Translate

mardi 11 décembre 2018

Les femmes ont exprimé leur ras-le-bol du discours de Trump - le 9.11.2018


https://www.lemonde.fr/
Les femmes ont exprimé leur ras-le-bol du discours de Trump
Le succès du Parti démocrate à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat est dû à la forte mobilisation de l’électorat féminin, selon Denis Lacorne, spécialiste des Etats-Unis
Les élections de mi-mandat sont toujours difficiles pour un président en exercice. Le parti du président souffre toujours d’un effet d’usure : les mesures annoncées n’ont pas toutes été mises en œuvre, la rhétorique présidentielle, trop rabâchée, perd une bonne partie de sa crédibilité, les crises de politique étrangère mal gérées laissent des traces. Donald Trump, trop confiant et sûr de lui, avait cru utile de nationaliser la campagne des midterms en multipliant les coups de gueule et les visites de soutien auprès des candidats républicains.
En mettant l’accent sur des dangers imaginaires, gérés de façon comique et péremptoire, Trump décrédibilisait la cause du Parti républicain. Qui pouvait croire, à part un fanatique, que les 4 000 membres d’une caravane de sans-papiers, des femmes, des enfants, des adultes se traînant sur les routes du Mexique allaient bientôt « envahir » les Etats-Unis et que des terroristes en puissance, « en provenance du Proche-Orient »,étaient associés à cette entreprise ? La caravane doit encore parcourir 1 000 kilomètres avant d’atteindre son but et bon nombre des marcheurs pourront émettre des demandes de droit d’asile, comme le leur permet la législation américaine. Quelle menace peuvent-ils représenter alors que plus de 1 million d’immigrés entrent, chaque année, aux Etats-Unis, sans grande difficulté et proviennent pour la plupart de pays asiatiques – la Chine et l’Inde, loin devant le Mexique.
La brutalisation du langage politique, la recherche constante de boucs émissaires, les dénonciations répétées de médias « ennemis du peuple », les accusations portées contre le financier George Soros, soupçonné de corrompre les leaders de la caravane, le déploiement inconsidéré de 15 000 troupes sur la frontière mexicano-américaine…, tous ces effets d’annonce ont nui au charisme d’un président qui a trop misé sur les peurs de son électorat, au lieu de mettre en avant les incontestables réussites économiques de son administration. L’échec de Trump est toutefois relatif : il garde le Sénat, mais perd la Chambre des représentants où plus de cent femmes viennent d’être élues, presque toutes du Parti démocrate.
Jamais l’écart entre le vote féminin et le vote masculin n’a été aussi grand : plus de vingt points ; 60 % des femmes ayant fait des études universitaires ont voté pour un candidat démocrate, d’après les sondages de sortie des urnes. Les taux de participation des femmes, des jeunes de moins de 30 ans, des membres de minorités ethniques, ont été particulièrement élevés dans ces élections particulières qui, d’habitude, ne mobilisent qu’un tiers des électeurs, contre 49 % cette année.

