samedi 4 juillet 2015

Les Crises.fr - Grèce : Ruth Elkrief, représentante de la Troïka, questionne Jacques Sapir

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4
Juil
2015

Grèce : Ruth Elkrief, représentante de la Troïka, questionne Jacques Sapir

Le lundi 29 juin au soir, Ruth Elkrief recevait, sur le plateau de BFMTV, l’économiste Jacques Sapir. Ce dernier, connu pour ses positions hétérodoxes, entre autres et notamment sur la question de la construction européenne et de l’Euro, a pu faire entendre un autre son de cloche que celui auquel nous avons été accoutumés ces derniers jours. Tant mieux pour le pluralisme.
Mais, et quand bien même il ne s’agit pas ici de juger du bien-fondé des opinions de Jacques Sapir, force est de constater que les questions posées par Ruth Elkrief ne ressemblaient guère à celles d’une intervieweuse, mais plutôt à celles d’une avocate des institutions européennes. Un cas exemplaire de ces interviews « made in Troïka », dont la motivation principale ne semble pas être celle d’informer, mais plutôt de défendre un point de vue anti-Tsipras sous couvert de « questions » largement inspirées par les aficionados de l’eurocratie.
Peut-être dira-t-on que Ruth Elkrief se fait l’avocate du diable. Mais la ressemblance avec une procureure ne laisse planer aucun doute : elle se comporte en attachée de presse de la Troïka. Démonstration avec une transcription intégrale des questions qu’elle a posées à Jacques Sapir [1].
- Ruth Elkrief : « Bonsoir Jacques Sapir, merci d’être l’invité de BFM TV, vous êtes directeur d’études à l’École des Hautes Études, et vous approuvez l’initiative d’Alexis Tsipras de faire ce référendum prévu dimanche sur la proposition européenne sur laquelle on va revenir. Est-ce qu’Alexis Tsipras est courageux ou irresponsable ? »
Une belle entrée en matière.
Et la suite est encore plus savoureuse :
- Ruth Elkrief : « Est-ce que ce n’est pas un aveu de faiblesse [de Tsipras] ? C’est Jean-Dominique Giuliani de la Fondation Robert Schuman qui dit “ça n’a rien à voir avec la démocratie c’est un aveu de faiblesse, qui emprunte tout aux techniques de rupture dont Tsipras est issu, qui laisse à penser que, parvenu au pouvoir sur les décombres d’un système politique à bout de souffle, il ne veut pas l’exercer. Il prend le peuple grec en otage en lui demandant de se prononcer sur un texte qui n’existe pas, faute d’avoir été capable de conclure une négociation sérieuseavec ses créanciers” ».
Remercions « Jean-Dominique Giuliani de la Fondation Robert Schuman », qui a permis à Ruth Elkrief de poser une question des plus innocentes, destinée de toute évidence à informer, en toute objectivité, les téléspectateurs de BFMTV.
- Jacques Sapir : « (…) Les Grecs sont abreuvés d’informations depuis maintenant cinq mois, et ils vont pouvoir donner leur avis… ».
- Ruth Elkrief : « Et ils auront peut-être un gouvernement qui va faire une campagne en cinq jours contre l’accord ».
Un gouvernement qui prend partie dans une campagne référendaire ? Voilà qui ne pourrait guère se produire dans nos contrées.
- Jacques Sapir : « (…) S’il y avait eu de vraies négociations on n’en serait peut-être pas arrivés là, mais ça, ça n’a pas dépendu ni de Tsipras ni de Varoufakis ».
- Ruth Elkrief : « Alors Jean-Claude Juncker dit l’inverse évidemment, il s’estime trahi, lâché et, on l’a entendu avec Michel Sapin tout à l’heure, Michel Sapin dit “on a fait beaucoup d’efforts, on a proposé que la retraite soit au même âge, que le départ à la retraite soit au même âge que dans de nombreux autres pays, qu’on augmente la TVA parce qu’elle est inférieure dans certaines parties de la Grèce à ce qu’on paye en France, et on allait parler de la dette, on allait parler de la restructuration de la dette, c’était sur la table“. Donc il nous a joué un tour, enfin il ne l’a pas dit, mais je pense qu’il le pensait (sic), il est parti de la table des négociations alors que tout était là  ».
Notons que Ruth Elkrief se réfugie de nouveau derrière deux témoins des négociations en cours, dont les positions éclairent, sans aucun parti pris, les enjeux du débat. Notons aussi, et surtout, que l’intervieweuse, à force de ne pas assumer ses propres positions, en arrive à « penser ce que pense » Michel Sapin, sans craindre de frôler le ridicule.
- Jacques Sapir : « (…) D’une certaine manière, quand Monsieur Tsipras et Monsieur Varoufakis ont proposé un plan fiscal qui allait au-delà des demandes… »
