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mardi 11 décembre 2018

Les années élyséennes de François Hollande disséquées - le 9.11.2018

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Les années élyséennes de François Hollande disséquées
Après plusieurs mois de travail et l’audition des principaux acteurs, la Fondation Jean-Jaurès publie le bilan de la période 2012-2017
Il pourrait être singulièrement masochiste, pour des sociaux-démocrates assumés, de dresser le bilan d’un président socialiste dont le mandat s’est terminé par une déroute électorale. La Fondation Jean-Jaurès (FJJ) a évité cet écueil : l’inventaire qu’elle vient de dresser du quinquennat de François Hollande ne cède pas à l’autoflagellation – et pas davantage à l’acrimonie ou à la complaisance.
Cet exercice clinique inédit a été mené pendant plusieurs mois au sein d’une huitaine de séminaires thématiques consacrés à tous les aspects de la politique gouvernementale. Il a mobilisé plus de soixante chercheurs, analystes mais aussi des acteurs de premier plan de cette période (parmi lesquels Jean-Marc Ayrault, Bernard Cazeneuve, Benoît Hamon, Pierre Moscovici, Laurent Berger, Jean-Christophe Cambadélis, Myriam El Khomri, Marisol Touraine, Michel Sapin, Olivier Faure…). En outre, il a été ponctué par une réunion publique qui a donné l’occasion à François Hollande de livrer sa propre relecture de ses cinq années élyséennes. L’ensemble a été coordonné par Alain Bergounioux, historien du socialisme, et Gilles Finchelstein, directeur général de la fondation.

« Procès en trahison inévitable »

Le copieux rapport qui en résulte (consultable sur le site de la fondation) témoigne d’une exigence de lucidité. Le premier constat est cruel : « Beaucoup a été fait » pendant cinq ans, mais « peu a été mémorisé » et encore moins défendu lors de la campagne présidentielle de 2017.
Le rappel des réformes réalisées est en effet éloquent : par exemple, le mariage pour tous, l’accord sur le climat à la COP 21, le non-cumul des mandats, le compte personnel d’activité, la Banque publique d’investissement, la mise en place des zones de sécurité prioritaire, l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail, la création de 54 000 postes supplémentaires dans l’éducation nationale et celle de 150 000 emplois d’avenir, la généralisation du tiers payant, la réforme territoriale et bien d’autres mesures économiques, sociales ou sociétales.
Quant aux résultats économiques globaux, ils sont tout sauf négligeables : un déficit public ramené de 5,2 % à 2,7 % du produit intérieur brut (PIB), la Sécurité sociale pratiquement à l’équilibre quand elle accusait un déficit de plus de 17 milliards d’euros en 2012, la croissance finalement relancée et même, en bout de course, le début de décrue du chômage. Mieux, souligne Gilles Finchelstein, « l’action a été largement conforme au programme » du candidat Hollande.
Pourtant, « la perception est diamétralement opposée ». Tout y a contribué. D’abord un premier semestre qui a d’emblée imprimé une marque indélébile sur le reste du quinquennat. L’ampleur sous-estimée de la crise économique, le respect assumé des engagements européens et l’effort annoncé de restauration de la compétitivité des entreprises françaises ont rendu, dès l’été 2012, l’équation budgétaire impossible.
Les conséquences ont été calamiteuses pour la « crédibilité »présidentielle : une ponction fiscale brutale et le « ras-le-bol » immédiat des contribuables, le renoncement à la promesse de renégocier le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance signé par Nicolas Sarkozy et les autres chefs d’Etat européens en mars 2012 (qui a immédiatement rouvert la fracture ancienne du Parti socialiste en la matière et semé les germes des frondes ultérieures), enfin la promesse consolatrice mais irréalisable d’inverser la courbe du chômage en l’espace d’un an.
Quatre ans plus tard, l’année 2016 ajoutera à ce choc initial, aux déconvenues intermédiaires et au traumatisme des attentats djihadistes de 2015, une « rupture idéologique » irrémédiable provoquée d’abord par la proposition sur la déchéance de la nationalité, ensuite par la préparation, le contenu et l’adoption aux forceps de la loi travail. Dans les deux cas, le « procès en trahison des valeurs de la gauche »était inévitable.

« Surenchère sans fin »

Au-delà du réexamen critique des épisodes les plus marquants du quinquennat, la FJJ pointe une autre faiblesse structurelle. Qu’il s’agisse de la politique économique de l’offre, mal assumée jusqu’en 2014, ou de la plupart des politiques publiques dont le rapport fait un bilan précis (éducation, écologie, laïcité, sécurité, justice, immigration, aménagement du territoire, institutions, culture…), l’action menée s’est focalisée sur des mesures éparses sans s’inscrire dans une cohérence d’ensemble et une vision mobilisatrice.
Revient sans cesse, sous la plume des rapporteurs, l’absence d’un « récit » convaincant capable de donner sens aux réformes. Ce n’est qu’accessoirement affaire de communication, mais plus gravement de « gouvernance » et de « pratique chaotique du pouvoir ». La responsabilité de M. Hollande en la matière est « éminente », note sans ménagement le rapport : il « n’a trop souvent pas pu, ou plus sûrement pas voulu, imposer des choix, voire indiquer ses choix ». Ce « défaut d’autorité » a été d’autant plus dommageable qu’aucun dispositif de « pilotage efficace de la fabrique de la décision politique entre l’exécutif, le Parlement et le parti » n’a été mis en place.
Mais la Fondation Jean-Jaurès fustige également « un excès d’irresponsabilité collective » de la part de tel ou tel partenaire social (patronat et CGT notamment), des Verts et, d’abord et avant tout des socialistes, au premier rang desquels les « frondeurs » qui, « emportés dans une surenchère sans fin », ont contribué à convaincre « que les socialistes étaient divisés sur tout, y compris sur l’essentiel ».
Plusieurs des acteurs auditionnés, ajoute enfin le rapport, « ont insisté sur la faiblesse intellectuelle du PS durant les dix années d’opposition. (…) La gauche de gouvernement a insuffisamment repensé quelques problématiques clés »,qu’il s’agisse du rapport à l’économie, de l’Europe ou de l’islam.
Alain Bergounioux est plus cinglant encore : « Les divisions fortes qui ont porté atteinte à la crédibilité gouvernementale, les ambitions sans retenue qui ont tenu l’intérêt collectif comme quantité négligeable, les hésitations, tactiques ou non, de François Hollande qui a voulu garder le plus longtemps possible ouvertes toutes les options politiques, ont fait éclater les contradictions à un point jamais atteint depuis 1981 et ont conduit à la décomposition du PS. » Le reconnaître et le comprendre, ajoute-t-il, est « le fondement d’une reconstruction intellectuelle et politique ». On mesure l’ampleur de la tâche.


