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samedi 8 décembre 2018

Un stockage géant de pesticides crée l’inquiétude en Normandie - le 8.11.2018

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Un stockage géant de pesticides crée l’inquiétude en Normandie
La plate-forme de stockage de produits phytopharmaceutiques présente des risques pour l’alimentation en eau potable
ENQUÊTEROUEN– correspondance
Un large entrepôt neuf avec ses quais de déchargement pour camions. De l’extérieur, rien n’indique que le bâtiment, achevé cet été, suscite depuis deux ans une vaste polémique en Seine-Maritime. Le village de Vieux-Manoir est niché au milieu des champs, le long de l’autoroute A28, à vingt kilomètres au nord de Rouen. C’est ici que le groupe coopératif agroalimentaire normand Cap Seine, via une de ses filiales, la société Odièvre, a jugé stratégique d’implanter une imposante plate-forme de stockage de produits phytopharmaceutiques, principalement des pesticides.
Selon un élu local, l’activité a démarré sur le site. Même si l’association « Défense et promotion de cinq communes du plateau de Buchy », regroupement d’opposants et de riverains, a saisi le tribunal administratif en avril. Après des manifestations et une pétition, elle conteste l’arrêté préfectoral d’exploitation pour « insuffisance » dans les études d’impact et de dangers. « On joue ici à la roulette russe », assène son président, Jean-Louis Alexandre.

« Risques sur la santé »

A côté des silos de la maison mère déjà présents, ce site classé Seveso, seuil le plus haut, peut accueillir jusqu’à 4 150 tonnes de produits. Cap Seine – qui a refusé de nous répondre – souhaitait avec cette extension d’envergure (7,5 millions d’euros) regrouper des produits stockés sur 65 lieux différents. Ce mastodonte agricole (près de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, 3 800 agriculteurs adhérents) est spécialisé dans la production, la collecte et le négoce de céréales. Il est également propriétaire des magasins Gamm Vert.
Inquiets, les riverains dénoncent « les risques sur la santé et les nuisances à venir » depuis le début de l’enquête publique, en 2016. Les produits stockés étant « dangereux pour l’environnement aquatique, très toxiques et inflammables »,l’Autorité environnementale – une émanation de la préfecture – est sollicitée, et donne son feu vert. Idem pour l’Agence régionale de santé et la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal).
Mais la machine administrative se grippe en février 2017 : l’Agence de l’eau Seine-Normandie – fait rare – exprime ses doutes en s’abstenant lors d’un vote au conseil départemental de l’environnement, des risques sanitaires et technologiques. « A cause de la vulnérabilité de la nappe phréatique sur cette zone. Pour l’Agence, souvent confrontée à ces conflits d’usage entre économie et écologie, c’était une façon de dire non en restant dans les clous », indique une source proche du dossier.

Ressources « sous tension »

Ces réserves conduisent la préfecture de Seine-Maritime à solliciter l’avis du Bureau d’études géologiques et minières (BRGM). Ce dernier remet son rapport début juin 2017. Longtemps resté confidentiel, il ne sera rendu public que début 2018 après saisie de la commission d’accès aux documents administratifs. Entre-temps, l’autorisation d’exploitation a été signée par la préfète, Fabienne Buccio, le 21 juin 2017.
Dans leur analyse hydrogéologique, les ingénieurs du BGRM pointent un « risque » sur l’alimentation en eau potable de la métropole de Rouen, « en cas de déversement de polluants » : « Dans l’état des connaissances actuelles, il ressort que le risque est a priori élevé, que des polluants introduits dans le sous-sol au droit du site du projet Odièvre, se retrouvent à court, moyen ou long terme dans plusieurs captages destinés à l’alimentation en eau potable situés en aval (…). Ceci conduirait à mettre en péril l’alimentation en eau potable du secteur, et notamment au niveau de la Métropole Rouen Normandie », écrivent-ils. Un des captages alimente plus de 150 000 habitants.
En outre, le Bureau d’études géologiques et minières met en exergue la nature karstique du sol sur le plateau normand, composé de massifs calcaires aux nombreuses cavités, et la présence régulière de bétoires, des gouffres naturels affleurant en surface par lesquels l’eau peut s’infiltrer très rapidement dans la nappe phréatique.
« C’est un système sensible, une zone de recharge de la nappe. L’endroit choisi n’est clairement pas idéal », résume le directeur du BRGM Normandie, Didier Pennequin. La Métropole Rouen Normandie a elle aussi mis un bémol, au vu de ses ressources en eau déjà « sous tension »« Nous nous sommes abstenus lors d’une consultation, en demandant un renforcement de la surveillance en amont du bassin d’infiltration », souligne Gérard Sorel, directeur général adjoint à la transition écologique.
La préfecture, pour sa part, propose une autre lecture du rapport du Bureau d’études géologiques et minières, rappelant « qu’il n’a pas tenu compte des mesures de maîtrise des risques mises en place » par l’entreprise. Les services de la Dreal ont jugé que cette étude ne remettait pas en cause la proposition d’arrêté préfectoral, abonde le secrétaire général de la préfecture, Yvan Cordier. Et la discussion a continué avec l’exploitant pour obtenir des points complémentaires. » Comprendre, des améliorations.
Parmi elles, un suivi renforcé de la qualité des eaux souterraines ; une « augmentation significative des moyens de rétention en eau » en cas « de pluie torrentielle et d’incendie » ; et une surveillance « régulière » des trous qui pourraient se former en sous-sol.

« Dés pipés »

Selon une tierce étude diligentée par Cap Seine, ces cavités seraient absentes, à ce jour, sur le site, mais certaines sont toutes proches et peuvent évoluer. « In fine, l’Agence de l’eau a levé ses réserves en mai 2018 », précise Yvan Cordier, qui juge « ce dossier exemplaire et sans aucun passage en force. Cette installation sera plus sûre et plus simple à contrôler »que les 65 sites préexistants.
Ce discours est loin, cependant, de convaincre les opposants. Eux estiment « les dés pipés dès le départ ». Ils dénoncent des « manquements » dans la procédure et, au-delà, s’interrogent sur des « risques de conflits d’intérêts » liés « à la présence d’exploitants agricoles adhérents ou proches de Cap Seine au sein des conseils municipaux » consultés sur le dossier, comme celui de Vieux-Manoir.
Y siège notamment le président de la Chambre d’agriculture de Seine-Maritime, Sébastien Windsor, aussi membre du conseil de surveillance du groupe Avril, géant agro-industriel. Sollicité, ce dernier n’a pas donné suite. Interrogé sur ces critiques, le premier adjoint du village, Fabrice Otero, dément : « Cela n’a rien à voir. Il ne faut pas mélanger les choses. »

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