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mardi 11 décembre 2018

L’Afrique du Sud à pas de géant - le 9.11.2018




LAfrique du Sud à pas de géant
« Release » et ses 50 barres d’acier sculptées par Marco Cianfanelli, à Howick. RAJESH JANTILAL/AFP
A gauche : une fresque murale du township Orlando, à Soweto. FRÉDÉRIC SOLTAN/CORBIS VIA GETTY IMAGES Ci-contre : vue aérienne de Llandudno, dans la banlieue du Cap, avec sa longue plage de sable blanc. GALLO IMAGES/GETTY IMAGES En bas : le quartier de Maboneng, ancienne zone industrielle de Johannesburg. ADAM AFFUTA
Nelson Mandela aurait eu 100 ans en 2018. L’occasion de découvrir le pays autrement, loin des safaris et des plages. De la ferme où se réunissait clandestinement l’ANC à la prison de Robben Island, voyage sur les traces d’une figure historique
VOYAGE
Découvrir l’Afrique du Sud en suivant la trace d’une figure comme Nelson Mandela tient à la fois du pèlerinage et de la confrontation avec une réalité qu’on voudrait moins cruelle : plus d’une génération après l’abolition de l’apartheid, en 1991, les inégalités de destins sont toujours palpables dans le pays. Loin des réserves d’animaux sauvages et des plages, qui font le succès de l’Afrique du Sud auprès des touristes du monde entier, les maisons, les tribunaux ou les prisons où Nelson Mandela a vécu son « long chemin vers la liberté » sont devenus des lieux de mémoire qui se visitent et permettent de découvrir autrement le pays, depuis le petit village de Qunu, où il a grandi, jusqu’au large du Cap, à Robben Island, la prison dans laquelle il fut enfermé pendant dix-huit longues années.
Un grand voyage démarre souvent sur une note mineure, tant il est difficile d’être à la hauteur des rêves qui nous portent si loin. A Johannesburg, il commence en quelque sorte par la fin, au Nelson Mandela Centre of Memory, à Houghton, le quartier le plus riche de la ville. Ce sont les derniers bureaux qu’occupa l’homme politique à la fin de sa vie publique, entre 1999 et 2004, après son unique mandat de président d’Afrique du Sud. La pièce où se tenait le grand homme pour recevoir ses visiteurs a été conservée, intacte. Son bureau, son fauteuil ou encore sa collection de statuettes de vaches racontent une icône modeste. Dans une sorte de mini-musée, la médaille et le diplôme du prix Nobel partagé en 1993 avec Frederik de Klerk tiennent la vedette parmi une collection d’objets et de coupures de presse. Dehors, une statue de Mandela en bronze le représente souriant, à taille réelle. Comme la plupart de celles, très nombreuses, qui peuplent le pays, elle n’est pas un chef-d’œuvre, mais ce n’est pas son affaire. Il s’agit littéralement de faire vivre la figure de « Madiba ». Non loin, au croisement de deux larges rues bordées de jacarandas, ces grands arbres américains qui se couvrent de fleurs bleues en octobre, la maison où mourut Mandela le 5 décembre 2013 n’est pas ouverte au public. Sur les trottoirs, on découvre un spectacle qu’on s’attendrait plutôt à trouver devant la demeure d’une rock star : réunis en monticules, des galets portent des inscriptions manuscrites : « A true angel », « The people hero of all time » ou encore « We need more like you ! ». De ce Johannesburg huppé, où de hautes maisons cossues et leurs jardins se cachent derrière des palissades que prolongent parfois des barbelés, nous ne verrons rien de plus. Mais c’est assez pour mesurer la distance avec les townships, ces longs alignements de petites baraques, parfois en dur, mais le plus souvent faites de tôles et de bois, aperçus en chemin. Celles-là sont sans défense.
Toujours à Johannesburg, direction Liliesleaf, la ferme dans laquelle se réunissaient clandestinement, à partir de 1961, les leaders du Congrès national africain (ANC), dont Nelson Mandela dirigeait alors la branche armée. Pour donner le change, il y occupait un poste de jardinier – qui n’était pas qu’une couverture. Aujourd’hui encore, l’endroit est fascinant. Situé à Rivonia, dans un coin de campagne dont la banlieue a eu raison depuis longtemps, ce QG secret fut découvert le 11 juillet 1963 : 19 dirigeants de l’organisation, dont Walter Sisulu et Govan Mbeki, furent arrêtés, ce qui conduisit au célèbre procès de Rivonia la même année, puis aux condamnations à la prison à vie de Mandela et de ses principaux camarades. Ici, l’objet emblématique de la visite est plein d’ironie : c’est un camion de la compagnie Africa Hinterland, qui baladait des touristes en camping safari sans informer ces derniers que leurs sièges étaient autant de caches d’armes destinées à la lutte armée.
Pour compléter le « Mandela tour » dans la capitale économique du pays, restent à voir la Cour constitutionnelle, sur une colline du quartier de Braamfontein, puis Chancellor House et enfin le Musée de l’apartheid. Construite à côté d’Old Fort, une prison où fut détenu Gandhi, la Cour constitutionnelle est visitée sans cesse par des groupes scolaires en uniforme. La prison, toute d’exiguïté et de misère, glace le sang. Mandela connut d’abord celle-ci comme avocat, puis comme prisonnier, et enfin en tant que président. Créée en 1994, la Cour constitutionnelle symbolise la liberté retrouvée et protégée par une haute juridiction, en opposition totale avec l’arbitraire qui précédait. A l’extérieur, une fresque murale rend hommage à Albert Lutuli, Albertina « Ma » Sisulu ou encore Robert Sobukwe, des figures de la lutte contre l’apartheid. On passe ensuite faire des photos de la statue colossale de Mandela en boxeur, une œuvre de Marco Cianfanelli, d’après une célèbre photographie. Elle fait face à Chancellor House, l’immeuble dans lequel Mandela et son associé Oliver Tambo installèrent le premier cabinet d’avocats noirs d’Afrique du Sud en 1951.

