
3
Jan
2018
Blâmer la Russie pour l’Internet « Égout » par Robert Parry
Source : Robert Parry, Consortium News, 18-10-2017
Alors que l’hystérie russe oscille de l’invraisemblable à l’absurde, presque tous les événements défavorables sont attribués aux Russes et on les accuse même d’avoir transformé « en égout » Internet et sa virginale pureté , rapporte Robert Parry.
Alors que le gouvernement américain offre des dizaines de millions de dollars pour combattre la « propagande et la désinformation » russe, il n’est peut-être pas surprenant que des « chercheurs » tels que Jonathan Albright du Tow Center for Digital Journalism de l’Université Columbia émettent l’accusation absurde que les Russes ont « fondamentalement transformé [Internet] en égout ».

Tombe du soldat inconnu à l’extérieur du mur du Kremlin à Moscou, le 6 décembre 2016. (Photo de Robert Parry)
Je suis sur Internet depuis 1995 et je peux vous assurer qu’Internet a toujours été un « égout » – en ce sens qu’il a été le théâtre de théories de conspiration folles, d’insultes personnelles répugnantes, de tabloïds « d’informations » pièges à clics, et à peu près tous les ignobles préjugés auxquels vous pouvez penser. Quoi que certains Russes aient pu faire ou n’aient pas fait en achetant 100 000 dollars d’annonces sur Facebook (27 milliards de revenus annuels pour Facebook) ou en ouvrant 201 comptes Twitter (sur les 328 millions d’utilisateurs mensuels de Twitter), les Russes ne sont pas responsables de la boue qui se déverse au travers d’Internet.
Les Américains, les Européens, les Asiatiques, les Africains et pratiquement tous les autres segments de la population mondiale n’avaient pas besoin de l’aide russe pour transformer Internet en un « égout » informatif. Mais, bien sûr, l’équité et la proportionnalité n’ont pas leur place dans la frénésie actuelle du russie-gate.
Les Américains, les Européens, les Asiatiques, les Africains et pratiquement tous les autres segments de la population mondiale n’avaient pas besoin de l’aide russe pour transformer Internet en un « égout » informatif. Mais, bien sûr, l’équité et la proportionnalité n’ont pas leur place dans la frénésie actuelle du russie-gate.
Après tout, votre « organisation non gouvernementale » ou votre « groupe de réflexion » ne recevra probablement pas une partie des 160 millions de dollars que le gouvernement américain a autorisés en décembre dernier pour contrer la « propagande et la désinformation » russes si vous expliquez que les Russes sont tout au plus responsables d’un minuscule filet d’eaux usées par rapport aux énormes fleuves de boue provenant de nombreuses autres sources.
Si vous mettez la controverse russe dans le contexte, vous ne risquez pas d’avoir votre « recherche »citée par le Washington Post comme Albright l’a fait jeudi parce qu’il aurait trouvé quelques liens sur le site de décoration de maison / mode Pinterest vers quelques articles qui proviennent de quelques-uns des 470 comptes Facebook et des pages que Facebook suspecte d’avoir un lien vers la Russie et qu’il a fermés. (Pour mettre ce nombre de 470 en perspective, Facebook a environ deux milliards d’utilisateurs mensuels.)
La citation complète d’Albright sur les Russes qui auraient exploité différentes plateformes de médias sociaux sur Internet était la suivante : « Ils sont allés dans tous les médias possibles et en ont fait un égout. »
Mais regardons les faits. Selon Facebook, les comptes dits « liés à la Russie » ont acheté 100 000 $ de publicité entre 2015 et 2017 (contre environ 27 milliards de dollars de revenus annuels), seulement 44% de ces publicités apparaissant avant les élections de 2016 et beaucoup ayant peu ou rien à voir avec la politique, ce qui est curieux si le but du Kremlin était de contribuer à faire élire Donald Trump et à vaincre Hillary Clinton.
Même l’ancien stratège politique de Clinton, Mark Penn, a reconnu l’absurdité de penser que des montants si médiocres pouvaient avoir un impact sur une campagne présidentielle de 2,4 milliards de dollars, plus les milliards de dollars consacrés aux conventions, aux débats, etc. Sur la base de ce que l’on sait sur les publicités de Facebook, Penn a calculé que « le montant réel de la propagande électorale [dans les États disputés] s’élève à environ 6 500 dollars. »
Dans un éditorial du Wall Street Journal de lundi, Penn a ajouté : « J’ai 40 ans d’expérience en politique, et cette annonce publicitaire russe, surtout après les élections, ne correspond tout simplement pas à une campagne soigneusement ciblée pour influencer les électeurs. Il faut des dizaines de millions de dollars pour délivrer des messages significatifs à la partie adverse de l’électorat. »
Chiots et Pokémon
Et puis, il y a ce contenu curieux. Selon le New York Times, l’un de ces groupes Facebook « liés à la Russie » était dédié aux photos de « chiots adorables ». Bien sûr, le Times s’est efforcé de détecter un motif sinistre derrière la page « chiots ».