- Ruth Elkrief (l’interrompt) : « Non mais là-dessus, là-dessus, vous savez ce qu’ils [J-C. Juncker et M. Sapin ?] disent : allez-y, mettez au point ce plan fiscal, ça fait quatre mois et demi, les armateurs, l’Église, y’a rien qui est… enfin c’est ça, on n’a rien vu venir ! »
« On » ?
- Ruth Elkrief : « Mais comment est-ce que l’Eurogroupe peut avoir confiance dans une réforme fiscale qui ne prend… »
- Jacques Sapir (l’interrompt) : « Comment les Grecs pourraient-ils avoir dans ce cas-là confiance dans le parole de l’Eurogroupe ? C’est exactement le même problème. »
- Ruth Elkrief : « Enfin, c’est différent mais, si vous voulez, bien sûr. Mais en tout cas le sentiment est que depuis que Tsipras est arrivé tout était à l’arrêt, que les banques sont au bord du dépôt de bilan, que les ménages grecs ne remboursent plus leurs crédits puisque Syriza a annoncé qu’il empêcherait les saisies, et donc qu’il y a une sorte de laxisme dans l’État qui suscite la méfiance ».
Rien à voir avec une sorte de laxisme journalistique, qui ne peut que susciter la confiance.
- Jacques Sapir : « (…) Peut-être que l’Eurogroupe peut ne pas avoir confiance dans le plan fiscal proposé par Alexis Tsipras, mais comment voulez-vous que Monsieur Alexis Tsipras et Monsieur Yanis Varoufakis aient la moindre confiance dans des proclamations sur “oui on va…” »
- Ruth Elkrief (l’interrompt) : « Bah tout simplement parce que l’Eurogroupe allonge l’argent. Tout simplement ! »
Nous y voilà. Tout simplement.
- Jacques Sapir  : « (…) Si on a traité la question de la dette, la Grèce n’a plus besoin d’argent puisqu’elle est en excédent primaire, vous voyez, ce qui veut dire aussi que la Grèce a bien fait un effort considérable ! Combien y a-t-il de pays qui sont en excédent primaire dans l’Union européenne ? »
- Ruth Elkrief : « Pas la France en tout cas. Mais Jacques Sapir, ce qu’on entend aussi d’un certain nombre d’économistes favorables au plan de l’Eurogroupe, aux Européens (sic), c’est qu’aujourd’hui on pourrait restructurer la dette, éventuellement on pourrait en discuter, mais si les réformes de l’Eurogroupe ne sont pas faites, alors on crée la dette de demain, et donc on ne règle rien, on continue à creuser cette dette pour les cinquante prochaines années ».
Remercions « un certain nombre d’économistes favorables au plan de l’Eurogroupe », qui ont permis à Ruth Elkrief de poser, de nouveau, une question des plus innocentes, destinée de toute évidence à informer, en toute objectivité, les téléspectateurs de BFMTV.
- Ruth Elkrief : « Jacques Sapir, si dimanche les Grecs votent non, le pays sort de la zone Euro ».
- Jacques Sapir : « Pas nécessairement ».
- Ruth Elkrief : « En tout cas, c’est comme ça que ça se pose, c’est-à-dire qu’on a entendu y compris François Hollande dire tout à l’heure… »
- Jacques Sapir : « Ce sera une décision de l’Eurogroupe, ça ne sera pas la décision des Grecs ».
- Ruth Elkrief : « Ça sera interprété comme une décision de sortie de l’Euro ».
Interprété par qui ?
- Jacques Sapir : « À ce moment-là si vous voulez l’Eurogroupe peut faire toutes les interprétations qu’il veut, ce n’est pas la question posée, et le gouvernement grec continue de dire, je ne suis pas d’accord d’ailleurs avec lui là-dessus, mais il continue de dire qu’il entend rester dans la zone Euro. Il faut l’écouter ».
- Ruth Elkrief : « Ça voudrait dire quand même qu’il y a un risque de revenir à la drachme, qui est bien plus faible, qui serait bien plus faible que l’euro, et donc il y a un risque d’appauvrissement des Grecs ».
Grecs qui, il est vrai, se sont largement enrichis ces dernières années.
- Ruth Elkrief : « C’est aussi une vraie menace sur un certain nombre d’autres pays fragiles, alors pas la France, puisque les taux ont baissé aujourd’hui, mais l’Espagne, le Portugal, qui sont visés, qui sont ciblés. Et donc il y a aussi, peut-être, de la part d’Alexis Tsipras, une irresponsabilité dans ce domaine-là, c’est-à-dire de rejeter un peu le mistigri sur les autres pays ».
On en revient ainsi à la première question, avec la confirmation que celle-ci n’en était pas une : Alexis Tsipras est « irresponsable ».
- Ruth Elkrief  : « Merci beaucoup Jacques Sapir, merci pour toutes ces explications ».
Merci beaucoup à la Troïka, merci pour cette interview.
Notes
[1] Nous n’avons conservé les réponses de Jacques Sapir que lorsqu’elles permettaient de comprendre les questions de l’intervieweuse.
Source : Julien Salingue, pour Acrimed, le 2 juillet 2015.