Le choc de la ségrégation

Cinquième étape de ce voyage à Johannesburg, le Musée de l’apartheid en est aussi la clé. Impossible de décrire en détail la somme de documents, d’informations et d’émotions qui balaient l’âme du visiteur. Pour se convaincre que ce lieu est sans doute le plus fascinant musée politique au monde, il suffit de savoir comment on y entre : au hasard d’un tirage au sort, les visiteurs sont divisés en deux groupes, « White » et « non-White » (Blancs et non-Blancs). On chemine ensuite séparément, en découvrant les cartes d’identité de citoyens bien réels des années 1950 ou 1960, les autorisations des uns, les restrictions imposées aux autres. Trente mètres après l’entrée, les deux chemins se rejoignent. Ainsi chacun a déjà éprouvé, avant le musée proprement dit, ce qu’était concrètement la classification dite « raciale » – en fait raciste – instituée par l’apartheid, avec les différences de droits qui s’y attachaient, notamment relatives au partage de l’espace public et à la liberté d’aller et de venir. Le Musée de l’apartheid, qui exige qu’on lui consacre une demi-journée, est vraiment un endroit que l’on quitte changé et, disons le mot, en état de choc. La figure de Mandela y est moins dominante qu’ailleurs, tant le sujet ici – l’oppression organisée d’un peuple en raison de la couleur de sa peau – dépasse toute histoire individuelle pour rejoindre la grande Histoire universelle, celle de la folie des hommes au XXe siècle.
Le déjeuner traditionnel au Lebo’s Backpackers, le premier hôtel de Soweto fondé par des habitants du célèbre township, se prend en plein air. Au menu, un Bunny Chow, un pain de mie farci au curry, idéal avant d’affronter à vélo les pentes de Soweto. On suit en deux roues les jeunes guides, qui font partie de la génération « born-free », les enfants nés après l’abolition de l’apartheid. A 20 km au sud-ouest de Johannesburg, le township qui fut le théâtre de nombreuses émeutes contre l’injustice est aujourd’hui le témoignage des progrès, certes, mais des progrès modestes accomplis par le pays depuis 1991. La simplicité des maisons et la pauvreté des équipements publics – les trottoirs sont rares, la décharge est sauvage, l’éclairage nocturne erratique – tranchent avec la jeunesse des visages croisés : en milieu d’après-midi, les ados très nombreux – toujours en uniforme – rentrent chez eux, mais d’adultes il n’y a guère.
Pretoria, la capitale du pays, n’est qu’à 70 km au nord de « Jo’burg », avec laquelle elle forme une seule agglomération. Le Freedom Park, un musée mémoriel très récent, se consacre à l’histoire des hommes et du territoire de l’actuelle Afrique du Sud depuis les origines jusqu’à nos jours. Il souffre d’un excès de didactisme et de l’absence de collection. Néanmoins, l’abondance de programmes audio ou vidéo y est sans doute mieux adaptée aux jeunes que le Musée de l’apartheid, par exemple. Toujours à Pretoria, on passe devant le palais de justice, sur Church Square, la place principale du cœur historique de la ville. C’est entre ces murs, avant le verdict du procès de Rivonia, que Mandela prononça son célèbre discours « I have fought against white domination… », dans lequel il se déclarait prêt à mourir pour son idéal de liberté.

