
2
Jan
2018
.[RussEurope en Exil] Les Etats-Unis au miroir de Star Wars (recension), par Jacques Sapir
Billet invité
Thomas Snégaroff vient de publier un petit essai Star Wars – Le côté obscur de l’Amérique », chez Armand Colin[1]. Ce livre constitue une mise à jour, mais aussi un approfondissement, de l’ouvrage qu’il avait écrit en 2015 [2]. Ce livre est donc une tentative de décryptage de l’idéologie véhiculée tant dans les films que celle présente aux Etats-Unis. Il est intéressant à plus d’un titre. Il réjouira les amateurs de la triple trilogie (dont le numéro VIII sort ces jours-ci en France), mais il intéressera aussi tous ceux qui s’inquiètent de la politique américaine.
La thèse de l’ouvrage est double. Il soutient d’une part que l’histoire racontée dans les six premiers films n’est autre, en réalité, que celle des Etats-Unis, qui ont basculé de la « République » (largement mythifiée) vers l’Empire. La « peur », celle de l’autre bien entendu, étant l’un des responsables de ce tournant vers le « côté obscur ». D’autre part, il soutient que cette série a joué un rôle, qu’il soit involontaire ou non, dans le basculement, en « réarmant » les secteurs les plus réactionnaires de la politique américaine. L’auteur, cependant, concède que le tableau est certainement plus complexe, que Georges Lucas et ses co-auteurs, ont aussi mis des thèmes puissamment contestataires dans ces films, comme une dénonciation du libre-échange (et du néo-libéralisme) et – je l’ajouterai – une forme d’apologie de la souveraineté.
Si la première thèse ne faite guère de doute, et si l’on suit Thomas Snégaroff sans aucun problème dans sa démonstration, la seconde est nettement plus problématique. L’auteur en convient lui même à plusieurs reprises. Ce petit ouvrage, brillant sur certains points, contient aussi des parts d’ombres. Il vaut amplement la peine d’être lu, car il s’attaque à un mythe de la culture télévisuelle et de la contre-culture. Mais atteint-il complètement son but ? Le lecteur en jugera en le lisant et en lisant cette recension.
Les deux thèses du livre
La première thèse est largement développée dans la première partie du livre, intitulée La Trahison des Pères, et ces pères là sont, bien entendu, les « pères fondateurs » des Etats-Unis. Snégaroff se livre alors à un exercice tout à fait intéressant de double mise en parallèle, d’une part des discours des uns et des autres et de citations des six premiers films, et d’autre part des discours mais aussi de la réalité de la politique des Etats-Unis. On sait que ce pays ne reconnut jamais avoir de « colonies », mais qu’il en eut bel et bien, à Hawaï et aux Philippines en particulier, et ce sans compter Porto-Rico. Cette première partie met en évidence l’idée de l’exceptionnalisme américain[3], le « destin manifeste », et sa construction (largement mythique), tout comme ses dérives. Il montre bien que ce double traumatisme, celui de la défaite américaine au Vietnam et celui du Watergate[4], a servi de contexte fondateur à l’écriture des premiers films (ceux que l’on nomme aujourd’hui les épisodes IV à VI).
La construction de Richard Nixon en Palpatine (et donc celle de Kissinger en Dark Vador) est très démonstrative, et elle est même revendiquée par Georges Lucas, même si l’on peut s’interroger sur les raisons réelles de la haine qui entoura, longtemps, ce Président, certes haïssable à bien des titres, mais nullement plus que ses prédécesseurs ou que ses successeurs…Cela aurait mérité une réflexion sur l’image des Présidents américains, tant aux Etats-Unis que dans le monde. Il est clair que l’image de Kennedy (tout comme celle d’Obama) a été très injustement magnifiée [5]. On a ainsi oublié le passé Maccarthyste de J-F. Kennedy, et les liens très troubles de sa famille que ce soit avec la Mafia ou avec les Nazis avant-guerre… En un sens, la figure ambiguë de Lyndon B. Johnson, qui enferra les Etats-Unis dans la guerre du Vietnam tout en développant ce qui peut passer pour le plus « social-démocrate » des programmes sociaux américains (la « grande société »[6]) pourrait être considérée comme tout aussi emblématique du « côté obscur de la force ». Johnson n’a-t-il pas couvert la manipulation de l’incident du Golfe du Tonkin[7] (août 1964) qui fut décisive pour l’engagement direct des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam ? Et, à tout prendre, ceci était autrement plus grave que la tentative (maladroite) pour espionner le QG du Parti Démocrate (le Watergate). Ainsi, le couple Johnson-Mac Namara pourrait tout aussi bien figurer dans les précurseurs du couple Palpatine-Dark Vador.
