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lundi 17 juin 2013

Affaire Tapie : l'implication de Nicolas Sarkozy est désormais au cœur de l'enquête

Affaire Tapie : l'implication de Nicolas Sarkozy est désormais au cœur de l'enquête

LE MONDE  • Mis à jour le 
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Nicolas Sarkozy, le 3 juin à Londres.
                           Nicolas Sarkozy, le 3 juin à Londres. | AFP/ANDREW COWIE

Le nom de Nicolas Sarkozy revient de manière récurrente dans les enquêtes judiciaires ouvertes sur l'arbitrage qui permit à Bernard Tapie, en juillet 2008, d'engranger 403 millions d'euros. Protégé par l'immunité qui couvre les actes liés à sa fonction présidentielle, M. Sarkozy pourrait toutefois avoir à répondre de son "activisme" dans le dossier lorsqu'il fut ministre de l'économie puis de l'intérieur, de 2004 à 2007.
Ex-administrateur du CDR, l'organisme chargé de gérer le passif de la banque, Patrick Peugeot l'a résumé devant la brigade financière, le 22 décembre 2011 : "Les affaires Tapie sont remontées en direction de la médiation puis de l'arbitrage chaque fois que M. Sarkozy en a eu le pouvoir, soit en sa qualité de ministre des finances, soit de président de la République."
En perquisitionnant au domicile de l'homme d'affaires, le 24 janvier, les enquêteurs ont eu confirmation des liens unissant les deux hommes. Outre la mention "déjeuner Sarkozy" trouvée dans l'agenda de M. Tapie à la date du 4 février, ils ont découvert deux courriers de condoléances à en-tête de la présidence de la République, datés des 1er et 2 mars 2010, signés du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, et de M. Sarkozy lui-même. A l'adresse de M. Tapie, qui venait de perdre son père, outre les formules d'usage, M. Sarkozy avait pris la peine d'ajouter à la main sous sa signature :"Ton ami. Je partage ta peine et celle de ta famille."
"NÉCESSAIREMENT INFLUENCER LA DÉCISION"
M. Sarkozy est désormais ouvertement soupçonné d'avoir, depuis au moins 2004, oeuvré en faveur d'une solution profitable à M. Tapie. Les policiers s'appuient notamment sur l'audition comme témoin, le 28 mars, de Pierre Condamin-Gerbier, ancien gestionnaire de fortune de la fiduciaire genevoise Reyl – qui abrita le compte caché de Jérôme Cahuzac.
M. Condamin-Gerbier a expliqué avoir déjeuné le "premier mercredi de février 2008" avec M. Tapie, qui envisageait alors de racheter le club de football du Servette de Genève. "Je lui ai demandé comment il allait financer le rachat du club. Il m'a répondu qu'il était absolument certain de percevoir une très forte somme d'argent ; somme "énorme" selon ses termes ; sans précision de montant, d'une décision qui serait rendue en sa faveur dans le cadre d'un arbitrage entre lui et le Crédit lyonnais", a assuré l'ex-cadre de Reyl.
Et d'ajouter : "M. Tapie m'a affirmé que Nicolas Sarkozy, dont il était très proche, lui devait quelque chose en retour de son soutien public dans le cadre de la présidentielle 2007 et que, du fait de son élection à la présidence de la République, M. Sarkozy allait nécessairement influencer la décision. M. Tapie avait la certitude que son conflit avec le Crédit lyonnais serait tranché en sa faveur. Dans le discours de M. Tapie, on sentait que ses affirmations sans ambiguïté s'appuyaient sur des certitudes et des éléments concrets.
Des déclarations à rapprocher des registres des entrées saisis à l'Elysée, qui attestent qu'au plus fort de l'arbitrage, entre mi-2007 et fin 2008, M. Tapie s'est rendu 22 fois à l'Elysée, pour quatre tête-à-tête avec le chef de l'Etat, les autres rendez-vous étant organisés avec ses collaborateurs, principalement le secrétaire général, Claude Guéant, et son adjoint, François Pérol.
"QUESTIONS ÉLECTORALES"
Cette proximité est confirmée par Jean-Pierre Aubert : l'ancien patron du CDR a déclaré à la Cour de justice de la République que, dès l'été 2004, M. Sarkozy, alors aux Finances, avait plaidé pour une médiation, de même que MM. Guéant et Pérol. Ancien directeur du cabinet de Christine Lagarde à Bercy, Stéphane Richard a également indiqué en juillet 2012 aux enquêteurs qu'il avait reçu de MM. Guéant et Pérol, entre-temps débarqués avec leur mentor de l'Elysée, "l'expression" d'un accord sur"l'examen de l'opportunité d'une entrée en arbitrage".
Lors de son audition le 23 mai par la CJR, Mme Lagarde a nié avoir évoqué le dossier Tapie avec l'Elysée, ajoutant : "Je ne me rappelle pas que M. Richard m'ait fait part d'un accord de M. Guéant ou de M. Pérol ou d'une objection" "Etablissez-vous un lien entre le choix d'aller à l'arbitrage et l'appel de M. Tapie, au printemps 2007, à voter pour M. Sarkozy ? ", ont insisté les juges de la CJR. "Les questions électorales ou préélectorales ont été absentes de ma réflexion au moment où j'ai pris mes décisions dans le contentieux Adidas", a dit Mme Lagarde.
Mais les magistrats de la CJR ont découvert que, en septembre 2007, le président du Crédit lyonnais, Georges Pauget, avait été sollicité par M. Pérol. "Il m'a confirmé que les pouvoirs publics voulaient régler le contentieux entre Bernard Tapie et le CDR par la voie de l'arbitrage", a révélé M. Pauget le 9 avril. Stupéfaite, Mme Lagarde a lancé à la CJR :"J'ignorais l'existence de cette conversation téléphonique. Personne ne m'en avait informée. (...) En conséquence, je m'interroge sur le rôle qu'a pu jouer M. Pérol dans ce dossier."

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