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vendredi 15 février 2019

Relire Keynes à la lumière des « gilets jaunes » - le 9.01.2019


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Relire Keynes à la lumière des « gilets jaunes »


ERIC BERR / maître de conférences en économie à l'université de BordeauxVIRGINIE MONVOISIN / professeure associée à Grenoble Ecole de ManagementJEAN-FRANCOIS PONSOT / professeur des universités en sciences économiques à l'université de Grenoble AlpesGREGORY VANEL / professeur assistant à Grenoble Ecole de Management Le 08/01 à 12:15 



LE CERCLE/POINT DE VUE - La crise sociale que traverse la France fait étrangement écho au message délivré par l'économiste John Maynard Keynes dans les années 1930.

Au-delà des problématiques de justice fiscale et des questionnements institutionnels ou politiques,  le mouvement des « gilets jaunes »remet au coeur des débats des questions économiques fondamentales : le niveau des salaires et la répartition des fruits de la croissance.
Emmanuel Macron Macron n'a pas eu d'autres choix que d'annoncer  des mesures relatives au pouvoir d'achat et, symbole des symboles, augmenter le SMIC via la prime d'activité. Ce qu'exprime en choeur la majorité des personnes aujourd'hui dans la rue, c'est une volonté de pouvoir vivre dignement de son travail.
Ces événements font étrangement écho au message de  John Maynard Keynes (1883-1946) dans les années 1930. Comme tout économiste avant lui, il s'interrogea sur la répartition de la richesse créée. Mais comme aucun avant lui, il comprit qu'un chômage de masse était désastreux et que dans une société d'opulence, des travailleurs puissent ne pas trouver d'emploi. Le chômage ne vient pas d'un refus de baisser leurs salaires mais, du fait que les entreprises ne proposent pas assez d'emplois, même à salaires plus bas. Il devint un enjeu majeur de Keynes car vecteur d'inégalités et de pressions sur les salaires.

Difficulté conceptuelle

Le blocage actuel entre le gouvernement et les « gilets jaunes » illustre cette difficulté à penser la répartition dans sa globalité, comme le montre  la réouverture du débat autour de la suppression de l'ISF. Or le problème semble inextricable car le personnel politique et leurs conseillers économiques rejettent l'idée de politiques contracycliques.
Pourtant, les problèmes économiques ne manquent pas. Toute économie moderne fait face à des défis majeurs : chômage de masse, hausse des inégalités, instabilité financière et insoutenabilité de la croissance. Cela supposerait des politiques de grandes ampleurs. Quel paradoxe !  La menace de nouvelles crises financières et les dérèglements climatiques appellent des réponses fortes sous la forme d'investissements publics massifs, des transformations plus que jamais porteuses de créations d'emplois.
Cette difficulté conceptuelle s'explique très bien. Depuis les années 1980, la plupart des économistes négligent l'idée même d'une demande effective et globale, ayant un véritable effet sur l'économie - concept central chez Keynes. Ils raisonnent toujours avec un modèle hérité du XIXe siècle dans lequel la production de biens est assurée d'être écoulée, celui de la loi des débouchés.
Qu'on s'en souvienne : l'ancien président de la République, alors conseillé par l'actuel Président, avait invoqué cette hypothétique loi lors de sa présentation du pacte de responsabilité. Le schéma reste celui des politiques de l'offre, censées restaurer la compétitivité des entreprises et pariant sur l'effet bénéfice des baisses du coût du travail et des niveaux d'imposition sur le capital.

Une autre lecture de l'économie

De fait, les problèmes d'incertitudes, de surproduction, les phénomènes sociaux ou monétaires n'ont pas voix au chapitre. Aussi, prendre Keynes au sérieux, ce serait tenir compte de ces mécanismes économiques que lui et ses successeurs ont mis en avant.
D'une part, une autre lecture de l'économie est possible. Non, la dette publique n'est pas la cause des difficultés françaises mais la seule façon de limiter l'impact des cycles. Non, l'intérêt de l'entreprise n'est pas celui des actionnaires. Non, le marché n'est pas autorégulateur et n'est pas la seule forme de coordination économique.
Oui, la finance a pour fonction de servir la croissance.
D'autre part, l'économiste peut avoir un message positif à délivrer. Oui, l'entrepreneur est la figure centrale des économies modernes, et en particulier quand il investit. Oui, la finance a pour fonction de servir la croissance. Oui, le développement soutenable est compatible avec une croissance pour peu qu'on l'adopte des politiques de long terme. Oui, l'économie doit être au service de la société alors que « Les économistes sont présentement au volant de notre société, alors qu'ils devraient être sur la banquette arrière » (Keynes).
Et surtout, Keynes incarnait lui-même son message le plus important : plus que l'Etat, c'est l'Homme d'Etat qui permet aux structures économiques de s'adapter, et ce même si « à long terme nous seront tous morts ».
Gregory Vanel est professeur assistant à Grenoble Ecole de Management. Eric Berr (université de Bordeaux), Virginie Monvoisin(Grenoble Ecole de Management) et Jean-François Ponsot (université Grenoble Alpes) sont les coordinateurs du livre « L'économie post-keynésienne : histoire, théorie et politiques » (Seuil, 2018).

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