Rappelons que le premier film (aujourd’hui le quatrième dans l’ordre de la saga) fut réalisé de 1973 à 1977, soit dans la période du Watergate et du « syndrome du Vietnam ». Pourtant, en 2005, après l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, et alors que le processus de passage de la « République » à « l’Empire » vient d’être complètement explicité (dans les films I, II et III) Georges Lucas suggéra George W. Bush et son vice-Président, Dick Cheney, comme incarnation réelle du couple Palpatine-Vador. Il est donc clair que la saga s’inscrit clairement dans un contexte politique déterminé. L’un des grands apports de Snégaroff est de le montrer clairement et de chercher à approfondir ce contexte, même si l’on peut s’interroger sur sa volonté de « démoniser » essentiellement des Présidents Républicains, alors que le comportement des Présidents Démocrates, de Kennedy à Obama, en passant par Clinton, est tout autant sujet à caution.
Une saga réactionnaire ?
Pour autant, et on l’a vu avec l’absence de Johnson (et de l’incident du Golfe du Tonkin), le contexte général n’est sans doute pas suffisamment approfondi. Où plutôt, plus précisément, Snégaroff ne retient que la vision de ce contexte qu’ont voulu donner Georges Lucas et ses co-auteurs, une vision qui correspond très bien (trop bien ?) à l’idéologie des libéraux d’Hollywood. Cette absence, alors que pour qui connaît la vie politique des Etats-Unis il y a là un moment symboliquement très fort, est donc pour le moins curieuse. Un problème le révèle. Snégaroff remarque, avec raison d’ailleurs, que dans le film de 1977 (l’épisode IV dans la numérotation actuelle), dans la scène dite du bar, l’exclusion des robots (C-P3O et R2D2) est une métaphore de l’exclusion des noirs américains. Mais, il ne revient pas sur le thème de l’esclavage, pourtant présente dans les épisodes I et II (sortis respectivement en 1999 et en 2002). Que le jeune Anakin et sa mère Shmy soient esclaves ne dérange nullement les autres personnages. On peut y voir une référence au statut des esclaves dans les Etats-Unis naissants, statut qui allait être entériné par la fameuse ligne « Mason-Dixon » au Nord de laquelle l’esclavage était illégal, mais devenait légal au Sud de cette ligne. Il y aurait eu beaucoup à dire sur ce point, mais, là, curieusement, Snégaroff est muet. Parce que cela remet en cause l’image de la « bonne » République face au « méchant » (evil) Empire ? Ou plus précisément, parce que cela contribuerait à complexifier sa thèse sur la guerre de Sécession, assurément provoquée en partie par des questions de tarifs douaniers, mais aussi – et il faut le savoir – par un long débat opposant les tenants de la propriété privée « à tout prix » (et donc au prix de l’esclavage) et ceux qui pensaient que l’on ne pouvaient ériger la propriété privée en dogme intangible. D’ailleurs, remarquons que la pratique de l’esclavage fut d’abord empêchée par un « Empire », l’empire britannique, sous la poussée des sectes protestantes, et dont les navires firent une chasse impitoyable aux navires négriers. Le refus d’aborder la complexité des choses est d’ailleurs l’une des caractéristiques de ce livre.
Car, le projet est à la fois plus simple et plus malin. Que Georges Lucas ait voulu gagner de l’argent avec La Guerre des Etoiles est une évidence, et ne saurait guère lui être reproché. Il est très peu de cinéastes qui font des films pour perdre de l’argent, même si sont en réalité nombreux ceux qui en perdent. De ce point de vue, considérer que la saga se range en définitive « du côté obscur » pour cette raison, ce qui est la seconde thèse de cet ouvrage, n’est guère pertinent. Non que la totalité de la seconde thèse (la dimension « réactionnaire » de la saga) soit fausse. Mais, en fait, elle l’est pour des raisons que Snégaroff semble complètement ignorer.
