lundi 27 novembre 2017

La droite microscopique

27 novembre 2017
Laurent Joffrin
La lettre politique
de Laurent Joffrin

La droite microscopique

Telles les paramécies, la droite française se reproduit par scissiparité. C’est-à-dire par une forme de reproduction asexuée qui consiste à diviser un organisme pour en faire deux, lesquels se divisent à nouveau pour en faire quatre, etc. Ainsi, le parti LR s’était coupé en deux en juillet dernier pour produire les «reconstructeurs», qui viennent à leur tour de se scinder en deux pour donner naissance à Agir, l’embryon de formation lancé – sur le papier pour l’instant – par le député Franck Riester. Tandis que pour échapper à cette dissémination microbienne, Thierry Solère, questeur de l’Assemblée qui entend le rester, Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat auprès de Nicolas Hulot, et Gérald Darmanin, ministre du Budget, ont décidé de rejoindre directement La République en marche. Pour changer de métaphore, on constate ainsi que la droite républicaine se retrouve en miettes dans la soupe macronienne, avec un gros croûton qui surnage, le parti LR dont compte s’emparer Laurent Wauquiez. Nouvelle cuisine ou vieilles recettes ?
En principe, les paramécies conservent toutes le même ADN. C’est là que la comparaison s’arrête : cet éparpillement façon puzzle a pour origine un conflit sur le fond. Wauquiez, ses amis, ses alliés (dont la caméléonne Virginie Calmels, qui passe sans ciller du poste de numéro 2 d’Alain Juppé à celui de numéro 2 de Laurent Wauquiez) en tiennent pour une droite dure, simili-thatchérienne en économie et quasi lepéniste sur les questions identitaires. Les autres repoussent hautement cette perspective et cherchent leur salut dans une mue macronienne plus ou moins affirmée.
Au milieu de cette prolifération microscopique, Wauquiez n’a pas perdu d’avance. Comme le remarque fort justement Jean-François Kahn, il existe depuis toujours en France une droite dure, légitimiste, ou boulangiste, ou maurrassienne, ou nationaliste, ou liguarde dans les années 30, que le naufrage du pétainisme et le triomphe du gaullisme ont éclipsé pendant quelques décennies avant qu’elle renaisse, d’abord avec le Front national, puis au fil des raidissements divers de la droite française incarnés successivement par Marie-France Garaud, Charles Pasqua, Nicolas Dupont-Aignan, Eric Ciotti, Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé, François Fillon et maintenant Laurent Wauquiez. Dans cette restauration du conservatisme hard, version 2017, Wauquiez dispose d’un avantage certain : ses adversaires sont attirés par Macron comme des moustiques par un lampadaire ; et surtout le prétendant LR, cynique et agressif à souhait, adepte des formules au vitriol, a de toute évidence l’étoffe d’un animal politique. Les autres, à l’instar des paramécies, sont en politique des animalcules.

Et aussi

Gérard Filoche, dont on connaît les récents ennuis, répond longuement à un court texte de ma lettre où il était épinglé. Comme il est de mise, je publie volontiers sa missive :

