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dimanche 26 novembre 2017

L'onde de choc #metoo secoue les Etats-Unis

26 novembre 2017

L'onde de choc #metoo secoue les Etats-Unis

A l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, samedi 25 novembre, " Le Monde " décrypte les répercussions de l'affaire Weinstein, qui a déclenché une cascade de révélations dans le monde du spectacle, des médias et de la politique

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La chaîne CBS s'est voulue exemplaire. Quelques heures après la parution des premières accusations de comportement déplacé portées par huit femmes dans le Washington Post, elle suspendait Charlie Rose, le présentateur vedette de son journal du matin. Dès le lendemain, le journaliste était licencié. Dans leur première émission sans leur partenaire, mardi 21  novembre, ses deux coprésentatrices, Norah O'Donnell et Gayle King, ont affiché un professionnalisme sans faille, bien que l'affaire les affecte personnellement.
" Soyons parfaitement clairs, a dit la première. Il n'y a aucune excuse pour ce comportement supposé. C'est inacceptable. Point à la ligne. " En moins de vingt-quatre heures, Charlie Rose, quarante-trois ans de carrière, véritable icône du journalisme de télévision aux Etats-Unis, était tombé du piédestal où il trônait depuis une vingtaine d'années.
Aussitôt, les féministes ont dressé la liste des successeurs potentiels de l'homme -déchu. On n'y trouve que des " successeures " – l'actrice Rose McGowan, l'accusatrice numéro un d'Harvey Weinstein, s'est même mise sur les rangs. Signe que, dans le grand coup de balai actuel, c'est aussi de pouvoir qu'il est question. Les militantes de #metoo, qui manifestaient le 12  novembre à Los Angeles, l'affirmaient haut et fort. Il ne s'agit pas de sexe, sinon les riches et puissants s'en procureraient sans difficulté, " il s'agit de pouvoir ". Celui d'exhiber son sexe. Son genre. Sa toute-puissance, celle que les femmes contestent, de la Silicon -Valley, où le mouvement antisexiste a -commencé, à Hollywood, Wall Street et maintenant Washington.
Hollywood fait le gros dosSix semaines après les premières révélations sur le producteur de cinéma Harvey Weinstein, les têtes continuent de tomber aux Etats-Unis, et plus vite que jamais. Les médias publient des listes, sans cesse actualisées : 35 figures du monde culturel et politique, selon le décompte en date du 22  novembre, accusées de gestes déplacés, de harcèlement ou d'agressions.
John Lasseter, 60 ans, le créateur des films d'animation Pixar, a été mis en congé sabbatique par Disney mardi 21  novembre, pour avances sexuelles intempestives. La chute de Charlie Rose a donné un nouveau tournant à la saga entamée le 5  octobre avec les révélations sur le producteur d'Hollywood. Ceux qui se croyaient à l'abri, grâce à leur statut social ou à leur génie créatif, se découvrent à la merci du Tweet d'une assistante ou d'une stagiaire croisée dix ans plus tôt. Dans le New York Times, la chroniqueuse Maureen Dowd s'interroge : l'emballement actuel aurait-il eu lieu si Hillary Clinton était devenue la première femme dans le bureau Ovale, et si Donald Trump, visé par treize accusatrices – et qui s'est permis mardi de juger que ce déballage était une " très, très bonne chose pour les femmes " –, ne lui avait pas ravi la victoire ?
Revanche ou pas, les vannes sont ouvertes. Depuis mi-octobre, Harvey Weinstein, le fondateur de Miramax, n'a pas été vu en public. Il fait face à trois accusations de viol. L'acteur Kevin Spacey, le " président " au cynisme consommé de la série House of Cards, est, quant à lui, en traitement dans une clinique de l'Arizona. Louis C.K., l'humoriste en vogue sur les chaînes à péage, a été privé de tous ses contrats. Hollywood fait le gros dos. On s'y agite en coulisses pour essayer de sauver les apparences bien que certaines " unes " de l'Hollywood Reporter soient entièrement occupées par les accusations. On se demande ce qu'il -adviendra des Oscars, déjà " si blancs ", et contestés depuis plusieurs années pour leur indifférence aux minorités.
