En Arabie saoudite, Obama n'a pas eu un mot sur les droits de l'homme
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Barack Obama accueilli par le roi, le 28 mars à Riyad. | AP/Pablo Martinez Monsivais
Pas un mot sur les droits de l'homme ? Dans la salle de presse
où les conseillers de Barack Obama étaient venus faire le compte-rendu de
l'entretien du président vendredi 28 mars avec le roi Abdallah d'Arabie
saoudite, le temps est resté suspendu. « La rencontre
s'est focalisée sur les questions stratégiques et régionales »,
a plaidé l'un des officiels. Mais quand même, a repris un reporter, « pas un mot » ?
Cette
fois, le conseiller n'a pas pu éluder. « Non »,
a-t-il lâché. Les Etats-Unis sont « préoccupés » par les atteintes aux droits des
femmes, à la liberté religieuse et à la liberté d'expression, a-t-il indiqué,
mais ces sujets n'ont pas été évoqués pendant l'entretien qu'a eu M. Obama avec
le roi dans son ranch de Rawdat Khuraim, une oasis à 100 km au nord-est de
Riyad.
Aussitôt
la Maison Blanche a cependant fait savoir qu'avant de quitter Riyad, le
président Obama remettrait le prix du département d'Etat récompensant les
« femmes de courage » à la médecin, Maha Al-Muneef, directrice d'un
programme de lutte contre la violence domestique, cette militante n'avait pas
pu venir recevoir la récompense en mars à Washington des mains de Michelle
Obama. Un geste jugé timoré par les défenseurs des droits humains et par les
activistes saoudiennes interdites de conduite. Leur porte-parole Madiha Al-Ajrouch,
qui avait osé, dès 1990, défier l'interdiction de conduire, avait appelé à
profiter de la visite du président américain pour prendre le volant samedi. Mais aucune femme n'était visible
samedi au volant des 4x4 circulant entre les « malls » dans les
avenues de la capitale.
CRISE DE CONFIANCE
Si
le président américain n'a pas évoqué les droits de l'homme, c'est qu'il avait
déjà fort à faire avec les sujets sur lesquels les Saoudiens sont fâchés – les
relations entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite sont à leur plus bas niveau
depuis des décennies. Et, comme l'ont souligné ses aides, l'entretien n'a duré
que deux heures. Le dîner qui avait été annoncé quelques jours auparavant n'a
pas eu lieu. Les photographes ont noté que le roi, âgé de 89 ans, portait un
appareil respiratoire mais les Américains l'ont trouvé en« bonne forme » et parfaitement capable de conduite
une discussion« vigoureuse ».
Le dîner ne figurait pas sur l'agenda présidentiel diffusé la veille, ont-ils
souligné, il n'a donc pas été annulé.
Le
nouveau prince héritier, désigné jeudi par le roi, était présent. C'est un
autre demi-frère du roi, le prince Moqren, 69 ans, ancien chef des services de
renseignement et le dernier des fils du fondateur du royaume Ibn Saoud. Il
prendrait la succession en cas de défaillance du prince héritier en titre, le
prince Salman, 79 ans.
Depuis
les printemps arabes et le renversement de leur allié Hosni Moubarak, avec la
bénédiction de l'administration Obama, une crise de confiance s'est installée
entre Washington et Riyad, comparable à celle qui existe avec Israël, l'autre
pilier traditionnel de la politique américaine dans la région. Le fossé s'est
aggravé depuis l'engagement de vraies négociations avec l'Iran. Pour les
Saoudiens, la détente entre Washington et l'Iran est une menace existentielle.
Et Barack Obama ne s'engage pas assez dans la guerre que se livrent les rivaux
chiites et sunnites en Syrie.
LA CRAINTE D'UN DÉSENGAGEMENT
AMÉRICAIN
Plus
fondamentalement, l'ancienne coordonnatrice pour les transitions arabes au
département d'Etat Tamara Cofman Wittes voit « une
anxiété sous-jacente » qui
va au-delà des divergences de diagnostic sur les causes du « tremblement de terre politique » qui a ébranlé la région ou les moyens
de ramener la stabilité. Alors que la relation fonctionne depuis soixante-dix
ans sur l'équation pétrole contre sécurité, les Saoudiens craignent un
désengagement américain, à la faveur de la « révolution énergétique »
aux Etats-Unis. « Ils se
demandent quelles sont les conséquences de l'indépendance énergétique des
Etats-Unis sur leur volonté d'investir dans la sécurisation de
l'approvisionnement énergétique du Golfe ».
La
monarchie a manifesté son mécontentement en multipliant les gestes en direction
d'autres éventuels partenaires. Le prince héritier Salman s'est rendu il y a
quelques semaines en Chine, et au Pakistan, pays à l'arme nucléaire dont
l'exemple pourrait tenter les Saoudiens, ou du moins aiment-ils à en laisser
courir l'idée. La monarchie a élargi son rayon diplomatique. Elle s'est
investie dans le soutien à l'armée libanaise, et c'est à la France qu'a été
confié le contrat de 3 milliards de dollars pour équiper Beyrouth en armements
(ce qui a immédiatement suscité une visite à Riyad de l'ambassadeur américain
au Liban).
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la confiance avec son allié saoudien
Regarder nos explications La « relation privilégiée » entre
Washington et Riyad est-elle menacée ?
Obama
s'est employé à rassurer. Selon ses aides, il a démontré au roi que« les
intérêts stratégiques des deux pays restent alignés », quelles
que soient les divergences tactiques. Sur l'Iran, il a assuré qu'il « n'accepterait pas un mauvais accord ».
Sur la Syrie, le roi a rappelé son mécontentement d'avoir vu l'allié américain
renoncer abruptement aux frappes sur la Syrie fin aout 2013. Son invité a
répondu que l'attaque qu'il envisageait ne visait que la question des armes
chimiques et que celle-ci avait pu être considérée autrement.
« Le roi a dit en toute
franchise ce qu'il pense qui devrait fait en Syrie », a ajouté le responsable américain.
Les Saoudiens demandent l'autorisation de fourniture des armes anti-aériennes
et anti-char aux rebelles, mais les Américains ont mis leur veto, de peur
qu'elles ne tombent aux mains d'extrémistes.
« Les Américains doivent faire
plus »,
appelait vendredi un éditorial du journal Arab News,
proche de la famille royale. Officiellement, rien n'est sorti de la rencontre.
Sur la fourniture de missiles anti-aériens (manpads)« notre position n'a pas changé »,
a souligné la Maison Blanche, insistant sur le risque de prolifération. Mais la
configuration, elle, a changé. Du fait de la tension avec la Russie, l'échec de
la conférence de Genève II a peu de chances d'être réparé. La posture de Moscou
sur l'Ukraine « créée
les conditions pour l'aggravation du conflit de puissances interposées en
Syrie », estime Paul Salem, du Middle east institute de
Washington, un institut de recherche sur le Moyen Orient.
Dans un article paru
quelques heures avant l'arrivée d'Obama à Riyad, David Ignatius, le
chroniqueur diplomatique du Washington
Post, affirmait que la Maison Blanche envisage d'étendre son
programme clandestin d'entraînement des militants de l'opposition syrienne. Et
qu'il envisagerait même d'autoriser la livraison de « manpads » aux combattants. Les Saoudiens
proposent que les armes soient équipées de systèmes de traçabilité et de
verrous pour éviter qu'ils ne risquent d'être utilisés ultérieurement contre
les alliés. Obama a-t-il donné des assurances au Roi ?« Sa
visite a permis de donner un nouvel élan aux relations
américano-saoudiennes », se félicite Arab news.
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