De l'école, Souâd Ayada garde un bon souvenir. Elle parlera peu de sa vie privée, si ce n'est pour dire que, pour elle, " aller à l'école, grandir, vivre, c'était une seule et même chose ". Cette fille d'ouvrier au parcours exemplaire, agrégée de philosophie, doyenne de l'inspection générale dans cette discipline, a été nommée présidente du Conseil supérieur des programmes (CSP) par le ministre de l'éducation, Jean-Michel Blanquer, le 23 novembre 2017, après le départ fracassant du géographe Michel Lussault.
Deux mois après son arrivée, nouvelle démission, celle de Sylvie Plane, le 26 janvier. L'universitaire était vice-présidente du CSP et membre du conseil depuis sa création, en 2013. Y a-t-il une crise au CSP ?
" Cette instance a pris l'habitude de médiatiser ses démissions, répond posément Souâd Ayada.
Je me sens parfaitement à ma place. "
Souriante, un brin crispée, la présidente du CSP aime prendre le temps de choisir ses mots pour parler de ses nouvelles attributions, dans son petit bureau sans charme de la rue de Grenelle.
" Le CSP propose des programmes. Il revient à l'autorité politique de décider de les retenir et de les diffuser. C'est là un signe clair de l'indépendance du CSP ", rappelle-t-elle, lorsqu'on évoque les craintes ceux qui ont claqué la porte de l'instance qu'elle dirige.
Spécialiste de spiritualité islamique, Souâd Ayada est philosophe et pas théologienne, distinction à laquelle elle tient. L'idéalisme allemand est au cœur de sa formation philosophique, et c'est par le biais des textes de Hegel qu'elle a d'abord appréhendé les
" systèmes métaphysiques " de l'islam. Sa connaissance du sujet trouve néanmoins écho dans le chantier de refonte de l'enseignement du fait religieux
.
Le 24 janvier, devant la commission des affaires sociales de -l'Assemblée nationale, elle n'hésite pas à critiquer des manuels scolaires qui, sur le chapitre de l'islam, ne répondent pas
" aux exigences de l'histoire critique ".
" C'est un enseignement qui manque de rigueur, confirme-t-elle.
Or, tout enseignement, fût-il du fait religieux, doit être un enseignement critique. Il faut, par ailleurs, toujours se soucier de la vérité historique quand on parle des religions. " Isolée en vidéo, cette séquence à l'Assemblée a rapidement été reprise par des comptes YouTube d'extrême droite.
" Revenir aux fondamentaux "Le choix de cette spécialiste de la philosophie en terre d'islam était-il iconoclaste, comme on a pu le lire ? Pourtant, nul n'offre de gage de fidélité aussi solide que l'inspection générale, ce vivier de hauts fonctionnaires loyaux dans lequel on puise bien souvent, après une alternance, pour peupler les cabinets et mener des missions.
Seulement voilà, Souâd Ayada est
" issue de l'immigration ", comme certains journaux aiment à le rappeler,
en n'oubliant pas de la comparer avec l'ancienne ministre de l'éducation, Najat Vallaud-Belkacem, née comme elle au Maroc.
De son côté, elle s'amuserait plutôt de voir que l'on peut lui prêter à ce titre quelque dessein secret.
" Mais vous savez, les fantasmes existent dans les deux sens ", précise-t-elle. Souâd Ayada ne fréquente pas les réseaux sociaux, mais on lui a rapporté quelques propos :
" Il y a ceux qui craignaient que je mette l'islam partout. Certains aussi ont imaginé que, étant née dans cette aire culturelle, j'allais pouvoir défendre une religion, ou une culture. "
On ne saura jamais si la carte
" diversité " a joué ou non.
Souâd Ayada a été choisie pour son
" goût de l'excellence pour tous ", indique l'entourage de M. Blanquer. Ministre avec lequel elle n'est d'ailleurs pas intime. Souâd Ayada l'a rencontré alors qu'il était recteur de Créteil et elle professeure de philosophie dans l'académie. S'estimant victime d'une injustice administrative, elle lui écrit, il la reçoit. Cela fait une dizaine d'années qu'ils se connaissent,
" mais je n'ai pas de relations amicales avec lui, je n'ai pas son numéro de portable ".
Comme le ministre, Souâd Ayada revendique un attachement à
" l'esprit des Lumières "et une vision
" de bon sens " de l'école. Elle évoque la nécessité de clarifier les programmes scolaires afin de permettre de
" revenir aux fondamentaux ", cette obsession de la mandature Blanquer. Les exemples ont afflué dans la presse ces derniers jours, où Souâd Ayada a évoqué les tables de multiplication dont on ne sait plus bien s'il faut les apprendre par cœur.
" Nous essaierons de formuler les choses de manière claire et lisible, nuance-t-elle, en prenant l'exemple de la grammaire en primaire.
On peut dire plus explicitement qu'il faut faire de l'analyse grammaticale systématique, en s'appuyant sur une terminologie claire et accessible pour tous, y compris pour les parents. " Le prédicat et autres mots barbares de l'ère précédente pourraient donc disparaître. Michel Lussault, qualifié parfois de " pédago ", aura donc été remplacé par un profil plus conservateur. Souâd Ayada a récemment assumé ce terme dans la presse, et confirme qu'une forme de conservatisme va, pour elle, de pair avec l'école :
" J'estime que, dans tout acte de transmission, il s'agit de conserver et de transmettre le passé. "
Du temps de l'inspection générale, son classicisme lui a valu d'être très appréciée des professeurs de sa discipline, la philosophie. Souâd Ayada défendait une vision traditionnelle de l'enseignement, avec le programme par notions (" le désir ", " l'inconscient ", etc.) et l'exercice de la dissertation. D'autres chapelles de l'inspection générale préféraient une approche du programme par les textes et l'histoire des idées.
Un enseignant se souvient d'une inspectrice à la personnalité forte,
" courageuse " et parfois isolée dans la défense de ses principes.
Appréciée chez les profs pour sa connaissance du terrain, Souâd Ayada faisait figure de spécialiste lors de son arrivée au CSP.
" Elle a une spécialité et elle se hasarde rarement au-delà, fait remarquer un membre du CSP.
Ce qui est plutôt un gage de sérieux. " Lors de l'audition devant la commission de -l'Assemblée le 24 janvier, les membres du conseil se sont inquiétés en la voyant évoquer les programmes de primaire et de collège, qu'elle maîtrise moins, au risque de commettre des imprécisions.
Le caractère explosif du sujet des programmes, la présidente en est bien consciente :
" La question des programmes est brûlante en France parce qu'elle est au confluent de deux ordres : celui du savoir et celui de la formation de la communauté politique. " Le CSP pourra-t-il continuer à jouer son rôle dans l'école de demain ? La semaine passée, les membres de la commission de l'Assemblée ont souhaité " bonne chance " à Souâd Ayada, comme au soldat qui devra bientôt s'aventurer hors de la tranchée.
" C'est une charge difficile. En France, les passions politiques sont des passions scolaires, car l'école a son destin lié à celui de la République. " A fortiori aujourd'hui, après plusieurs
" dizaines d'années de perte de confiance " en l'école, -insiste-t-elle.
Violaine Morin
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