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La Grèce va-t-elle transformer l’euro et l’Union européenne ?
MERCREDI, 25 MARS, 2015
L’HUMANITÉ
Photo : Louisa Gouliamaki/AFP
Alors que le bras de fer avec les marchés financiers se poursuit, retrouvez les points de vue de Frédéric Boccara, économiste, commission PCF, Alain Grandjean, économiste, membre
du conseil scientifique
de la Fondation Nicolas-Hulot et Stathis Kouvelakis, professeur
de philosophie politique au King’s College de Londres.
- Un grand espoir pour une autre Europe par Frédéric Boccara, économiste, commission PCF
Ce serait le début d’une transformation radicale en actes. Mais une transformation réaliste, à partir de ce qui existe déjà, dans les conditions de notre temps, comme le fut en son temps la Sécurité sociale, ou la nationalisation des banques à la Libération. La Grèce a obtenu un compromis temporaire qui peut permettre d’avancer… si la pression se développe sur des propositions ! C’est en cours du côté grec. La transformation de l’euro pourrait se faire, alors, si les autres peuples et pays s’impliquent. Transformation radicale. Car il faut changer les pouvoirs exercés sur la monnaie, les critères d’utilisation de celle-ci, mis aussi bien par les banques (la BCE ou les banques ordinaires) que par les entreprises, et les objectifs visés par la monnaie. Bref, une tout autre démocratie, ouvrant sur une autre société. La monnaie, c’est bien plus qu’un taux de change. Transformation possible, à condition de se placer dans un processus radical et graduel de luttes réelles et de batailles d’idées. Et c’est rassembleur, comme le montrent la victoire de Syriza et l’espoir créé autour, ou comme les premiers succès de la campagne menée par le PCF : « Je rêve d’une banque qui » ou « Blockupy : contre la BCE ».
C’est réaliste avec les trois propositions : rachat des dettes publiques par la BCE sans qu’elle pose des conditions anti-sociales, création d’un fonds européen solidaire pour le développement économique, social et écologique et une tout autre, sélective, du refinancement de la BCE, proposition portée aussi bien par Syriza que par le PCF en France, Die Linke (Allemagne), Izquierda Unida (Espagne) ou par le Parti de la gauche européenne (PGE). C’est d’autant plus réaliste qu’avec la gravité de la situation, la BCE a décidé d’injecter 1 140 milliards d’euros nouveaux. À partir de l’exigence grecque, discutons de ce que la BCE peut consacrer à chacune de ces trois composantes (dettes, fonds, sélectivité). Face au chômage, à la désespérance et à l’extrême droite, la France devrait proposer aux autres gouvernements d’annoncer dès demain la création de ce fonds de développement européen écologique et social. Cette première étape ouvrirait la voie à la construction d’un mouvement majoritaire en Europe, pour une modification des traités, vers une refondation de la construction européenne. Il suffit même de quelques pays pour engager une coopération rapprochée en ce sens. La victoire de Syriza en Grèce a effectivement créé un grand espoir dans toute l’Europe. Elle s’est faite sur une ligne politique « Contre l’austérité, transformer l’euro », et non en sortir. C’est cela qui crée un grand espoir et question d’une autre Europe. D’où toute la bataille médiatique des sociaux-libéraux pour prétendre que le gouvernement grec actuel se serait couché et, de l’autre, les adeptes du « tout ou rien ». Il ne resterait donc qu’à se coucher ou à tout casser, à sortir pour chercher des solutions nationalistes, de guerre économique renforcée entre pays d’Europe.
Au-delà de la solidarité nécessaire, entrons avec la Grèce dans la bataille pour un autre euro en organisant à partir des débuts actuels de mobilisation une campagne européenne de masse sur cette proposition de fonds européen pour les services publics et pour une autre action de la BCE.
- Retrouver les bases d’une construction coopérative par Alain Grandjean, économiste, membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas-Hulot
Au plan économique, on a pu constater que la convergence des économies au sein de la zone euro était un leurre. Le système en place ne permet pas de compenser les différentiels d’inflation qui s’installent, et les écarts de compétitivité ne font que s’accroître. La seule « méthode » imaginée pour les résorber est celle de la déflation salariale et de la baisse des programmes sociaux, dont on voit les effets en Grèce.