Grâce au devoir d’inventaire, le PS espère tourner la page sans raviver les plaies
Le premier secrétaire, Olivier Faure, doit faire un discours sur le sujet en décembre

Dans la grande famille socialiste, parler du quinquennat Hollande, c’est comme aborder le sujet des impôts ou de l’éducation des enfants autour de la dinde de Noël. Dans un cas comme dans l’autre, la discussion promet d’être compliquée et interminable. Et pourtant, le Parti socialiste (PS) a lui aussi commencé l’inventaire de la présidence Hollande. Depuis des semaines, des auditions ont lieu, menées par Isabelle This Saint-Jean, secrétaire nationale aux études, pour sonder ces cinq ans où le PS a été au pouvoir. Des anciens ministres et parlementaires ont été interrogés, tout comme des politologues.
Ce travail ne donnera pas lieu à un document public, mais va alimenter un discours que le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, doit donner en décembre – la date du 14 novembre, initialement envisagée, a été repoussée en même temps que l’inauguration du nouveau siège d’Ivry-sur-Seine, d’abord prévue le 17 novembre. Quelle en sera la teneur ? M. Faure ne veut rien en dire pour l’instant, se contentant de saluer un débat qui est « moins passionnel » qu’il y a quelques mois. « Les socialistes commencent à converger sur le regard à porter sur le quinquennat. On n’est plus en train de régler des comptes les uns avec les autres », affirme-t-il.
Quoi qu’il en soit, au PS, beaucoup pressent M. Faure de prononcer un discours tranchant. Y compris dans sa majorité. « Les journaux doivent pouvoir titrer le lendemain “le PS tourne la page du quinquennat Hollande” », résume un membre de la direction. « Il ne s’agit pas de renier la personne de François Hollande, mais de dire que la déchéance de nationalité, la loi travail et même le CICE ont été des fautes politiques majeures ; et que si c’était à refaire, on ne le referait pas », développe Jean-François Debat, secrétaire national à la transition écologique. Pour certains cadres, la renaissance passe par une rupture nette avec ces années.
Laurent Baumel, l’ancien député « frondeur » qui a repris les rênes de l’aile gauche du Parti socialiste depuis le départ d’Emmanuel Maurel, plaide lui aussi logiquement pour un inventaire au vitriol. « J’interprète le quinquennat comme une dérive vers le social-libéralisme. C’est important de reconnaître qu’il y a eu un problème. C’est une condition pour retrouver une capacité à émettre », insiste-t-il avant de ranger l’ancien président au musée : « Merci à François Hollande de s’occuper de sa fondation [La France s’engage, qui soutient des projets en économie sociale et solidaire] ! »Voilà un des nœuds du problème : depuis son départ de l’Elysée, et surtout depuis la sortie de son livre au printemps dernier – un succès de librairie –, l’ancien président parle beaucoup. Trop, selon certains de ses camarades, qui lui prêtent des ambitions autres que celle de professionnel de la dédicace…

« Qu’on en finisse un peu »

François Hollande « peut être présent comme ancien chef de l’Etat, mais ça ne doit pas venir parasiter notre reconstruction, appuie le député Luc Carvounas, adversaire malheureux de M. Faure au congrès d’Aubervilliers. Dans les grandes démocraties, quand on a perdu, on tourne la page et on accompagne une nouvelle génération. » Pour Jean-François Debat, François Hollande « ne peut pas être un des socles de la reconstruction. Si on en est là, c’est aussi de sa faute : s’il avait mieux mené son quinquennat, la gauche n’aurait pas explosé. »
Du côté des « hollandais » du parti, on ne voit pas forcément ce travail d’inventaire d’un œil favorable. « Qu’on en finisse un peu », soupire Clotilde Valter, une des porte-parole du PS. L’ancienne secrétaire d’Etat à la formation professionnelle « pensait qu’on avait eu le débat à travers le congrès », en avril dernier, où elle avait soutenu la candidature de Stéphane Le Foll. « Faire le bilan de François Hollande, c’est aussi faire celui du gouvernement, des parlementaires. C’est faire l’inventaire de la gauche au pouvoir, prévient-elle. Laisser penser que ce serait le bilan de François Hollande seul, c’est se moquer du monde. » Façon de souligner la responsabilité, dans l’échec du quinquennat, des oppositions internes. Et de laisser penser que le débat entre « frondeurs » et « légitimistes », qui a miné la présidence Hollande, n’est peut-être pas encore tout à fait clos au PS.

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