise, résumée ainsi par M. Nétanyahou :
" Cent mille dossiers qui prouvent qu'ils ont menti " sur leur volonté d'acquérir l'arme nucléaire.
Une opération de communication destinée d'abord au président américain, Donald Trump, qui ne cache pas son hostilité à cet
" accord désastreux ". C'est aussi une réponse au chef de l'Etat français, Emmanuel Macron, et à la chancelière allemande, Angela Merkel, qui ont successivement plaidé à la Maison Blanche pour le sauvetage du JCPOA, tout en reconnaissant ses lacunes et la nécessité d'y remédier.
Ces dossiers (55 000 pages et 183 CD), qu'Israël aurait obtenus
" il y a quelques semaines ", étaient dans un entrepôt secret à Téhéran, selon le premier ministre,
qui a dit qu'ils avaient été portés à la connaissance des Etats-Unis. L'Etat hébreu se dit prêt à transmettre l'ensemble à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et à d'autres pays. Des équipes seront prochainement envoyées en Allemagne et en France pour faire une présentation plus exhaustive.
L'essentiel de l'exposé a porté sur le projet AMAD, un plan secret de Téhéran pour obtenir l'arme atomique à la fin des années 1990, jusqu'à son abandon, en 2003. Son objectif était de concevoir et de produire cinq têtes nucléaires, chacune de 10 kilotonnes, qui devaient être ensuite placées sur des missiles de type Shahab 3.
Après avoir renoncé au projet AMAD, a expliqué M. Nétanyahou, l'Iran aurait poursuivi ses recherches sous différentes couvertures. Rien de cela ne constitue une véritable nouveauté. Le rapport publié en décembre 2015 par l'AIEA, le document le plus complet et à jour de l'agence de Vienne sur la question des menées nucléaires passées de l'Iran, évoquait déjà la quasi-totalité de ce qu'a annoncé le premier ministre israélien.
Aucune donnée crédibleLa principale faiblesse de la dramaturgie de Benyamin Nétanyahou réside dans l'absence de preuves claires d'une violation par l'Iran du JCPOA.
" Même après l'accord, l'Iran a continué à préserver et à étendre son savoir-faire nucléaire pour utilisation future ", a affirmé le premier ministre israélien. Pourtant, dans un entretien au quotidien
Haaretz, fin mars, le chef d'état-major de l'armée israélienne, le général Gadi Eizenkot, jugeait que
" l'accord, malgré tous ses défauts, fonctionne et reporte la réalisation de la vision nucléaire iranienne de dix à quinze ans ".
L'AIEA, à laquelle l'accord a conféré des moyens étendus pour évaluer les activités nucléaires de l'Iran, certifie quant à elle avec régularité que Téhéran se plie bien à ses obligations. Elle assure par ailleurs ne disposer d'aucune donnée crédible permettant d'attester la poursuite d'un programme nucléaire militaire après 2009.
" Comme c'est pratique. Timing parfait : le garçon qui crie au loup fait des pseudo-révélations sur la base de renseignements à quelques jours de la date du 12 mai ", a réagi le ministre des affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, sur Twitter.
Donald Trump n'a pas pu assister à la prestation télévisée du premier ministre israélien. Il recevait au même moment, et pour la première fois à la Maison Blanche, un responsable africain, le président du Nigeria, Muhammadu Buhari. Au cours de leur conférence de presse commune, le président des Etats-Unis a cependant montré qu'il avait été informé en amont du contenu de l'intervention de M. Nétanyahou.
" Dans sept ans, cet accord aura expiré et l'Iran pourra développer des armes nucléaires ; ce
n'est pas acceptable, sept ans, c'est demain ", a-t-il insisté.
Le républicain avait promis pendant sa campagne présidentielle de
" déchirer " cet accord qu'il juge
" horrible ". Il a tiré un premier coup de semonce en octobre 2017 en refusant de certifier, comme une loi américaine l'y invite, qu'il est conforme aux
" intérêts de sécurité nationale " des Etats-Unis. Début janvier, il a fixé au 12 mai la date limite pour obtenir des améliorations, qui semblent pour l'instant hors d'atteinte.