En fait cette saga, mais ceci est classique dans le Space-Opéra – genre revendiqué par Star Wars – situe un affrontement qui paraît politique dans un contexte largement apolitique. Plus exactement, elle fait disparaître les peuples, ou les « masses », au profit d’individus, et remplace les questions de politique par des ressorts individuels (comme, ce que montre fort bien Snégaroff d’ailleurs, la quête du père). Le lien avec les romans de « Chevalerie », de Chrestien de Troyes à Walter Scott, est évident. Le recours à une arme « archaïque » mais intelligemment modernisée (le sabre-laser), si elle permet des effets visuels intéressant (quoi que très inspirés des films japonais « en costume »), souligne l’importance de l’individu, du « héro ». Ainsi, la « guerre » se réduit une série de combats individuels décisifs (les combats collectifs servant à mettre en scène les combats individuels) et les personnages sont soit dotés de capacités extraordinaires (les Jeudi, grâce à la « Force »), soit ont des qualités hors du commun. C’est une vision idéologique du conflit armé qui est profondément réactionnaire, mais qui a imprégné le militarisme japonais, avec son culte de l’excellence individuelle et de la « bataille décisive »[8]. Or, les guerres se gagnent par la politique et la logistique, et non par l’excellence tactique, ce qui fut une des grandes erreurs des généraux allemands de la seconde guerre mondiale. Notons ici que les Jedi n’hésitent pas à tuer. Dans Il est difficile d’être un dieu, publié en URSS en 1964, les frères Arcadi et Boris Strougatski faisaient du « héro », Don Roumata/Anton, un champion de l’escrime, mais qui se refuse à tuer, ce qui le dénonce d’ailleurs à son adversaire comme n’étant pas celui qu’il prétend être[9]. C’est sous le coup de la colère, suite à l’assassinat de sa bien aimée, qu’il se décide à tuer…
Si ces caractéristiques sont typiques du gente Space-Opéra, elles ne sont pas obligatoires. De fait, Snégaroff aurait pu regarder une autre saga, antérieure à la Guerre des Etoiles, mais qui a servi de source d’inspiration : Dune. Il n’est donc pas aussi évident qu’il veut bien le présenter que Star Wars ait contribué au succès du Reaganisme. Mais il est clair que la saga était en conformité avec des canons de l’idéologie américaine, et que ces canons ont été réactivés dans le cours de la présidence de Ronald Reagan.
Un oubli important
Il faut ici souligner que l’interprétation d’une œuvre comme Star Wars ne peut se faire sans mentionner les œuvres jumelles, ou celles qui ont pu l’influencer. Vouloir isoler Star Wars de son contexte culturel réduit bien entendu à néant une grande partie de la démonstration sur la contextualisation politique de la saga. Car la contextualisation ne peut être seulement politique. Une œuvre se nourrit aussi d’influences diverses, qu’elles soient conscientes ou inconscientes.
Or, ce contexte culturel est aussi celui des œuvres qui ont inspiré tant visuellement que scénaristiquement l’œuvre. De fait Dune de Frank Herbert, publié en 1965 (et traduit en français en 1970 chez Robert Laffont) est probablement le roman de science-fiction le plus vendu dans le monde avec plus de 12 millions de livres vendus. C’est une source d’inspiration constante, et la planèteTatooine[10] où se déroulent les premières aventures de Star Wars est clairement inspirée d’Arrakis la planète emblématique de Dune. Il s’agit, la aussi, d’un monde sans eau, où rodent de dangereuses créatures du désert.
Dune partage avec Star Wars (du moins dans le premier film) d’être l’histoire de l’éducation d’un adolescent qui passe par diverses épreuves pour arriver à l’âge d’homme. Mais, là ou Luke ne peut compter que sur l’aide d’Obi-Wan-Kennobi et de Han Solo, Paul Atréides s’inscrit dans un cadre familial complexe (sa mère Jessica, son père Leto, et l’image de son grand-père à laquelle un de ses précepteurs quand il le retrouve le compare), avec ses soutiens (Thufir Hawat, Duncan Idaho et Gurney Halleck) et bien entendu ses adversaires (les Harkonnens mais aussi l’Empereur et ses troupes d’élites, lesSardaukars dont on retrouve une image dans les Stormtroopen de Star Wars). La grande différence est que pour Paul, le combat n’est pas seulement celui de la découverte de lui-même mais aussi de rallier à sa cause le plus grand nombre. Paul Atréides fait de la politique, et il le sait parfaitement (et sa mère ne perd pas une occasion de le lui rappeler).
La dimension sociale (et aussi écologique) de Dune est incomparablement supérieure à celle de Star Wars. Le choix de Georges Lucas de concentrer l’histoire sur un champ individuel (voire, comme le soutient Snégaroff psychanalytique) et d’en exclure la dimension politique (au sens de la conquête des masses) et sociale est significative. En cela, la saga Star Wars s’inscrit bien dans un courant réactionnaire, ou plus précisément conformiste, tout en pouvant avoir, par ailleurs, des côtes contestataires.
