La lutte contre la casse de l’industrie bretonne
vendredi 22 novembre 2013
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La multiplication de plans sociaux et des
fermetures en Bretagne est une catastrophe pour des dizaines de milliers de
salariés et leur famille. Sur les 70 000 emplois que comptait l’industrie
agro-alimentaire, il y a peu, 8000 sont déjà supprimés ou en voie de l’être,
auxquels il faut ajouter tous les emplois indirects de ce secteur. Et il n’y a
pas que l’agro-alimentaire. Alcatel menace de fermer le site de Rennes ;
dans la même ville, PSA supprime des postes.
Cette situation n’est pas limitée à la Bretagne.
D’autres régions et départements sont ou ont été récemment victimes de saignées
brutales d’emplois industriels : l’Alsace, le Gard, le Nord, le
Pas-de-Calais – la liste est longue. Par ailleurs, c’est l’ensemble du pays qui
subit depuis des années une hémorragie d’emplois dans pratiquement tous les
secteurs de l’économie. Ce qui a placé la Bretagne au centre du débat public,
c’est non seulement la gravité de la crise économique, mais aussi les
mobilisations auxquelles elle a donné lieu et le phénomène des « bonnets
rouges ».
Les directions de la CGT et du Front de Gauche
dénoncent à juste titre les manœuvres cyniques de la droite et du patronat, qui
cherchent à canaliser à leurs profits la colère des travailleurs bretons. Que
demandent, au fond, la FNSEA, le Medef et la droite ? Rien de très
nouveau : que l’Etat renfloue les caisses des entreprises et – ce qui
revient au même – « allège les charges patronales ». Autrement dit,
ils se livrent au classique chantage à l’emploi pour obtenir de l’Etat un
« pacte » sonnant et trébuchant. Et comme on pouvait s’y attendre,
François Hollande a immédiatement envoyé son ministre de l’Agriculture arroser
le grand patronat breton de chèques de plusieurs millions d’euros. Cela n’a
fait qu’ouvrir l’appétit des capitalistes, qui en réclament davantage.
Les dirigeants de la CGT, du PCF et du Parti
de Gauche (entre autres) ont donc raison de dénoncer ces manœuvres. Cependant,
c’est loin d’épuiser le problème que pose au mouvement ouvrier le phénomène des
« bonnets rouges ». Car le fait est que dans un premier temps au
moins, la droite et le patronat ont réussi à prendre la tête d’un mouvement
massif impliquant non seulement des petits patrons, commerçants, etc., mais
aussi des travailleurs menacés de perdre leur emploi. Autrement dit, les
organisations ouvrières ont été prises de vitesse.
Les manifestations du 2 novembre dernier, en
Bretagne, l’ont clairement montré. Ce jour-là, 20 à 30 000 personnes
défilaient, à Quimper, à l’appel – notamment – d’organisations patronales et de
droite. Or, au même moment, la « contre-manifestation » organisée à
Carhaix à l’appel de la CGT, du Front de Gauche et d’autres organisations
ouvrières réunissait 1000 personnes. A Quimper, il y avait des travailleurs et
leurs familles, qui constituaient le gros du cortège et dont la plupart
manifestaient pour la première fois de leur vie. A Carhaix, il y avait des
militants de gauche – sans les masses. Il faut le reconnaitre, en comprendre
les raisons et en tirer les leçons pour la suite de notre lutte.
On ne peut s’en sortir en dénigrant les
travailleurs qui ont participé à la manifestation du 2 novembre à Quimper. Ces
salariés et leurs familles sont menacés de tout perdre : leur travail,
leurs revenus, leur avenir. Ils cherchent, dans l’urgence, une solution
immédiate. Et que leur disent la droite et les patrons ?
« Mobilisez-vous à nos côtés contre les charges patronales, contre
l’écotaxe et pour obtenir des subventions publiques. En faisant céder le
gouvernement, nous pourrons maintenir l’activité industrielle et donc sauver
vos emplois ». C’est illusoire, bien sûr. Les patrons empocheront l’argent
de l’Etat – puis fermeront les sites s’ils ne sont pas assez rentables, ou
tailleront dans les effectifs et aggraveront l’exploitation des salariés restants.
C’est ce qu’ils font partout. Il n’empêche que pour des travailleurs qui
craignent de perdre leur emploi, le discours patronal peut sembler
« concret ». Et puisque c’est le propriétaire de l’entreprise qui
décide, au final, du maintien ou non de leur emploi, ils s’accrochent à ses
promesses démagogiques comme à la seule lueur d’espoir qui se présente à eux.
On nous répondra : « Et les
organisations syndicales de travailleurs ? N’ont-elles pas, elles, des
solutions conformes aux intérêts des salariés ? ». C’est le cœur du
problème. Les plans sociaux et les fermetures se multiplient depuis des années,
dans le pays, et tout particulièrement depuis le début de la crise économique
mondiale, en 2008. Cela a souvent donné lieu à des luttes courageuses et
acharnées, à l’initiative des syndicats. Mais malgré ces luttes, dans
l’écrasante majorité des cas, les patrons et les actionnaires ont eu le dernier
mot ; les travailleurs se sont retrouvés sur le carreau. C’est un fait –
et un fait qui est implicitement reconnu par la CGT, Solidaires et la FSU de
Bretagne, dans leur communiqué
du 30 octobre appelant à la manifestation du 2
novembre à Carhaix : « Les pans industriels de la région sont mis
à mal par des restructurations et des suppressions massives d’emplois dans tous
les secteurs. Les organisations
syndicales participent, à leur niveau, à freiner les conséquences de cette
catastrophe ».
