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mardi 11 décembre 2018

« Les chefs d’Etat des démocraties doivent obtenir la libération d’Oleg Sentsov » - le 9.11.2018


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« Les chefs d’Etat des démocraties doivent obtenir la libération d’Oleg Sentsov »
Dans une lettre ouverte, un collectif s’adresse aux chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties afin que le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, qui a mené une grève de la faim pendant cinq mois pour attirer l’attention sur le sort des Ukrainiens indûment détenus en Russie, soit libéré. Face au silence du Kremlin, il est temps que les dirigeants européens, réunis pour les commémorations du 11-Novembre, se mobilisent
En 1980, Andreï Sakharov est exilé dans la ville fermée de Gorki pour avoir alerté le monde du danger que représentait l’URSS. Assigné à résidence et surveillé en permanence par le KGB, il est coupé du monde par le pouvoir soviétique durant plusieurs années, pendant lesquelles il effectuera deux grèves de la faim et sera torturé, intubé et nourri de force. Il faudra la perestroïka (restructuration) et la glasnost (transparence) en 1986 pour que Mikhaïl Gorbatchev mette fin à son exil et à son calvaire.
Cela n’empêche pas un autre dissident russe, Anatoli Martchenko, de mourir dans sa cellule la même année, le 8 décembre 1986, après onze ans d’emprisonnement et une grève de la faim de 117 jours. Son crime était d’avoir révélé dans un livre la réalité des camps de travail soviétiques. Il disait notamment : « La seule possibilité de lutter contre le mal et l’illégalité consiste à mon avis à connaître la vérité. »
Cette vérité a fissuré puis fait tomber les murs. L’URSS a laissé place à la Russie, l’Ukraine, la Géorgie, les Républiques baltes… Pourtant, c’est toujours pour les mêmes raisons que le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov a entamé une grève de la faim illimitée le 14 mai [qu’il a interrompue le 5 octobre pour éviter d’être nourri de force] : faire connaître la vérité, alerter le monde « libre ».
La vérité, c’est qu’au XXIe siècle, Oleg Sentsov, ce jeune cinéaste auteur d’un premier film repéré par les grands festivals européens de cinéma, père de deux enfants, a disparu le 10 mai 2014 alors qu’il sortait de chez lui, enlevé par les services secrets dans sa Crimée natale, ce morceau d’Ukraine que les Russes venaient brutalement d’annexer. La vérité, c’est qu’il a été battu et torturé, emprisonné en Russie et condamné un an plus tard à vingt ans de prison, à la suite d’un procès dénoncé comme « stalinien » par Amnesty International.
La vérité, c’est que près de soixante-dix autres Ukrainiens sont indûment détenus en Russie. La grande majorité d’entre eux viennent de Crimée, beaucoup sont Tatars, et ont été – comme Oleg Sentsov – enlevés et « nationalisés » de force pour pouvoir être condamnés et emprisonnés en Russie. Certains attendent toujours leur procès, les autres ont écopé de très lourdes peines de prison à « régime sévère », la plupart à la suite de procès truqués, sur la foi de témoignages obtenus sous la torture. Des procès « pour l’exemple ».
Le monde a beau crier au scandale, les cinéastes et les intellectuels se mobiliser dans le monde entier, y compris en Russie avec les risques que cela comporte, Vladimir Poutine reste inflexible. Il faut dire que, depuis vingt ans, il aura eu tout le temps de mesurer les faiblesses et les lâchetés des démocraties, qui lui ont laissé les mains libres en Tchétchénie puis en Géorgie, en Crimée, en Syrie… Alors pourquoi reculerait-il si personne n’ose même le lui demander ?
Du fond de sa cellule, Oleg Sentsov a compris que les otages ukrainiens du Kremlin étaient seuls au monde. Il a alors décidé de reprendre son destin en main et, n’ayant pour arme que son seul corps, de commencer une grève de la faim illimitée. Pour souligner un peu mieux encore la dimension politique de son action, il a demandé la libération de tous les prisonniers politiques ukrainiens détenus en Russie, sans demander la sienne.
Mais la portée de son geste, d’un courage inouï, va bien au-delà, puisqu’il oblige l’Europe et plus largement le monde à ne pas oublier l’Ukraine, la Crimée, le Donbass. Il nous alerte, comme l’avaient fait hier Martchenko et Sakharov à propos de l’URSS, sur les dangers que fait courir la Russie de Poutine à la démocratie et à ses valeurs : liberté, respect des peuples, paix…
Le Parlement européen ne s’y est pas trompé et, au citoyen d’honneur de la ville de Paris qu’Oleg Sentsov était déjà, il a décerné, le 23 octobre, le prix Sakharov, accompagné de la déclaration suivante : « Grâce à son courage et à sa détermination, et en mettant sa vie en danger, le réalisateur Oleg Sentsov est devenu un symbole de la lutte pour la libération des prisonniers politiques en Russie et dans le monde entier. En lui décernant le prix Sakharov, le Parlement européen lui exprime sa solidarité et soutient sa cause. Nous demandons sa libération immédiate. »
Nous attendons désormais que ce symbole fort qu’est le prix Sakharov se traduise en actes politiques.

