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samedi 8 décembre 2018

L’austérité étrangle les universités - le 8.11.2018


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L’austérité étrangle les universités
Malgré un budget 2019 en hausse, les établissements sont contraints à des économies
La pilule ne passe plus », pour Yann Le Page, élu CGT à l’université Rennes-I. Son établissement s’engage dans de nouvelles mesures d’économies, avec une centaine de suppressions d’emplois dans les trois prochaines années, d’après le « plan de retour à l’équilibre » approuvé le 25 octobre. Après deux exercices budgétaires en déficit, les universités doivent adopter des « plans de rétablissement de l’équilibre financier », avec un contrôle préalable du recteur d’académie. « On n’appelle pas ça une mise sous tutelle de l’Etat, mais c’est exactement la même chose », affirme Yann Le Page.
L’université bretonne n’est pas la seule à avancer sur cette voie d’austérité. A Lille, la nouvelle fac – un mastodonte de 70 000 étudiants issu de la fusion des trois établissements lillois au 1er janvier 2018 – se prépare à un plan de redressement sur cinq ans, dans lequel 73 emplois d’enseignants-chercheurs et de personnels administratifs ne devraient pas être remplacés. A Orléans, une trentaine de postes devraient rester inoccupés en 2019.
La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, devait présenter devant les députés, mercredi 7 novembre, un budget pour 2019 en hausse de 166 millions d’euros. Pour le gouvernement, il s’agit de montrer la « priorité stratégique »que constituent les universités, comme elle l’a souligné lors de son audition devant les sénateurs mardi.

« Plus de souffrances »

Depuis le passage à l’autonomie des universités en 2007, l’équation est complexe : la dotation que l’Etat leur attribue n’a pas suivi l’augmentation mécanique de leurs charges. Celles-ci sont grevées principalement par la progression de leur masse salariale, due à l’évolution de carrière de leurs personnels fonctionnaires, appelée le « glissement vieillesse technicité ». En parallèle, la démographie étudiante ne cesse d’augmenter. Entre 20 000 et 60 000 étudiants supplémentaires sont accueillis chaque année depuis cinq ans.
Cinq universités se retrouvent en déficit, ainsi que trois en double ou triple déficit – soit 10 % d’entre elles, d’après les données du ministère portant sur l’année 2017. « L’analyse des comptes financiers met en évidence une situation globale satisfaisante, avec une progression des principaux indicateurs financiers par rapport à 2015 », précise-t-on au cabinet de Frédérique Vidal. « Le nombre d’universités en difficulté est relativement stable », abonde Gilles Roussel, à la tête de la Conférence des présidents d’université, qui souligne l’amélioration de la capacité de prévision des établissements en matière budgétaire. Selon la dernière note de la Cour des comptes publiée en mai, une dizaine d’établissements sont dans une situation budgétaire « dégradée » ou « très dégradée », un chiffre en légère baisse par rapport en 2017.
« On pourrait croire que la situation s’améliore, mais c’est à cause d’une austérité drastique imposée dans les établissements depuis plusieurs années », dénonce Hervé Christofol, secrétaire général du Snesup-FSU.
A Rennes-I, 100 postes ont été « gelés » (non remplacés, après des départs à la retraite) depuis 2016, d’après l’intersyndicale qui s’est constituée pour s’opposer au nouveau plan d’économies dans l’établissement, qui compte 30 000 étudiants et 3 200 personnels. « On voit des services qui fonctionnent avec moitié moins de personnels, des gens surchargés, et toujours plus de souffrance au travail », alerte Patrick Chasle, ingénieur d’études, délégué du SNPTES, qui a participé à une manifestation devant la présidence de l’université rennaise, le 25 octobre, pour en appeler au soutien de l’Etat.

L’incertitude demeure

« En 2018, pour la première fois, l’Etat a financé notre “glissement vieillesse technicité” à 75 %, salue David Alis, à la tête de l’université Rennes-I, et coanimateur d’un groupe de travail sur les plans de redressement chez les présidents d’université. Mais d’autres charges continuent à augmenter sans être compensées, comme la hausse de la CSG [contribution sociale généralisée] qui représente 1 million d’euros pour nous. » L’incertitude demeure sur le niveau de compensation que va obtenir chaque établissement en 2019, alors que le gouvernement assure que 103 millions d’euros sont prévus au budget – en tenant compte des redéploiements de crédits – pour ces charges obligatoires que la Conférence des présidents d’université a évaluées à plus de 130 millions d’euros pour 2019.
Chez ses homologues lillois, le principe d’un plan de redressement a été adopté le 4 octobre pour les cinq années qui viennent, alors que l’université se dirigeait vers un déficit prévisionnel de 6 millions d’euros.
Mais les pistes présentées par la présidence (le non-remplacement des 53 postes vacants ainsi que des vingt départs à la retraite) provoquent déjà des crispations. Le vice-président aux ressources humaines a démissionné le 19 octobre. « C’est très anxiogène », reconnaît Gabriel Galvez-Behar, professeur d’histoire, du SGEN-CFDT. « On se dirige vers des conditions d’études dégradées, avec des fermetures de formations et de services de proximité pour les étudiants », craint Anouar Benichou, élu étudiant de l’UNEF.
« Il faut en passer par là pour retrouver la maîtrise de notre masse salariale et des marges de manœuvre, soutient le président de l’université de Lille, Jean-Christophe Camart.Mais il s’agit d’une phase difficile, surtout au lendemain d’une fusion. » D’autant que son établissement fait partie des universités les plus sous-dotées, selon lui, avec des taux d’encadrement des étudiants très faibles.
A Lille comme à Rennes, les économies portent également sur les investissements, limités sur le plan immobilier aux chantiers de sécurité les plus urgents. A l’autre bout de la chaîne, on tente de développer les ressources propres grâce à la formation continue ou encore aux contrats de recherche européens.

« Le plus dur est passé »

Mais, comme ailleurs, la principale solution en termes d’économies consiste à remplacer des postes d’enseignants-chercheurs titulaires par des enseignants contractuels qui coûtent moins cher. « Cela permet de gagner en capacité de formation, mais on sacrifie la recherche », reconnaît Ary Bruand, président de l’université d’Orléans, qui prévoit vingt-trois « gels » de postes en 2019 – trente-huit d’après les syndicats –, alors que les effectifs étudiants ont progressé de 5 % à la rentrée. L’établissement n’est plus en déficit depuis le plan d’économies enclenché en 2016, quand l’université s’était retrouvée avec un trou potentiel dans ses finances de 12 millions d’euros.
A Toulouse-III aussi, « le plus dur est passé », estime son président, Jean-Pierre Vinel, qui espère finir l’année à l’équilibre, alors que l’université achève un plan de redressement de trois ans durant lesquels 200 postes ont été supprimés. « La situation est meilleure, constate-t-il. Mais ça ne veut pas dire qu’elle est bonne. »

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