«Laurent Joffrin, dans une récente «Lettre politique» me fait dire que "s’il y a des antisémites, c’est la faute du capitalisme". Il aurait dû mieux écouter ce que j’avais dit sur i24news la veille. Il faut dire, à sa décharge, que ce qui s’était passé ce soir-là ressemblait plus à une tentative de lynchage médiatique qu’à un entretien cherchant à cerner la moindre vérité. Loin de moi l’idée que le capitalisme ait été, historiquement, le seul responsable de l’antisémitisme. Je n’ignore bien sûr pas les massacres que les juifs qui se trouvaient sur le chemin de la première croisade, à la fin du XIsiècle, avaient dû subir, particulièrement en Rhénanie. Je sais que le roi de France Louis IX, dit Saint Louis, avait frappé les juifs de multiples interdits, qu’il avait ordonné que des milliers d’exemplaires du Talmud soient brûlés en place publique, qu’il avait obligé les juifs, dès l’âge de 12 ans, à porter une "rouelle" jaune, les désignant à la haine publique. Je ne méconnais pas, non plus, ce que les juifs ont eu à subir en Espagne au XVsiècle : les conversions forcées, les centaines de milliers de personnes condamnées au bannissement, les tortures et les exécutions des Marranes par l’Inquisition. J’ai toujours, par ailleurs, condamné l’antisémitisme de Staline qui fit aux juifs des procès aussi répugnants que ceux qu’il fit aux trotskistes et à tous ceux qui n’acceptaient pas l’écrasement de la révolution d’octobre 1917 par la contre-révolution stalinienne de la fin des années 1920 et des années 1930. Mais il existe une différence qualitative entre ces formes d’antisémitisme et l’antisémitisme d’Hitler. En les mettant sur le même plan, dans son pamphlet, Laurent Joffrin en vient, malheureusement, à banaliser Auschwitz. L’antisémitisme du Moyen Age ou de la Renaissance était un antisémitisme de type essentiellement religieux. L’antisémitisme de Staline était un relent de la Russie tsariste, la Russie des pogroms. Il l’utilisait pour conserver son pouvoir en flattant les sentiments antisémites de la partie la plus arriérée de la population russe, tout en continuant à organiser la terreur qui était le fondement de ce pouvoir.
«L’antisémitisme nazi était d’une tout autre nature. Il combinait l’idéologie raciale se réclamant de la biologie et du darwinisme social, avec la froide rationalité instrumentale et la technologie meurtrière du capitalisme. L’aboutissement de cette combinaison fut le massacre de 6 millions de juifs. Pour les nazis, à la différence de Torquemada, aucune conversion n’était possible, c’était la "race biologique" qui déterminait le sort des individus qui avaient le malheur de tomber entre leurs mains. Hitler ne serait jamais parvenu au pouvoir si les capitalistes allemands n’avaient pas vu en lui le seul rempart leur permettant de conserver le pouvoir économique, après la crise de 1929 et les formidables bouleversements sociaux qu’elle provoquait. Le livre d’Eric Vuillard, couronné par le dernier prix Goncourt,l’Ordre du jour, décrit avec une amère précision, comment, le 20 février 1933, les 24 plus importants capitalistes allemands (les dirigeants de BASF, de Bayer, d’Agfa, de Krupp, d’IG Farben, de Siemens, d’Allianz, de Telefunken…) avaient décidé de mettre dans la balance, tout leur poids financier, économique, politique et social pour permettre à Hitler d’accéder au pouvoir. Sans eux, Hitler ne serait devenu ni chancelier du Reich, ni Führer. Laurent Joffrin qui commençait son petit pamphlet contre moi par "Le trotskisme mène à tout, à condition d’en sortir" aurait sans doute mieux fait de réfléchir aux mots prophétiques que Trotski, exilé au Mexique, écrivait en 1938 : "Il est possible d’imaginer sans difficulté ce qui attend les juifs dès le début de la future guerre mondiale. Mais, même sans guerre, le prochain développement de la réaction mondiale signifie presque avec certitude l’extermination des juifs." Qui d’autre, alors qu’il était minuit dans le siècle, avait su faire preuve d’une telle perspicacité ? Gérard Filoche.»

J’entends bien la réponse que me fait Gérard Filoche, même si je trouve grotesque qu’il me reproche de «banaliser Auschwitz», dont je ne parle pas, comme si le fait de rappeler que l’antisémitisme a plusieurs sources les mettait toutes sur le même plan. Sa connaissance de l’antisémitisme, en tout cas, aurait dû lui éviter les propos sommaires qu’il a tenus à la télévision (dans un débat violent, il est vrai) et, surtout, aurait dû le conduire à maîtriser son fil Twitter au lieu de laisser diffuser sous sa responsabilité un message clairement antisémite issu de la mouvance d’Alain Soral, qui lui a valu son exclusion du Parti socialiste.
LAURENT JOFFRIN
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