De même, CNN s’est déchaîné sur sa propre « découverte » qu’une des pages « liées aux Russes » offre des cartes-cadeaux Amazon aux personnes qui ont trouvé des sites « Pokémon Go » près de scènes où des policiers ont tiré sur des hommes noirs désarmés – si vous nommez le Pokémon d’après les victimes.
« On ne sait pas ce que les personnes derrière le concours espéraient faire, sinon rappeler aux gens qu’ils vivaient près des lieux où ces incidents avaient eu lieu et les contrarier ou les énerver », a déclaré CNN, ajoutant :
« CNN n’a trouvé aucune preuve que des utilisateurs de Pokémon Go aient tenté de participer au concours, ou que l’une des cartes-cadeaux Amazon promises ait jamais été attribuée – ou même que les personnes ayant conçu le concours aient jamais eu l’intention d’attribuer les prix. »
Ainsi, ces Russes ignobles exploitent des « chiots adorables » et veulent « rappeler aux gens » les victimes désarmées de la violence policière, clairement une stratégie magistrale pour saper la démocratie américaine ou – selon le récit original du Russie-gate – pour élire Donald Trump.
Un article paru dans le New York Times mercredi a reconnu une autre vérité dérangeante qui a involontairement ajouté plus de perspective à l’hystérie du russie-gate.
Il s’avère que certaines des organisations de « vérification des faits » préférées des grands médias hébergent des publicités Google qui ressemblent à des nouvelles et amènent les lecteurs vers des sites factices maquillés pour ressembler à People, Vogue ou à d’autres fournisseurs de contenu légitimes.
« Aucune des histoires n’était vraie », a rapporté le Times. « Pourtant, pas plus tard que la semaine dernière, ils ont été promus avec des publicités éminentes servies par Google sur PolitiFact et Snopes, des sites de vérification des faits créés précisément pour dissiper de tels mensonges. »
Il est évident que PolitiFact et Snopes profitent de « fausses nouvelles » en gagnant de l’argent avec ces publicités Google. Mais cette réalité souligne également la plus grande vérité qui est que les articles de presse fabriqués – que ce soit des mensonges à propos de Melania Trump ou d’une nouvelle célébrité très populaire ou des intrigues russes – sont principalement motivés par le profit.
La vérité sur les fausses nouvelles
Parfois, les médias traditionnels américains reconnaissent même ce fait. Par exemple, en novembre dernier, le New York Times, qui refourguait alors le thème des « fausses nouvelles » liées à la Russie, publiait un article relativement sérieux sur un important site Web de « fausses nouvelles » que le Timesa retrouvé. Il s’est révélé être l’effort d’entrepreneuriat d’un étudiant géorgien au chômage utilisant un site Web à Tbilissi pour gagner un peu d’ argent en faisant la promotion d’histoires pro-Trump, qu’elles soient vraies ou non.
Le propriétaire du site, Beqa Latsabidse, 22 ans, a déclaré qu’il avait d’abord tenté de publier des articles favorables à Hillary Clinton, mais que cela s’est avéré non rentable. Il a donc publié des articles anti-Clinton et pro-Trump, y compris des histoires inventées. En d’autres termes, le Times n’a trouvé aucune connexion russe.
L’article du Times du mercredi a révélé le problème supplémentaire des publicités Google placées sur les sites Internet grand public conduisant les lecteurs à des sites d’information bidon pour obtenir des clics et donc des dollars publicitaires. Et, il s’avère que PolitiFact et Snopes profitaient au moins involontairement de ces entreprises en lançant leurs publicités. De plus, il n’y avait ici aucune revendication de « liens » russes. Il s’agit tout simplement de bonne vieille cupidité américaine.
Mais le plus grand problème d’Internet est que de nombreux sites de nouvelles « réputés », comme AOL, incitent le lecteur à cliquer sur un titre sensationnel ou trompeur, ce qui le conduit à lire une histoire qui est souvent celle d’un tabloïd poubelle ou une exagération extrême de ce que le titre promettait.
Il faut tenir compte de cette réalité d’Internet, et du contexte plus large dans lequel l’histoire du Russie-gate se joue, par rapport à la nature insignifiante de cette « ingérence » russe, même si ces « liens… présumés vers la Russie » – comme le Times a d’abord décrit les 470 pages Facebook – sont avérés.