Ligne de fermetéTout en affichant leur inquiétude quant à des dossiers non nucléaires, comme le programme balistique iranien et l'influence jugée déstabilisatrice de Téhéran au Proche-Orient, notamment au Yémen, en Syrie et au Liban, les trois pays européens signataires (France, Allemagne et Royaume-Uni) campent sur une ligne de grande fermeté à propos du texte de 2015. Les accusations du premier ministre israélien les confortent.
" Les recherches passées de l'Iran en matière d'armes nucléaires montrent ce pourquoi nous avons besoin de l'accord ", note le ministre britannique des affaires étrangères, Boris Johnson, alors que le Quai d'Orsay souligne que
" ces informations présentées par Israël pourraient également confirmer la nécessité d'assurance de plus long terme sur le programme iranien ".
C'est le pari d'Emmanuel Macron qui, lors de sa conférence de presse, le 24 avril, à Washington, a évoqué un
" nouvel accord nucléaire " dont l'idée centrale est de maintenir le JCPOA en l'état tout en le complétant par trois autres piliers : l'un sur la prolongation des clauses arrivant à échéance en 2025, un second pour encadrer le programme balistique iranien et un troisième sur les crises régionales. Le chef de l'Etat s'est entretenu, les 28 et 29 avril, avec la première ministre britannique, Theresa May, et la chancelière allemande, Angela Merkel, convenant de la
" nécessité de répondre à ces éléments importants non couverts par l'accord ", tout en le préservant.
Arriver à convaincre les Russes
" Personne ne serait surpris que Trump annonce son retrait, mais il faut tout essayer pour garder à bord les Etats-Unis, en tenant compte ainsi de ces préoccupations, aussi partagées par les Européens ", relève-t-on à l'Elysée. Toute la question, maintenant, est d'arriver à convaincre les Russes, alliés de Téhéran, et surtout les Iraniens, ouvertement hostiles à toute renégociation du texte de 2015.
En partant pour l'Australie, lundi 30 avril, Emmanuel Macron s'est entretenu au téléphone avec le président russe, Vladimir Poutine, afin de lui expliquer le sens de la proposition française. La veille, il avait parlé plus d'une heure avec le président iranien, Hassan Rohani.
" L'accord nucléaire n'est en aucune manière négociable ", a affirmé M. Rohani selon le communiqué de Téhéran, mais d'après l'Elysée, il y a eu une véritable discussion et, outre leur entente pour travailler en commun afin de préserver l'accord de 2015, les deux présidents sont convenu aussi d'évoquer la situation au Yémen et en Syrie. Le canal reste donc ouvert, même s'il n'y a guère de résultat à attendre avant le 12 mai.
La constitution d'une équipe de " faucons " autour du président américain, après l'entrée en fonctions de John Bolton, son nouveau conseiller à la sécurité nationale, et la confirmation de Mike Pompeo au poste de secrétaire d'Etat, plaide en faveur d'une sortie américaine de l'accord. Mais l'un comme l'autre ont rappelé que le président Trump n'avait pas encore pris sa décision.
S'exprimant devant une commission du Sénat le 26 avril, le secrétaire à la défense, James Mattis, a insisté sur les vertus du compromis, même s'il s'est pourtant abstenu de répéter, comme il le faisait auparavant, que l'accord de juillet 2015 est
" dans l'intérêt des Etats-Unis ". Il y a un peu plus d'un an, le même homme avait jugé que
" quand l'Amérique donne sa parole, - elle doit -
la respecter ".
Lundi 30 avril, M. Trump a trouvé, au contraire, une vertu à un renoncement unilatéral des Etats-Unis : celle d'envoyer
" un bon signal " à la Corée du Nord, à la veille d'un sommet avec Kim Jong-un, qui devrait être essentiellement consacré au programme nucléaire de Pyongyang. Une manière d'afficher son refus de tout accord bancal à ses yeux, comme celui passé par son prédécesseur avec l'Iran.
Gilles Paris, Piotr Smolar, et Marc Semo (à paris)
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