42 réponses à Grèce : Ruth Elkrief, représentante de la Troïka, questionne Jacques Sapir

Commentaires recommandés.....


AikosLe 04 juillet 2015 à 00h55
Vous savez Olivier, le référendum ce n’est pas la démocratie: ce n’est qu’une des voies pour l’exercer.
Il faut dire aux gens qu’on les prend pour des cons pour qu’ils cessent de l’être.
La démocratie c’est sémantiquement le pouvoir du peuple et le peuple n’a pas de pouvoir s’il n’est pas informé. Le pouvoir du peuple avec nos médias abrutis et abrutissants, fait que le peuple n’est pas informé et ne décide de rien. On appelle les médias le cinquième pouvoir mais dans ils sont malheureusement trop souvent un pouvoir de naissance qui transforme le peuple en un troupeau de Panurge qu’on mène par le bout du museau.
Ne pensez pas que les gens ne sont pas dupes; ils le sont. Beaucoup pensent qu’être démocrate, c’est d’abord laisser voter le peuple. Ils ont tort. Être démocrate c’est d’abord vouloir que les gens savent. Ruth Elkrief est un détail mais l’affaiblissement du système éducatif et la nullité des journaux / de la télévision est inquiétante.
Me concernant, et je ne pense pas être le seul ici, je vous apprécie car vous avez à coeur d’informer les gens. C’est-à-dire que même quand vous avez tort, ça se sent que vous ne supportez pas de voir les gens trompés, abusés… vous avez une vraie empathie face à ce qui affaiblit l’esprit humain.
Une remarque toutefois: j’ai l’impression que parfois vous pensez que les élites sont d’abord des manipulateurs: avant de les fréquenter j’ai fait la même erreur. En vérité ils sont souvent sincèrement abrutis par leur arrogance et leur consanguinité.
Le monde va changer à cause de la technique à un degré inimaginable. Cela peut amener jusqu’à remettre en question ce que nous sommes et JAMAIS nous n’avons autant eu besoin d’une population éclairée. Or, nous une population sous la coupe de médias débiles, d’un système éducatif en perdition, incapable de pouvoir encore réellement réfléchir à cause des appels des écrans de plus en plus petits, de plus en plus présents… et les élites ne sont pas à la hauteur. Du tout.
Une des priorités est de fonder un média qui a vocation à éclairer, apporter de l’intelligence à la population et le distribuer gratuitement dans toutes les villes. En attendant vous devriez essayer de faire traduire vos articles en anglais aussi, vous gagnerez encore en notoriété.

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