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mercredi 20 février 2019

Montagne d’or en Guyane : l’ONU « somme » la France d’écouter les populations autochtones - le 11.01.2019


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Montagne d’or en Guyane : l’ONU « somme » la France d’écouter les populations autochtones


Le Comité onusien pour l’élimination de la discrimination raciale demande à la France de prendre en compte l’opposition à ce projet de gigantesque mine d’or.
Par Martine Valo Publié le 11 janvier 2019 à 06h32 - Mis à jour le 11 janvier 2019 à 09h35



Le camp de base du projet d’exploitation aurifère de la Montagne d’or (Guyane), en mai 2017.


Le camp de base du projet d’exploitation aurifère de la Montagne d’or (Guyane), en mai 2017. JODY AMIET / AFP
L’affaire de la Montagne d’or était déjà lourde de polémiques, voilà qu’un nouvel acteur s’immisce dans le dossier de cette future mine industrielle dans la forêt de Guyane. L’Organisation des Nations unies (ONU), par le biais de son Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, « somme » la France soit de reprendre son processus de consultation afin d’écouter les populations autochtones sur ce sujet, soit de suspendre ce projet gigantesque.
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Dans un communiqué rendu public jeudi 10 janvier, le Comité défend vigoureusement les droits des peuples amérindiens de l’Ouest guyanais. Or, eux qui sont « les premiers concernés » par les souhaits d’extraction d’or du consortium des multinationales Nordgold (Russie) et Colombus Gold (Canada), ont vu leur opposition être « totalement ignorée » jusqu’à présent.
Le principe d’une « alerte rapide » adressée au gouvernement français a été décidé le 14 décembre 2018. Elle est censée prévenir lorsqu’une situation risque de tourner au conflit. Elle prend en fait une forme assez pressante, puisqu’il est demandé aux pouvoirs publics de formuler leur réponse d’ici au 8 avril. Il s’agit surtout d’une procédure inédite pour la France.
« Ce comité traite entre cinq et quinze cas par an, expose Vincent Ploton du Service international pour les droits de l’homme, l’ONG ISHR, basée en Suisse, qui a soutenu la requête des opposants amérindiens. Ce genre d’infractions est malheureusement courant en Amérique du Sud et en Asie, mais c’est la première fois que Paris est rappelé à l’ordre pour un manque de respect des droits autochtones. Il y a eu un précédent avec une affaire d’extraction d’uranium au Niger, mais cela concernait Areva, pas la puissance publique. »
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Enormes quantités de boues toxiques

Un homme en particulier est à l’origine de la requête qui a abouti à cette « alerte rapide ». « Je m’appelle Alexandre Sommer-Schaechtele. J’appartiens à la nation Kali’na Tileuyu, l’une des six nations autochtones de Guyane française (…) Je souhaiterais m’exprimer au nom de l’Organisation des nations autochtones de Guyane sur l’ordre du jour concernant le consentement préalable libre et éclairé... »
C’est ainsi que, venu de Guyane bénéficier d’une formation à la protection des droits humains à Genève, Alexandre Sommer-Schaechtele en a profité pour se saisir d’un mécanisme onusien rare, mais qui pourrait attirer l’attention internationale sur cette embarrassante Montagne d’or. Tout en rappelant les dégâts causés actuellement par l’orpaillage clandestin et les sociétés minières, la pollution des fleuves, de la faune et de la flore par le mercure, qui contaminent les villageois vivant dans la forêt.
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La mine d’or de Guyane est la plus grande jamais envisagée sur le territoire national. Elle doit s’étendre sur 800 hectares en pleine jungle amazonienne, à 125 kilomètres de Saint-Laurent-du-Maroni, tandis que la fosse elle-même devrait occuper cent hectares.
Pour extraire 85 tonnes d’or en au moins douze ans, il est prévu d’extraire 54 millions de tonnes de minerai, d’employer 57 000 tonnes d’explosifs et surtout46 500 tonnes de cyanure (soit ensuite d’énormes quantités de boues toxiques à stocker). Chaque tonne de roche traitée permet d’obtenir en moyenne 1,6 grammes d’or. En outre, la desserte routière des lieux jusqu’au port industriel va nécessiter d’entailler la forêt.
Non seulement cette future mine présente des enjeux considérables pour l’environnement, mais on sait désormais qu’elle se situe dans une aire comportant de nombreux vestiges précolombiens. Une étude récente de l’Institut national de recherches archéologiques préventives a recensé dans ce secteur une quinzaine d’aménagements monumentaux, des « montagnes couronnées ».

« Mépris vis-à-vis des peuples autochtones »

Pour autant, demander l’avis des communautés autochtones n’est pas apparu comme un préalable indispensable chez les partisans du projet. C’est un euphémisme.
Dans le bilan qu’elle dresse de la consultation du public qui a eu lieu en Guyane de début mars à juillet 2018, la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), Chantal Jouanno, relève que « la préparation du débat public comme son déroulement ont été compliqués par les réticences du maître d’ouvrage et des pouvoirs publics à conduire ce débat ». Celui-ci n’a au demeurant eu lieu que grâce à la saisine de l’association France Nature Environnement. Et a « cristallisé les fractures de la société guyanaise », notent les membres de la CNDP.
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Ces derniers constatent aussi que « les représentants des populations amérindiennes, les acteurs associatifs et les chefs coutumiers ont généralement exprimé leur opposition à ce projet. Néanmoins, malgré la traduction dans une des langues autochtones du questionnaire adressé à la population pour préparer le débat public, les populations bushinenge et hmong ont été moins présentes dans les rencontres publiques ».
Mais avait-on vraiment envie d’entendre leur parole ? Le 22 mai 2018, les chefs coutumiers avaient décidé de se rencontrer à Village Pierre. Invités à venir discuter, les industriels ne sont pas déplacés. Chantal Jouanno note que cette rencontre « fut particulièrement utile et ce fut une grave erreur du maître d’ouvrage de refuser d’y assister ».
« La CNDP reconnaît qu’il y a une forme de mépris vis-à-vis des peuples autochtones si l’on ne s’adapte pas à leurs particularités culturelles, à leurs traditions orales : ils ne donnent pas leur avis sur Internet !, rapporte Marine Calmet, juriste pour l’ONG Nature Rights et l’une des porte-paroles du collectif guyanais d’opposants Or de question. Le fond du problème, c’est que la France a signé la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail qui pose le principe d’un droit à la consultation libre, préalable et éclairée de ces populations, mais qu’elle ne la respecte pas. »
Vincent Ploton, de l’ONG ISHR, évoque lui aussi le principe du droit à un « consentement libre, préalable, et éclairé » reconnu aussi par la Déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones, signée par la France, et par la Convention pour l’élimination de la discrimination raciale, ratifiée par elle. En y dérogeant, Paris commettrait de facto une violation du droit international, conclut-il.
Martine Valo

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