| | | | | | Bonjour . Être confronté au Covid-19, c'est désormais le quotidien de Gilles Pialoux, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon. Voici ses réponses aux questions de Rémy Buisine et des internautes. | | | | |
| | | | | | Quelle est la situation dans les hôpitaux aujourd’hui ? La situation a considérablement monté en tension. C'est-à-dire qu'il ne vous a pas échappé qu'on avait déjà programmé, depuis cette montée exponentielle du virus, disons depuis début septembre, qui a été effectivement progressive au début. Elle s'est accélérée et cette accélération progresse depuis ces derniers jours. Pour donner un exemple concret, en Île-de-France - l’une des régions les plus touchées - on prévoyait que la réanimation atteigne 100 % d’occupation par les malades Covid. Mais il faut comprendre qu'à côté, il y a d’autres malades à gérer. On attendait ça pour début novembre. [...] Pour début novembre, on sera probablement à 175 % de taux d’occupation des réanimations. Ça veut dire qu’il faut pousser les murs : transformer des unités qui sont normalement dédiées à des soins intensifs d’autres maladies en prise en charge des Covid graves. [...] Hier [avant-hier, NDLR], vers 11h du soir, j’ai reçu, comme tout le monde, une note du directeur de l’Agence régionale de santé qui nous expliquait qu’il fallait, pour le 3 novembre, trouver 1 775 lits. Je rappelle que la capacité de l’Île-de-France, c’est 1 000 lits. Donc on est déjà à 475 % d’augmentation prévus pour début novembre. [...] Il va falloir gérer une situation beaucoup plus complexe et brutale, surtout avec une soudaineté qui nous surprend même quand on est comme ici les mains dans le cambouis.
« C’est inaudible quand deux médecins s’écharpent sur un sujet scientifique »
Certaines personnes disent qu’on en fait beaucoup, qu’il n’y a « que » 2 600 personnes dans les services de réanimation sur 77 millions de Français. Le discours officiel a aussi pu être brouillé par certains médecins... Il y a eu plusieurs niveaux de confusion. J'ai essayé de ne pas y contribuer. Le premier était très politique : c’est le discours incompréhensible sur les masques. Gérer la pénurie. Il y a plusieurs commissions d’enquête parlementaire et des plaintes de justice, donc tout ça va être éclairé par l’histoire. Le deuxième niveau de confusion, ça a été le débat sur l’hydroxychloroquine, qui a complètement pourri cette première vague avec une désinformation, des notions contradictoires, des médecins qui pouvaient effectivement s’écharper sur des plateaux de télé…. [...] C’est inaudible pour quelqu'un d'avoir deux médecins, deux professeurs en train de s’écharper sur un sujet scientifique. Et puis il y a eu tout un courant cet été - parce qu’il ne se passait pas grand-chose - d'insouciance, « d’opinionisme ». [...] Tout le monde avait une opinion. [...] Je comprends que les chiffres puissent être discutés, mais les chiffres sont ce qu’ils sont. Imaginez que ce virus quand même, laisse 85 % des gens en forme ! Ce sont des gens qui n’ont soit pas de symptômes, soit des symptômes mineurs. | | | | |
| | | | | « Je vois des gens avec le masque sous le nez, c’est comme un préservatif sur les genoux ! » | | | | |
| | | | | Nous allons continuer à vivre longtemps avec les gestes barrières, les masques ? Je pense qu'on va vivre effectivement autrement, avec de l’aération. Je plaisante souvent en disant que finalement, on va vivre comme au ski cet hiver : on va apprendre à bouffer dehors, à se couvrir. [...] La prévention, c’est pas seulement le masque. On a fait une fixation sur le masque parce qu’on était en pénurie pendant la première vague. Maintenant, on en a, c'est l’absence de regroupements de personnes, c'est la ventilation des espaces clos, c'est le lavage des mains, c'est les solutions hydroalcooliques. Et puis ça va être l’utilisation des tests. On n’en parle pas, mais là, il manque une politique sanitaire des tests. [...] On ne sait pas quand on doit faire des tests, quand on doit en refaire. Je prends un exemple concret : pourquoi les footballeurs de Champions League ont le droit à un test tous les 5 ou 7 jours en fonction des équipes ? Pourquoi on n’a pas une politique qui dit que ceux qui sont en contact avec les personnes fragiles, il faut les dépister régulièrement ? Les travailleurs du soin, ceux qui travaillent dans les abattoirs, dans la sécurité physique, les personnels de ménage, ceux qui vivent à 6 dans un appartement ?
« On est très, très loin d’une immunité collective »
Quels sont les gestes à éviter ? Sur le site officiel de Santé publique France, il y a un tutoriel qui vous explique tout ce qu’il faut faire et ne pas faire avec le masque. Changer le masque chirurgical toutes les 4 heures, par exemple. [...] Tous les gens sont dans l'espace public avec le masque sous le nez ! Excusez-moi... Souvent, je plaisante avec ça, mais c’est comme si je mettais un préservatif sur les genoux ! [...] Le masque, quand il est bien utilisé, c’est comme un préservatif, c’est très efficace. C'est 100 % d'efficacité, mais très efficace. Après, le problème, c’est l’espace privé. C’est-à-dire que les gens font attention. [...] Mais quand ils rentrent chez eux, le week-end, ils se voient à 6, et les 6 ont vu la veille 2-3 personnes, etc. Et c’est comme ça qu’on fait des clusters !
Est-on loin de l’immunité collective ? L'histoire de l'immunité collective, c'est que là aussi, il y a eu des déclarations mal comprises parce qu’elles étaient fausses. Évidemment, C’est 4,5 % au mois de mai au niveau national. C'était plutôt autour de 10 % dans le Haut-Rhin, 9 % en Île-de-France, d’après l’étude EPICOV de l’Inserm. Ça veut dire qu'on est très, très loin d’une immunité collective, qui nous emmènerait avec un minimum de 60 %. Je vais faire juste un calcul de cuisine. Considérez que 5 % de la population a été touchée en mai, que ça a occasionné autour de 30 000 morts : si vous passez de 5 à 60 % (vous multipliez pas un facteur 12), il faudra accepter qu’on ait 300 000 ou 400 000 décès du Covid en plus si on laisse le virus circuler. Est-ce que les Français sont prêts à accepter ça ?
Est-ce qu'aujourd'hui, nous sommes prêts ? On n'a pas tiré les leçons de la première vague. En tout cas, nous ne sommes toujours pas préparés à cette soudaineté, à cette brutalité, à cette configuration de faire coexister les impératifs économiques, les libertés individuelles et ce virus nouveau. [...] C'est toujours compliqué de dresser des bilans en plein milieu d'une crise, mais non, on n'a pas tiré la leçon, c'est clair. | | | | |
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