Est-ce que cette déclaration est de nature à
rassurer les travailleurs bretons dont l’emploi est directement menacé ?
Evidemment pas. Elle correspond d’ailleurs à ce qu’ils observent depuis des
années dans tout le pays. Ils savent que les syndicats ouvriers sont de leur
côté, défendent leurs intérêts dans l’entreprise, mais aussi que face à
l’ampleur de la « catastrophe » économique, ces mêmes syndicats ne
sont parvenus – au mieux, et pas toujours – qu’à en « freiner » les
conséquences, ce qui n’empêche pas les salariés d’aller dans le mur.
Nous ne prétendons pas qu’il existe une
solution simple et immédiate à ce problème. L’économie mondiale est en proie à
une crise de surproduction d’une gravité inédite depuis les années 30. Les
économistes bourgeois parlent d’une crise de « surcapacité », ce qui
revient au même. Par exemple, la surcapacité de l’industrie automobile mondiale
est actuellement de l’ordre de 30 %. En clair, cette industrie peut
produire 30 % d’automobiles en plus que le marché ne peut en absorber.
Alors, comme l’expliquait Marx en son temps, les capitalistes n’ont d’autre
choix que de détruire des forces productives : fermer des entreprises,
licencier massivement, restructurer la production, la concentrer, etc. Et c’est
ce qu’ils font. Le site PSA de Rennes, par exemple, ne produit plus que 90 000
véhicules par an, contre 340 000 en 2005. Il en est à son septième plan social.
La situation est pire encore, si c’est possible, dans l’industrie
agro-alimentaire française, qui est depuis longtemps confrontée à la
concurrence internationale dans un contexte de surproduction massive.
Tant que l’économie reste sous le contrôle des
capitalistes, le mouvement ouvrier ne peut, au mieux, que « freiner les
conséquences de la catastrophe » sociale engendrée par la crise du
système, la plus profonde depuis les années 30. On peut résister,
éventuellement arracher des concessions, retarder une fermeture, obtenir de
« bonnes » indemnités de licenciement, limiter le nombre de
travailleurs licenciés, etc. – mais rien de plus. Toute l’expérience de ces
dernières années l’atteste. D’où la nécessité vitale, pour les grandes
organisations de la classe ouvrière, de remettre au cœur de leur programme la
revendication de l’expropriation des capitalistes, à commencer
par ceux qui menacent de fermer leur entreprise.
Revenons aux travailleurs qui, menacés de
perdre leur emploi, « soutiennent » leur patron qui réclame au
gouvernement des subventions publiques et des allègements de charges. On peut
et on doit leur expliquer que le patron joue double jeu, qu’il les trahira, qu’en
réalité il roule exclusivement pour lui-même et ses profits. Mais cela ne
suffit pas. Les travailleurs seraient en droit de nous répondre :
« Vous avez peut-être raison. Mais c’est le patron, le propriétaire de
l’entreprise, qui décide s’il la ferme ou non. De ce point de vue, on est dans
le même bateau que lui. Et s’il y a une chance qu’un geste de l’Etat retarde
cette fermeture, il faut la tenter. Et d’ailleurs, quelle est
l’alternative ? »
La seule alternative qui assurerait la
pérennité des emplois, c’est que les salariés et l’Etat deviennent
propriétaires de l’entreprise, que sa fermeture ne relève plus de la
décision du patron, autrement dit qu’il soit exproprié. Voilà le mot d’ordre
central qui devrait animer cette lutte. La CGT et le Front de Gauche doivent
revendiquer la nationalisation, sous le contrôle des salariés et de
leurs organisations, de toutes les grandes entreprises menacées de fermeture.
Les syndicats ouvriers de Bretagne – CGT en
tête – cherchent à reprendre la main et appellent les travailleurs à la
mobilisation dans tous les départements de la région, demain, soit une semaine
avant une nouvelle manifestation organisée par le patronat et ses
organisations. C’est évidemment ce qu’il faut faire pour tenter de briser
l’unité factice des travailleurs et du patronat bretons. Mais encore une fois,
quel que soit le succès de cette démarche, l’enjeu central de cette lutte
devrait être de mobiliser les salariés et la population sur des mots d’ordre
visant à briser l’emprise des capitalistes sur l’économie.
Le 16 novembre, Jean-Luc Mélenchon écrivait
sur son blog : « Nous traçons un chemin
sur le futur qui va à la racine des problèmes que rencontre le pays : la
question de la répartition des richesses et du système fiscal qui l’organise ».
En réalité, les racines de nos problèmes plongent plus encore profondément que
« la répartition des richesses » ; elles plongent dans la
propriété capitaliste des moyens de produire ces richesses. Celle-ci
détermine et limite nécessairement celle-là. Nous pourrons d’autant mieux
partager les richesses équitablement, rationnellement, conformément au progrès
social, que nous serons devenus maîtres, collectivement, des moyens de les
produire. Telle est la grande idée socialiste que la crise actuelle remet à
l’ordre du jour – et dont le mouvement ouvrier doit à nouveau se saisir.
Jérôme Métellus (PCF Paris 18e
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