Des peurs dans chaque camp

Les femmes des banlieues aisées des grandes villes de l’Est, du Sud et de l’Ouest, en votant de façon disproportionnée pour le Parti démocrate, ont exprimé un énorme ras-le-bol : ras-le-bol contre l’esprit de haine et de division colporté par le président, ras-le-bol contre l’usage incontrôlé des armes à feu, ras-le-bol aussi contre le harcèlement sexuel et les excès justement dénoncés par le mouvement #metoo, visant aussi bien le juge Kavanaugh que le président Trump lui-même. Ces femmes tenaient à défendre leurs droits, mis à mal par le basculement de la Cour suprême – la seule grande réussite de Trump – avec la nomination de deux juges conservateurs.
La nette préférence des femmes pour le Parti démocrate, qui a toujours soutenu leur droit à l’avortement, est révélatrice d’une inquiétude réelle : que la Cour suprême ne renverse la jurisprudence Roe v. Wade qui, depuis 1973, protège leur droit de disposer de leur corps comme elles l’entendent, malgré les véhémentes protestations des évangéliques – 75 % d’entre eux ont voté pour les candidats républicains.
En 2016, comme en 2018, deux Amériques sont face à face : une Amérique de l’exclusion, fondée sur la préservation d’une majorité homogène de Blancs d’origine européenne et de préférence protestants. Et une Amérique de l’inclusion, ouverte à l’immigration légale, et respectueuse du « pluralisme culturel » jadis défendu par le philosophe Horace Kallen, le premier critique du melting-pot, et le premier penseur d’un multiculturalisme intelligent. Celui-ci était décrit par Kallen comme un jeu de voix polyphonique, comme un « tout harmonique » réunissant le meilleur des civilisations portées par les immigrés, avec le meilleur de la tradition républicaine américaine, bref une double allégeance échappant au « rouleau compresseur » des programmes d’assimilation à outrance.
Ces deux Amériques, si différentes, sont aussi des Amériques inquiètes, confrontées à de multiples peurs : peur de l’invasion d’immigrants incontrôlables d’un côté, peur d’un manque de couverture sociale et médicale de l’autre. Peur aussi de violences irrationnelles facilitées par l’accès aisé aux armes automatiques et par l’échec des mesures de contrôle des armes à feu. Qui est responsable de telles violences ? Soyons clairs : il n’y a pas de lien de cause à effet entre le discours de Trump et les actes terroristes les plus récents impliquant l’envoi de colis piégés destinés à des leaders du Parti démocrate ou le mitraillage des fidèles d’une petite synagogue de Pittsburgh, appelée Tree of Life.
Mais la rhétorique violente du président, amplifiée par les médias, a contribué à aggraver un climat de haine et de suspicion, un climat conspirationniste qui ne pouvait qu’encourager certains déséquilibrés à réaliser leurs pulsions mortifères. Après maintes hésitations, Jeffrey Myers, le rabbin de la synagogue attaquée, a accepté de recevoir Trump lors des funérailles des sept juifs assassinés. Il n’hésita toutefois pas à rappeler cette cruelle vérité : « Monsieur le Président, les discours de haine conduisent à des actions haineuses et à ce qui est arrivé dans mon sanctuaire où sept de mes fidèles ont été massacrés. »
Le succès incontestable du Parti démocrate permettra-t-il d’apaiser les rancœurs et les multiples incivilités de la campagne des midterms ? On peut l’espérer. Le contre-pouvoir d’une Chambre des représentants à majorité démocrate empêchera ce que craignait par-dessus tout Hamilton : qu’un démagogue ne se transforme un jour en tyran.
___
Denis Lacorne est politologue, directeur de recherche au Centre de recherches internationales (CERI-Sciences Po). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Les Frontières de la tolérance » (Gallimard, 2016)


La campagne présidentielle de 2020 a commencé
La victoire du Parti démocrate à la Chambre des représentants va remettre en question certaines orientations de la politique étrangère de Trump, analyse l’historienne Maya Kandel

La politique étrangère n’a pas été un enjeu des élections américaines de mi-mandat, avant tout un référendum sur le président Donald Trump et sa révolution nationale-populiste. En politique étrangère, cette révolution n’a pas affecté tous les dossiers – ainsi la politique de défense et les engagements militaires restent marqués par la continuité –, mais représente dans d’autres domaines une vraie rupture. Or le Congrès américain joue un rôle essentiel en politique intérieure, mais aussi en politique étrangère, même si la pratique contemporaine a évolué vers une « présidence impériale ». Pour le dire simplement, en politique intérieure, le président ne peut agir sans le Congrès ; en politique étrangère, il peut agir jusqu’à ce que le Congrès l’en empêche.
C’est ce qui s’est produit sur plusieurs aspects cruciaux de la politique étrangère pendant les deux premières années de Trump. On a vu une véritable résistance bipartisane du Congrès à certains aspects essentiels de la doctrine « America first ». Utilisant son pouvoir budgétaire, le Congrès a ainsi protégé le budget de la diplomatie et de l’aide extérieure contre des coupes de 30 % voulues par la Maison Blanche ; les parlementaires ont aussi fixé des lignes rouges en défense des alliances, de manière symbolique (résolution de soutien à l’OTAN) ou contraignante (interdiction de financement de tout retrait de troupes américaines de Corée du Sud) – lignes rouges que Trump n’a pas franchies.