Dans les médias, plusieurs figures sont déjà tombées. Le New York Times a mis en congé son correspondant vedette à la Maison Blanche, Glenn Thrush. NBC a congédié Mark Halperin, accusé par cinq femmes de harcèlement. Michael Oreskes a -démissionné de la direction de l'information de NPR. L'intellectuel Leon Wieseltier, ancien éditeur du très respecté New -Republic, a dû s'excuser.
Une Bataille politiquePrise de conscience tardive ? Les médias donnent largement la parole aux femmes, sans les passer sur le gril du contre-interrogatoire. Ici, une chef d'entreprise relate les messages racoleurs envoyés par un investisseur, qui, éconduit, a mis en cause ses performances auprès du conseil d'administration. Là, une cadre décrit les gestes pornographiques d'un collègue alors qu'elle se penchait au-dessus de son bureau. Là aussi, la hiérarchie des accusations laisse à désirer. Mais peu importe. L'important semble être de faire comprendre que ce qui est vu par les uns comme une blague de vestiaire peut être ressenti par d'autres comme une humiliation, voire une agression. Et cela des décennies plus tard, car souvent les faits incriminés remontent à des années.
A Washington, l'onde de choc a dégénéré en pugilat. Dans un univers ultra-polarisé, la gauche et la droite s'accusent d'indignations sélectives. Mais contrairement aux médias ou à l'industrie du cinéma, on ne démissionne pas. Plusieurs élus ont été mis en cause, dont le vénérable représentant démocrate du Michigan, John Conyers, 88 ans, accusé de harcèlement par une ancienne assistante parlementaire, qu'il a indemnisée avec son budget de fonctionnement. Et son collègue républicain du Texas, Jœ Barton, qui, à 68 ans, a fait des selfies de son anatomie qui se sont retrouvés sur Twitter. Ce qui est après tout son droit, ont admis même les Saint-Just du harcèlement. L'ennui, c'est qu'il aurait menacé la bénéficiaire des photos de la signaler à la police du Capitole si elle dévoilait sa vie privée.
Emblème de l'embarras de la gauche : le sénateur du Minnesota Al Franken, l'enfant chéri des progressistes. Ancien comédien de l'émission satirique " Saturday Night Live ", lui aussi a découvert que l'humour de corps de garde était susceptible de se transformer en boomerang. Les faits qui lui sont reprochés ne sont pas extrêmes : il a fait une photo en faisant mine d'attraper la poitrine d'une présentatrice de radio endormie dans un avion militaire ; il a écrit un sketch où son rôle prévoyait d'embrasser la journaliste et il a essayé de faire une répétition… Mais dans le contexte #metoo, une partie des femmes du camp progressiste ont réclamé sa démission, estimant que la cause valait bien que le Parti démocrate sacrifie un siège de sénateur.
Mais la grande affaire, dans le milieu politique, est celle qui concerne le candidat républicain de l'Alabama à l'élection partielle du 12  décembre au Sénat. Roy Moore, 70 ans, un fondamentaliste chrétien, est accusé par quatre femmes – dont plusieurs républicaines – de les avoir sollicitées et caressées, alors qu'elles étaient mineures, il y a une quarantaine d'années. Malgré l'indignation générale, l'ancien juge a affirmé qu'il ne se retirerait pas. Donald Trump, dont la majorité ne tient qu'à un fil au Sénat, lui a accordé son soutien en ne cachant pas qu'il y va de l'adoption de son programme. Cinq semaines après le début de l'affaire Weinstein, le mouvement anti-harcèlement se trouve au centre de la bataille pour le contrôle de la Chambre haute du Congrès.
Corine Lesnes
© Le Monde

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