L’absence dans l’ouvrage de Snégaroff de toute référence à Dune et à sa suite, le Messie de Dune, publié en 1969, est l’un des points faibles, voire aveugles, du livre.
Snégaroff et la question de la « peur »
Ce point aveugle conduit à s’interroger sur la signification de la « peur » comme moteur essentiel du glissement de la République à l’Empire. Snégaroff construit sa démonstration en partie sur la fin de l’épisode III (La revanche des Siths). Anakin a peur de perdre Padmè, qui porte son (ses) enfants. Soumis à la tentation par Palpatine, il bascule vers le « côté obscur » pour éviter que sa femme ne meure. Mais, cela ne fait que reprendre le thème du Messie de Dune. Dans le livre, Chani, la concubine de Paul, porte ses enfants (des jumeaux) mais va mourir. Les adversaires de Paul cherchent à le tenter en lui promettant de sauver sa compagne. La ressemblance entre les deux histoires est trop forte pour n’être que fortuite. Dune était déjà, dans les années 1970, une œuvre majeure de la contre-culture aux Etats-Unis.
Que Snégaroff l’ignore est étrange, pour un spécialiste des Etats-Unis. Qu’il ne se pose pas la question de la parenté entre la saga Star Wars et Dune l’est bien plus encore. Car, dans Dune on trouve, aussi, l’idée que la peur conduit au désastre personnel (voir la « Litanie contre la Peur »[11]). Et Paul est soumis, au début du livre, à une terrible épreuve qui vise à mesurer sa résistance à la souffrance et à la peur. Mais, cette épreuve est révélatrice du type de Peur dont il convient de se défaire. Ce qu’il faut rejeter, c’est la « peur panique », ce que les grecs attribuaient au Dieu Pan, soit une peur qui paralyse la Raison.
Snégaroff indique bien que la peur est vue comme une chose positive par la tradition antique et classique. Il en déduit une suspicion sur cette tradition (et en particulier sur Hobbes), parce que la peur abolit la raison. Mais, il ne comprend pas de quel type de peur il parle. La peur ici en question, celle que Yoda évoque, celle qui « conduit vers le côté obscur », c’est la peur panique et non la peur raisonnée, la crainte raisonnable, qui elle, au contraire, est une force positive et pousse à la construction des institutions. Cette incompréhension des registres de la peur conduit alors Snégaroff à tomber dans une idéologie boboïsante, mâtinée de Jean-Paul II (« n’ayez pas peur »). Et cela affaiblit considérablement sa démonstration.
De fait, ce que cherchent les Tyrans qui sommeillent dans nos démocraties, c’est de nous faire basculer de craintes raisonnées vers des paniques irrationnelles. Or, ces paniques ont généralement pour point de départ des faits bien réels, mais que notre esprit transforme en des fétiches et ces fétiches nous aliènent conduisant à la réification de ce qui devrait rester humain. Le couple Aliénation-Fétichisme a été analysé de manière très fine par Marx, que Snégaroff aurait eu profit à lire. Nous sommes ici au cœur de ce qui constitue un point aveugle décisif dans l’ouvrage. Et, ce point aveugle pourrait bien, lui aussi, faire basculer Snégaroff « du côté obscur »…
Retour sur la deuxième thèse
Sur d’autres points, aussi, on peut s’étonner que Thomas Snégaroff ait manqué le coche. Outre Dune, visuellement Star Wars emprunte beaucoup à Valerian de Christin et Mézières. Cette référence n’a été que très élusivement reconnue par Georges Lucas[12]. On peut y voir la volonté (farouche) de Lucas de défendre son œuvre (et ses droits dérivés…). Car, et on le rappelle, l’un des buts de Star Wars était bien de faire de l’argent, même si par la suite il ne fut plus le seul.