Nouvelles lignes rouges

Cette affirmation du Congrès en défense du rôle international des Etats-Unis et de ses moyens d’action, particulièrement la diplomatie, l’aide extérieure et les alliances, est d’autant plus frappante que, historiquement, le Congrès a quasiment toujours été plus isolationniste que le président : l’exemple le plus connu est le rejet, en 1919, du traité de Versailles par le Congrès américain, entraînant la non-participation des Etats-Unis à la Société des nations voulue par le président Wilson.
Que peut-on en déduire pour l’après midterms ? Cette résistance du Congrès était bipartisane : elle devrait se maintenir après les élections voire se renforcer avec une Chambre démocrate. Le Congrès poursuivra également son travail bipartisan de développement d’une approche globale en coordination avec le Pentagone sur certains dossiers, qu’ils soient sous le radar de Trump (Afrique) ou non (Chine). Sur un plan plus symbolique, on peut attendre aussi le vote de nouvelles lignes rouges vis-à-vis de l’exécutif, qui pourraient être amenées par des enquêtes parlementaires.
Ce dernier point est essentiel : les démocrates détiennent désormais le pouvoir en commission, et vont lancer de nouvelles enquêtes, ce qui pourrait inciter le président à se tourner davantage vers la politique étrangère, en particulier ces grands sommets que Trump affectionne. Dans un contexte de « Maison Blanche assiégée », les déplacements internationaux feront figure de répit pour Trump. Sur certains sujets, il pourrait trouver des alliés démocrates, en particulier sur les négociations commerciales, où les élus démocrates ont à cœur de protéger – et reconquérir – les travailleurs et les régions les plus sinistrées. On ne peut par ailleurs exclure que Trump revienne sur certaines taxes à l’importation, s’il s’avère qu’elles lui ont coûté des voix décisives dans l’Amérique rurale, qui détient la clé de sa réélection.
La victoire du Parti démocrate à la Chambre des représentants va engendrer des ruptures. La plus évidente devrait être une action pour mettre fin au soutien américain à l’Arabie saoudite au Yémen. On peut s’attendre à une remise en question des missions des forces spéciales et un accent renouvelé sur le respect des droits de l’homme conditionnant l’aide américaine, y compris sécuritaire.
Surtout, une Chambre démocrate lancera des enquêtes sur les interférences étrangères (Russie, Chine) aux Etats-Unis, visant les élections et les entreprises : de telles enquêtes auront des conséquences en termes de sanctions, voire au-delà. Certains éléments sont plus incertains, notamment le maintien de la présence militaire américaine en Syrie et en Afghanistan : les démocrates la contestent, mais le secrétaire à la défense, James Mattis, sait convaincre le Congrès. Si ce dernier devait partir, tout serait possible.
Une chose est certaine, la campagne présidentielle commencera juste après les élections de mi-mandat. Cela ne fera rien pour apaiser le climat social et politique, surtout avec un président qui aime aller au combat. Or si le résultat à la Chambre est bien un rejet de son agenda national-populiste, les sièges perdus par les démocrates au Sénat montrent que Trump conserve toutes ses chances pour 2020, étant donné le système de vote américain. Le maintien ou le départ de James Mattis dira beaucoup de l’évolution de la politique étrangère de Trump. Une question fondamentale se pose, concernant la doctrine nationaliste « America first » : peut-on attendre des démarches constructives après une politique destructrice ? L’évolution du positionnement des démocrates en politique étrangère sera aussi déterminée par le rapport de force issu des élections entre centristes et progressistes. Enfin, le durcissement américain vis-à-vis de la Chine pourrait écraser tout le reste, même si la « nouvelle guerre froide » Pékin-Washington ne devrait pas ressembler à la précédente. Sur ce sujet au moins, le Congrès, même divisé, sera en phase avec le reste de l’administration.
___
Maya Kandel est historienne, spécialiste des Etats-Unis, chercheuse à l’université Sorbonne Nouvelle, à Paris


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire