samedi 2 décembre 2017

Contre Pyongyang, l'arme du pétrole

2 décembre 2017

Contre Pyongyang, l'arme du pétrole

Les Etats-Unis s'efforcent de pousser Pékin à cesser d'approvisionner la Corée du Nord

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C'est le robinet de la Corée du Nord, et l'administration de Donald Trump voudrait le voir fermer. Construit dans les années 1970, long d'une trentaine de kilomètres, l'oléoduc " de l'amitié " relie la ville chinoise de Dandong à la raffinerie Ponghwa, probablement la seule opérationnelle du pays, en passant sous le fleuve qui marque la frontière. Il permet d'approvisionner la République populaire démocratique de Corée (RPDC) en brut tandis que, pour les livraisons de produits raffinés, des tankers font des allers-retours entre les ports du nord-est chinois et la côte nord-coréenne.
L'essentiel de la stratégie de la diplomatie américaine sur l'épineux dossier nord-coréen se trouve là. Washington est convaincu qu'assécher ces vannes placerait le régime au bord de l'effondrement, le contraignant à négocier son programme nucléaire et balistique. Et s'efforce donc de pousser la Chine à s'y résoudre, ce qui place au passage son principal concurrent stratégique en position d'arbitre.
Le tir, mercredi 29  novembre, d'un missile par la Corée du Nord, a remis le sujet sur la table du Conseil de sécurité des Nations unies. Une semaine après avoir été réinscrit par le gouvernement américain sur la liste noire des Etats accusés de soutenir le terrorisme, Pyongyang a procédé à son troisième essai de missile intercontinental, alors qu'il avait suspendu ses lancements depuis plus de deux mois. Quelques heures plus tard, le président américain s'entretenait par téléphone avec son homologue chinois, Xi Jinping, pour réitérer la demande de cesser entièrement les livraisons de pétrole à la Corée du Nord. " Ce serait une étape cruciale dans l'effort mondial pour arrêter ce paria international ", a soutenu l'ambassadrice américaine auprès de l'ONU, Nikki Haley.
" Besoin impérieux "Profondément agacée par le risque de déstabilisation de la région à l'heure de sa propre ascension, et désireuse de prouver qu'elle joue le jeu de la coopération internationale, la Chine a déjà fortement restreint cette année son commerce énergétique avec la RPDC. En février, elle avait annoncé la suspension de ses achats de charbon à son voisin jusqu'à la fin de l'année, une ressource qui représentait plus d'un tiers de l'ensemble des exportations nord-coréennes.
Puis Pékin a accepté, lors de la négociation de la résolution 2375 adoptée le 11  septembre par le Conseil de sécurité après le sixième essai nucléaire nord-coréen, de restreindre partiellement ses livraisons de pétrole à la RPDC. Ses ventes de produits raffinés ont été plafonnées à 2  millions de barils par an – contre 4,5  millions auparavant – tandis que les exportations de brut ne doivent pas dépasser leur niveau d'alors (4  millions de barils).
La Chine ne manque pas d'arguments pour ne pas aller plus loin. Il y a celui, technique, de cet oléoduc vétuste : le brut qui coule dedans est lourd en paraffine, qui risquerait de se figer si le flot cessait, rendant le pipeline peut-être définitivement impraticable.
Mais c'est surtout le risque humanitaire qui est évoqué : l'absence de pétrole pourrait être de nature à emporter l'économie dans son ensemble. " La Corée du Nord épuiserait rapidement ses réserves stratégiques et se retrouverait dans un besoin impérieux d'essence. C'est la sanction qui aurait le plus d'effet, c'est pour cela que c'est celle dont parle le plus l'administration américaine. Mais c'est pour cette raison aussi que la Chine s'inquiète d'une situation déstabilisatrice, et n'est pas prête à faire ce pas pour l'heure ", explique Christopher Hill, sous-secrétaire d'Etat pour l'Asie orientale et le Pacifique entre 2005 et 2009.
Les effets qu'aurait une telle suspension sont débattus. Le pays dans son ensemble dépend principalement de son propre charbon pour son énergie, même si la pénurie d'essence affecterait les transports et donc la disponibilité des biens et des aliments. Mais l'armée en particulier en a besoin. " Parce qu'on ne fait pas voler des avions de combat et circuler des chars au charbon. Pour l'entraînement de l'armée, il faut absolument du pétrole. Or, si vous ne conduisez pas un véhicule durant des mois, que se passe-t-il ensuite ? Il ne roule plus ", assure Cheong Seong-chang, un expert de la Corée du Nord à l'Institut Sejong de Séoul.
" Manger de l'herbe "Selon ce chercheur, les réserves de pétrole de l'Armée du peuple coréen sont de deux ou trois mois seulement. " Or, elle est une importante base de soutien pour Kim Jong-un. Si le mécontentement devait monter chez les généraux, leur loyauté à Kim Jong-un, et donc l'autorité du dirigeant, s'en trouverait sérieusement affectée ", estime M. Cheong.
Vladimir Poutine, opposé à cette mesure, considère au contraire, comme il l'a dit en septembre, que les Nord-Coréens " préféreront manger de l'herbe mais n'abandonneront pas leur programme s'ils ne se sentent pas en sécurité ". Le régime considère la dissuasion nucléaire comme une assurance-vie contre les menaces américaines, et en a fait un élément de fierté nationale. Il semble improbable qu'il y renonce.
Côté chinois, des chercheurs et une bonne partie de l'opinion considèrent qu'il est temps de lâcher ce fardeau anachronique qu'est devenue, à leurs yeux, la Corée du Nord. D'autres jugent qu'il reste utile d'avoir un épouvantail autant qu'un levier face aux Etats-Unis, et que la puissance chinoise n'a pas à se faire dicter sa conduite par Washington. D'autant que les Etats-Unis n'ont pas pris en considération une préoccupation stratégique de la Chine en déployant en Corée du Sud un système d'interception antimissile, le Thaad, dont les radars pourraient détecter les missiles de Pékin et donc affecter la dissuasion nucléaire chinoise.
Par ailleurs, derrière les déclarations d'admiration de M. Trump à l'égard de M. Xi, les Etats-Unis ne montrent jusqu'à présent aucun intérêt pour la proposition chinoise de sortie de crise : que Pyongyang cesse ses essais nucléaires et balistiques et que l'armée américaine renonce, en échange, à ses exercices militaires avec l'armée sud-coréenne.
Harold Thibault
© Le Monde

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