Respecter le droit international

Demain, à l’invitation d’Emmanuel Macron, cent chefs d’Etat – dont Vladimir Poutine – seront réunis à Paris pour le centième anniversaire de l’armistice marquant la fin de la première guerre mondiale.
Alors que, partout, les nationalismes reviennent en force, nous rappelant les heures les plus sombres du XXe siècle, nous exhortons les chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties à utiliser tous les moyens qui sont à leur disposition pour contraindre la Russie à respecter le droit international : réclamer une enquête au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, élargir les accords de Minsk pour permettre un échange de prisonniers dont Oleg Sentsov ferait partie, obtenir la condamnation de la Russie par la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’est déjà reconnue compétente pour juger cette affaire.
Si aucune de ces voies n’aboutit, il sera temps de voter une loi au niveau de l’Union européenne permettant de sanctionner les responsables du sort d’Oleg Sentsov. Une telle loi existe déjà dans plusieurs démocraties (Etats-Unis, Estonie, Lituanie, Royaume-Uni, Canada…), c’est la loi Magnitski – ainsi nommée en hommage à l’une des victimes du système prédateur mis en place par Poutine. Il suffira que l’Europe l’adopte à son tour pour pouvoir sanctionner lourdement les bourreaux d’Oleg Sentsov et des autres otages ukrainiens.
Au 100e anniversaire de la fin de la première guerre mondiale, ce jour de paix entre les peuples, nous exhortons les chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties à obtenir de Vladimir Poutine qu’il s’engage à libérer immédiatement et sans condition Oleg Sentsov et les autres prisonniers politiques ukrainiens.
Qu’il les laisse rentrer chez eux.
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Les premiers signataires :
Galia Ackerman, historienne (Russie) ; David Assouline,vice-président du Sénat ; Jacques Audiard, cinéaste ;Alain Besançon, historien, membre de l’Institut ; Julie Bertuccellicinéaste, présidente de la SCAM ;Alain Blum,historien et démographe ; Bertrand Bonello, cinéaste, coprésident de la SRF ; Bong Joon-ho,cinéaste (Corée du Sud) ; Robin Campillo,cinéaste ;Laurent Cantet, cinéaste ;Leos Carax,cinéaste ; Emmanuel Carrère,écrivain ;François Cluzet, acteur ; Daniel Cohn-Bendit, homme politique ; André Comte-Sponville,philosophe ; Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France ;François Croquette,ambassadeur pour les droits de l’homme ; Jean-Pierre et Luc Dardenne, cinéastes (Belgique) ; Christophe Deloire,journaliste, secrétaire général de Reporters sans frontières ; Souleymane Bachir Diagne, philosophe (Sénégal) ;Michel Eltchaninoffphilosophe, fondateur des Nouveaux Dissidents ; Annie Ernaux, écrivaine ; Didier Fassin, anthropologue ; Victor Fainberg, dissident soviétique ; Philippe Faucon,cinéaste ;Pascale Ferran, cinéaste ; William Friedkin, cinéaste (Etats-Unis) ; Jean-Michel Frodon, journaliste ;Nicole Garcia,comédienne et cinéaste ; Jean-Luc Godard,cinéaste ;Raphaël Glucksmann, essayiste ; Miguel Gomez,cinéaste (Portugal) ; Adoor Gopalakrishnan,cinéaste (Inde) ; Thorniké Gordadzé, universitaire, ancien ministre pour l’intégration européenne de la République de Géorgie ;Anne-Marie Goussard, consule honoraire de Lituanie ;Benoît Hamon, fondateur de Génération.s ; Jean Hatzfeld,journaliste ; Anne Hidalgo, maire de Paris ; Aki Kaurismäki, cinéaste (Finlande) ;Maylis de Kerangal,écrivaine ;Patrick Klugman, adjoint à la maire de Paris, en charge de l’international ; Geoffroy deLagasnerie,philosophe ; Mike Leigh, cinéaste (Royaume-Uni) ; Jonathan Littell, écrivain ; Edouard Louis,écrivain ;Sergueï Loznitsa, cinéaste (Ukraine) ; Oleksandra Matviychuk, militante de droits de l’homme (Ukraine) ;Patricia Mazuy,cinéaste ; Jiri Menzel,cinéaste(République tchèque) ; Anne-Marie Miéville,cinéaste (Suisse) ; Radu Mihaileanu, cinéaste, président de l’ARP ; Ariane Mnouchkine, metteuse en scène, Théâtre du Soleil ; Cristian Mungiu, cinéaste (Roumanie) ;Rithy Panh,cinéaste (France, Cambodge) ;Nicolas Philibert, cinéaste ;Jean-Paul Rappeneau,cinéaste ;Christophe Ruggia, cinéaste, coprésident de la SRF ;Malik Salemkour,président de la LDH ; Abderrahmane Sissako,cinéaste (Mauritanie) ;Bernard Stiegler, philosophe ;Jan Sverak, cinéaste (République tchèque) ;Bertrand Tavernier, cinéaste ; Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH ; Cécile Vaissié,slaviste et historienne ;Marina Vlady,comédienne ;Apichatpong Weerasethakul, cinéaste (Thaïlande) ; Wim Wenders, cinéaste (Allemagne) ; Nicolas Werth,historien ; Frédérick Wiseman, cinéaste (Etats-Unis) ; Thierry Wolton, historien ; Slavoj Zizek, philosophe (Slovénie) ; Andreï Zviaguintsev,cinéaste (Russie).
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