Mais il n’y a pas de financement lucratif pour des « chercheurs » qui mettraient le filet d’eau des prétendues « égouts » russes dans le contexte de l’énorme flux de boue qui circule sur internet même à travers les sites réputés de « vérification des faits », de PolitiFact et Snopes.
Il y a aussi davantage de ventes de journaux et de meilleurs taux d’écoute à la télévision si les médias grand public continuent d’ouvrir de nouveaux horizons sur le Russie-gate, même si certains des vieilles histoires disparaissent, jugées sans importance ou dénuées de sens (comme par exemple le Comité sénatorial du renseignement qui rejette les controverses antérieures au sujet de la brève rencontre du sénateur Jeff Sessions avec l’ambassadeur de Russie à l’hôtel Mayflower, et des changements mineurs sur la plate-forme républicaine).
Ceux qui disent que ce qui est « Faux » est « Vrai »
Et il y a la question de savoir qui décide de ce qui est vrai. PolitiFact continue de défendre sa fausse affirmation selon laquelle Hillary Clinton disait la vérité quand – en faisant référence à des courriels démocrates qui ont fuité en octobre dernier – elle a affirmé que les 17 agences de renseignement américaines « ont toutes conclu que ces attaques d’espionnage, ces cyberattaques, proviennent des plus hauts niveaux du Kremlin et qu’elles sont conçues pour influencer notre élection. »

Le directeur du Renseignement national, James Clapper (à droite), s’entretient avec le président Barack Obama dans le bureau ovale, en présence de John Brennan et d’autres agents de la sécurité nationale. (Crédit photo : Bureau du directeur du renseignement national)
Cette affirmation a toujours été fausse parce qu’une référence à un consensus des 17 organismes de renseignement suggère une estimation du renseignement national ou un produit semblable, qui cherche à obtenir les jugements de l’ensemble de la communauté du renseignement. Aucune étude du NIE ou communautaire n’a jamais été réalisée sur ce sujet.
Ce n’est que plus tard – en janvier 2017 – qu’un petit sous-ensemble de la communauté du renseignement, ce que le directeur du renseignement national James Clapper, qualifie d’analystes « triés sur le volet » de trois agences – la CIA, la National Security Agency et le Federal Bureau of Investigation – ont émis une « évaluation » accusant les Russes tout en reconnaissant un manque de preuves réelles.
En d’autres termes, « l’évaluation » du 6 janvier était comparable à un renseignement « cloisonné » qui a influencé de nombreux jugements erronés de l’administration du président George W. Bush. Dans le renseignement « cloisonné », un groupe sélectionné d’analystes est enfermé et développe des jugements sans le bénéfice d’autres experts qui pourraient offrir des preuves contradictoires ou remettre en question la pensée de groupe.
Ainsi, à bien des égards, la déclaration de Clinton était le contraire de la vérité à la fois quand elle l’a dit en 2016 et plus tard en 2017 quand elle l’a répété en référence directe à l’évaluation du 6 janvier. Si PolitiFact se souciait vraiment des faits, elle aurait corrigé son affirmation précédente selon laquelle Clinton disait la vérité, mais l’organisation de vérification des faits ne bougera pas – même après que leNew York Times et l’Associated Press auront effectué des corrections.
Dans ce contexte, PolitiFact a montré son mépris même pour des preuves concluantes – le témoignage de l’ancien DNI Clapper (corroboré par l’ancien directeur de la CIA John Brennan) que l’affirmation de 17 agences était fausse. Au lieu de cela, PolitiFact était déterminé à empêcher la fausse déclaration de Clinton d’être décrite pour ce qu’elle était : fausse.
Bien sûr, peut-être que PolitiFact souffre de l’arrogance de son statut d’élite en tant qu’arbitre de la vérité avec sa position sur le Premier Projet de coalition de Google, une collection de médias et de vérificateurs de faits qui décide quelles informations sont vraies et celles qui ne le sont pas – par des algorithmes qui excluent ou minimisent ce qui est considéré comme « faux ».
Donc, si PolitiFact dit que quelque chose est vrai – même si c’est faux – cela devient « vrai ». Il n’est donc pas tout à fait surprenant que PolitiFact collecte de l’argent des publicités Google placées sur son site par des annonceurs de fausses nouvelles.
Le journaliste d’investigation Robert Parry a révélé de nombreuses histoires de l’Iran-Contra pour The Associated Press et Newsweek dans les années 1980.
Source : Robert Parry, Consortium News, 18-10-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.


12 réponses à Blâmer la Russie pour l’Internet « Égout » par Robert Parry
Commentaires recommandés
Car comment croire qu’un peuple aussi éclairé, tant instruit, si exceptionnel, puisse avaler autant de bobards et de calembredaines…. hein, n’est-ce pas!