Il est donc plus que temps de tirer les leçons de cette expérience en vraie grandeur dont nos amis grecs paient un prix insupportable. Envisageons, comme plusieurs économistes, dont Gaël Giraud, une évolution vers un euro commun (pour toutes les transactions à l’extérieur de la zone) et la possibilité de mécanismes négociés de fixation de parités monétaires intra-zone. Cela ne provoquerait pas le défaut souverain des pays qui dévalueraient leur euro national. Car le droit international autorise les pays à libeller dans une nouvelle devise la dette contractée dans leur monnaie nationale.
Cela provoquerait sans doute la faillite de banques surendettées, sanction normale, aujourd’hui retardée par les extraordinaires distorsions de marché dont elles bénéficient. Et ce serait surtout une bonne manière pour les dirigeants européens de sortir du dialogue de sourds, pour les pays de l’eurozone de moins dépendre des caprices des marchés financiers et de retrouver les bases d’une construction coopérative, sens profond de l’aventure européenne.
- Une contradiction insurmontable par Stathis Kouvelakis, professeur de philosophie politique au King’s College de Londres
Tout cela a malheureusement été contredit au cours des semaines qui ont suivi la victoire de Syriza. Le 4 février, la BCE a coupé le principal guichet de financement des banques grecques, accélérant un mouvement déjà amorcé de retrait de l’épargne et conduisant les banques grecques, déjà fort mal en point, au bord du gouffre. Les créanciers ont immédiatement fait comprendre qu’ils ne voulaient pas entendre parler d’« annulation » de la dette, et l’idée d’une conférence de type de celle de 1953 a aussitôt été remisée. Il était évident que les dirigeants de l’UE s’opposaient catégoriquement au « programme de Thessalonique » et n’ont cessé de marteler que la Grèce devait « tenir ses engagements ». Le gouvernement Syriza s’est ainsi retrouvé dos au mur, sans autre choix que d’accepter de signer, le 20 février, un accord qui compromet gravement la mise en œuvre de son programme. Les concessions les plus graves portent sur trois points : reconnaissance de l’intégralité de la dette et de l’obligation de la payer ; engagement de s’abstenir de toute « mesure unilatérale » qui remettrait en cause le cadre existant et/ou les objectifs en matière de « stabilité financière » et d’excédents budgétaires ; obligation de collaborer avec les « institutions », nouveau nom de la troïka, dont le feu vert est une condition sine qua non de tout déboursement d’aide financière. De plus, dans la « liste des réformes » envoyée dans la foulée, le gouvernement grec s’est engagé à poursuivre les privatisations et à réformer le secteur public à dépenses constantes.
Certes, deux projets de loi (sur la crise humanitaire et le règlement des arriérés d’impôts) ont depuis pu être votés, malgré l’avis négatif de Bruxelles, mais il s’agit de versions drastiquement réduites de ses engagements en la matière. Et le « supplice de la goutte » de la BCE continue, conduisant l’économie grecque à l’asphyxie et l’État à une situation d’insolvabilité. Si le gouvernement grec veut donc éviter, lors du nouveau round de négociation, la répétition du recul de février, il devra explorer une voie alternative. Et admettre qu’en fin de compte, entre l’application de son programme et le maintien dans l’euro, il y a sans doute une contradiction insurmontable.
Dans l’Humanité du 17 mars, le ministre grec des Finances indiquait : « Nous avons été élus pour contester la logique politique du programme d’austérité. (…) Notre point de vue, comme gouvernement de gauche, est qu’il ne faut pas sortir de la zone euro. Nous n’aurions pas dû y entrer. Mais en sortir, dans les circonstances actuelles, (…) plongerait encore des millions de personnes dans la pauvreté. (…) Nous mettrons en œuvre notre programme de réformes et serons jugés sur cette base. »SOURCE: http://www.humanite.fr/la-grece-va-t-elle-transformer-leuro-et-lunion-europeenne-569305
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