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vendredi 31 juillet 2020

Coronavirus : des personnes âgées écartées des hôpitaux pendant la crise sanitaire en France - le 29.07.2020




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Coronavirus : des personnes âgées écartées des hôpitaux pendant la crise sanitaire en France



Des données, obtenues par la commission d’enquête parlementaire et que « Le Monde » a pu consulter, montrent qu’au pic de l’épidémie, les plus de 75 ans ont eu un accès limité aux services de réanimation.
Par  et  Publié le 29 juillet 2020 à 12h00, mis à jour hier à 05h28

Aux urgences de l’hôpital Lariboisière, à Paris, le 27 avril.

Les personnes âgées ont-elles été écartées de l’hôpital faute de place ? C’est l’une des questions les plus sensibles pour la commission d’enquête parlementaire sur la crise liée au Covid−19. Au cours des auditions, de nombreux témoignages l’ont suggéré mais des données inédites que Le Monde a pu consulter attestent que cela a bien été le cas dans certaines régions : au pic de la vague épidémique, les plus de 75 ans ont eu un accès limité aux services de réanimation.
Des chiffres − encore provisoires − de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) montrent que la semaine du 30 mars au 5 avril, seuls 14 % des patients admis dans ces unités avaient plus de 75 ans, alors qu’ils étaient encore près de 25 % début mars. Ce constat change peu d’une région à l’autre, sauf en Ile-de-France, où la part des personnes âgées s’est effondrée à 6 % cette semaine-là. Une semaine plus tôt, cette proportion n’était déjà plus que de 9 % et une semaine plus tard elle n’était remontée qu’à 10 %. L’âge médian des patients hospitalisés en réanimation reflète bien cette évolution : de 66 ans, il est tombé à 63 ans au pic épidémique, et même à 60 ans en Ile-de-France.
« Pour moi, l’interprétation est assez claire : il y a eu une forme de régulation. Sans le dire, des choix ont été faits », estime le député (Les Républicains) des Alpes-Maritimes Eric Ciotti, rapporteur de la commission d’enquête à l’Assemblée nationale. « Notre système de santé, contrairement à ce qui a été dit, a été débordé », poursuit-il en rappelant qu’en « temps normal, malgré les risques, un quart des patients en réanimation sont des personnes âgées ».

« Solution de facilité »

Ces chiffres ne sont cependant pas interprétés de la même façon par tous les acteurs du système de santé. « Il y a un biais important, car les malades ne sont pas les mêmes. Nous avons un profil de patient très déformé », estime Aurélien Rousseau, directeur de l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France, en rappelant qu’au début de la vague épidémique, toutes les opérations de chirurgie non urgentes ont été déprogrammées.
« Habituellement, les réanimations sont en partie occupées par les patients issus de l’activité chirurgicale, dont un grand nombre de personnes âgées », avance-t-il, en rappelant que le Covid−19 avait conduit en réanimation des patients parfois très jeunes.
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Jeudi 23 juillet, il a présenté aux députés des chiffres un peu différents, directement issus du système d’information pour le suivi des victimes renseigné au jour le jour par les médecins dans les situations d’urgence. « La médiane − 61 ans  n’a pas bougé », assure le haut fonctionnaire, en précisant que des investigations sont en cours pour mieux connaître le profil et le parcours des personnes hospitalisées.
Auditionnés mardi 28 juillet, les médecins urgentistes et les réanimateurs n’ont pas démenti les chiffres de la DGOS, tout en nuançant leur signification. « On n’a pas eu le sentiment de changer nos procédures de tri », a affirmé, Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d’urgence, en rappelant que la capacité à supporter l’intensité de soins est déterminante dans la décision de prise en charge. « Est-ce que les personnes âgées veulent qu’on leur impose ce marathon en sachant qu’elles vont s’écrouler au kilomètre un, deux ou trois ? », a-t-elle lancé aux députés, regrettant que le recours à l’hôpital soit parfois une « solution de facilité », pas toujours dans l’intérêt des patients qui finissent « dans un brancard dans les couloirs des urgences ».
Les médecins ont aussi admis leurs difficultés face à une maladie capable de clouer les patients en réanimation plusieurs semaines. « Imposer cela à un patient de 75 ou 80 ans, c’est complètement déraisonnable », a témoigné Eric Maury, président de la Société de réanimation de langue française, en rappelant que pour une pneumonie classique, la durée d’hospitalisation en réanimation est plutôt de quatre à cinq jours. « Au début, on a pris des patients comme ça », mais impossible pour eux de survivre à un tel « marathon », a-t-il insisté, en précisant qu’il ne contestait pas les chiffres de la DGOS ni leur interprétation.

SAMU embolisés

Dans un contexte où les services de réanimation franciliens affichaient complet, il y a pu avoir des « blocages », admet Marc Léone, secrétaire général adjoint de la société française d’anesthésie et de réanimation, également auditionné. Tout en assurant qu’aucune « consigne » n’a été donnée pour refuser des patients, il souligne aussi qu’un certain nombre de malades ont d’eux-mêmes renoncé à être réanimés. « C’est très subjectif, mais cette réflexion était bien présente », affirme-t-il au Monde.
Ce discours, les représentant des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) peinent cependant à l’entendre. Parfois livrés à eux-mêmes avec des patients dans un état grave, ils regrettent surtout que la situation des personnes âgées n’ait pas été une priorité dès le début de la crise. Elles « n’étaient pas identifiées, peut-être, comme la population la plus fragile et la plus à préserver », a témoigné Annabelle Vêques, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et de services pour personnes âgées.
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Confirmant qu’« avoir une place d’hospitalisation était parfois compliqué », notamment dans le Grand-Est elle a aussi souligné la difficulté à obtenir un interlocuteur. « Nous avons constaté que les SAMU étaient embolisés (…). Les appels parfois n’aboutissaient pas, et passé plusieurs jours, plusieurs semaines, certaines équipes étaient résignées », a-t-elle expliqué.
Le 21 juillet, Odile Reynaud-Lévy (Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social) avait raconté qu’au début de l’épidémie, des médecins coordonnateurs, « bien qu’ayant obtenu l’accord du centre 15 pour transférer certains résidents à l’hôpital », n’avaient jamais pu accéder aux urgences, sommés de retourner dans leur établissement d’origine. « Certains ont assisté aux décès de personnes âgées qui n’avaient pas pu être transférées », avait ajouté Nathalie Maubourguet (Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad), en racontant que dans certaines régions, des médecins « se sont entendu dire qu’au-delà de 68 ans, on ne pouvait plus prendre personne » dans les hôpitaux « submergés ».
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