Leïa et Luke rencontrent Laureline et Valerian dans un tripot de Rubanis…
La référence à l’URSS stalinienne, et au couple Staline-Beria, est assez juste. Il faut ici suivre Snégaroff quand il écrit que ce couple a aussi servi à celui de l’Empereur et de Dark Vador. Sauf que Palpatine n’a plus, dans les films IV à VI aucun des traits de fausse bonhomie que pouvait prendre Staline et avec lesquels il dupait, en partie, son entourage. Par contre, il est tout aussi étonnant qu’il n’ait pas vu à quel point l’esthétique des forces impériales dans le premier film (l’épisode IV) est inspirée des forces japonaises (pour les uniformes) et des combats aéronavals de la Guerre du Pacifique. C’est en particulier évident lors de la bataille finale qui aboutit à la destruction de l’Etoile de Mort quand les « chasseurs » de la Rébellion manoeuvrent comme des avions torpilleurs américains et leur escorte de chasse ou quand les défenses de l’Etoile de Mort reprennent (recul y compris) la cinématique des tourelles doubles de 5 pouces qui constituaient l’armement anti-aérien des unités navales américaines. On retrouve ceci dans la scène initiale de bataille qui ouvre le troisième film (La Revanche des Siths – 2005) où l’on peut voir, sur le navire amiral de Grievous, des lasers éjectant des cartouches comme sur les canons de 127-mm et de 152-mm de la marine des Etats-Unis. L’influence des films d’actualités tournés de 1942 à 1945 essentiellement sur la Guerre du Pacifique, semble bien avoir été visuellement une source majeure d’inspiration. La guerre contre le Japon a façonné de manière indélébile l’imaginaire aux Etats-Unis jusqu’à la fin des années 1980, que ce soit dans les conditions du début de cette guerre (Pearl-Harbour) ou que ce soit dans la logique exterminatrice, et à vrai dire raciste, qui prédomina dès 1942. Il y a là une autre source de réflexion à faire sur la Saga.
Le quasi-refus de Georges Lucas et de son équipe à assumer leurs emprunts (jusque dans la forme du vaisseau de Han Solo directement inspiré des dessins de Valerian) en dit aussi long sur l’impérialisme inconscient (mais parfois aussi tout à fait conscient) des concepteurs de cette saga.
Le vaisseau de Valerian
Que des considérations commerciales aient prévalu est plus que probable. Mais, ce refus est aussi symboliquement très significatifs. Une œuvre « américaine » ne peut avoir son inspiration de l’étranger. En cela, Star Wars est effectivement très représentatif d’une idéologie, qui imprègne tant les libéraux hollywoodiens que les reaganiens, celle de l’exceptionnalisme. Et, cette communauté de pensée explique les passages entre une apparence contestataire et une réalité finalement très conformiste.
On retrouve ainsi la deuxième thèse de Snégaroff, mais dépouillée de ce qu’il faut bien appeler sa naïveté d’origine. Il ne faut pas voir dans Star Wars une œuvre ayant servi à préparer le Reaganisme mais une œuvre issue en réalité du même moule exceptionnaliste, qui est partagé tant par Hollywood que par la droite américaine, ce qui explique les passages possibles de l’un à l’autre. C’est le refus de rompre avec cette idéologie, et ce qu’elle charrie, qui peut être reproché aux concepteurs de la saga et non un hypothétique « ralliement ». Snégaroff semble l’avoir pressenti mais, faute d’une contextualisation suffisante, cette réalité finit par lui échapper.
Pourtant, son livre constitue une plus qu’intéressante tentative pour tenter de lire l’histoire des Etats-Unis au miroir d’une œuvre multiforme. Il interroge un « phénomène culturel » et le met dans son contexte. Qu’il ne le fasse ni complètement, ni avec la complexité nécessaire ne doit pas être un prétexte pour ignorer ce livre.
Jacques Sapir
Notes
[1] Snégaroff T., Star Wars – Le Côte Obscur de l’Amérique, Paris, Armand Colin, 2018, 217p.
[2] Snégaroff T., Je Suis Ton Père, Paris, Naive, 2015.
[3] Voir Sapir J., « Endiguer l’isolationnisme interventionniste providentialiste américain », in Revue internationale et stratégique, 2003/3 (n° 51), pp. 38-44, https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2003-3-page-38.htm
[5] Voir Chomsky N., Rethinking Camelot: JFK, the Vietnam War, and U.S. Political Culture, New York, South End Press, 1st edition, 1999.
[6] Andrew, J. A., Lyndon Johnson and the Great Society, Chicago, Ivan R. Dee, 1999.
[8] Où Kantaï Kansen ; Evans, David C.; Peattie, Mark R., Kaigun: Strategy, Tactics, and Technology in the Imperial Japanese Navy, 1887-1941, Annapolis, US Naval Institute Press, 1997.
[9] A. et B. Strougatski, Il est difficile d’être un dieu, [Трудно быть богом] publié en URSS en 1964, traduit en Français chez Denoël, Paris, en 1973.
[10] Faut-il dans ce nom voir une référence au très réel Tataouine des Bat d’Afs ?
[11] « Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi. »





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