Prison avec jardin

Il faut prendre un vol intérieur pour Durban, puis rouler 100 km en direction de Howick pour découvrir le site où a eu lieu la capture de Nelson Mandela, dans le sud du KwaZulu-Natal. Au bord d’une route de montagne, une plaque se souvient de son arrestation, le 5 août 1962, avec l’aide de la CIA. En 2012, un vaste site d’interprétation y a été installé. Il accueille aussi bien des arrivées de marathon, un festival de musique et bientôt un tout nouveau bâtiment consacré à des expositions. On s’envole à nouveau pour un saut de puce le long de la côte, direction East London. Cette petite ville côtière est le point de départ pour une journée complète à Qunu, à trois heures de route. Ce village est à la fois celui des jours heureux de l’enfance de Rolihlahla Mandela, pas encore renommé Nelson, et le lieu de sa sépulture, dans l’enceinte de la propriété familiale, qui ne se visite pas. On se promène dans le village un peu vide, où on déjeune dans une hutte moderne chez Nokrismesi Gamakhulu. Depuis la terrasse du Musée Nelson Mandela, le vaste paysage alentour est splendide, même si cette campagne est aussi pauvre que ses vaches sont maigres. A plus de 900 m d’altitude, les bergers gardent les bêtes sur des collines d’herbes jaunies rythmées de loin en loin par de petits villages. Les arbres sont rares, et rien n’arrête le vent.
Le voyage s’achève au Cap. La halte au Drakenstein Correctional Services est paradoxalement réjouissante. Car c’est là que Mandela retrouva la liberté. Située dans la région des vins, à 60 km à l’est du Cap, où quelques huguenots français trouvèrent refuge à la fin du XVIIe siècle, l’ultime prison de Mandela est en fait un modeste pavillon, agrémenté d’une piscine et d’un jardin. Cette résidence surveillée se visite en groupe avec, en guise de guide, le dernier gardien du futur président. C’est lui qui ouvrit les portes de la liberté à Nelson Mandela le 11 février 1990. Ce jour-là, les télévisions du monde entier l’attendaient. Mais avant cette maison relativement confortable, il y eut beaucoup d’autres prisons. La plus brutale d’entre elles fut celle de Robben Island, une île plantée au large du Cap. Séparée de la ville par sept longs kilomètres de mer infestée de requins, Robben Island n’est accessible en bateau que par beau temps et les annulations sont fréquentes. On embarque à la pointe du V&A Waterfront, pour un voyage en enfer. Installés dans des bus, les visiteurs très nombreux suivent un parcours d’environ deux heures qui s’achève avec la cellule et la cour de promenade de Nelson Mandela. Les lieux eux-mêmes, et ce que l’on comprend des règles de détention, sont d’une dureté inouïe. On mesure ici la force morale qu’il a fallu à un homme pour faire taire ses ressentiments envers ses geôliers et construire la paix entre Blancs et Noirs dans une même nation. Y est-il parvenu ? C’est la question que se posent sans doute nombre des visiteurs, si silencieux dans le bateau de retour. Le temps a rendu l’œuvre politique de Mandela si imparfaite que, en cette année de célébration du centenaire de sa naissance, les Sud-Africains tentent coûte que coûte, en la partageant avec des voyageurs du monde entier, de faire revivre la figure universelle du Prix Nobel de la paix pour éloigner le spectre des divisions.

Le Cap, une pointe de douceur
Le Cap ne fait pas partiede ces villes qui se laissent embrasser facilement. La météo y est pour beaucoup. Si nous avons pu monter au sommet de Table Mountain et faire la traversée jusqu’à Robben Island, nos compagnons de voyage, partis deux jours avant nous, n’ont pas eu cette chance. Trop de pluie et de vent. Table Mountain est au Cap ce que la tour Eiffel est à Paris. On peut bien entendu ne pas y monter, on a même le droit de considérer que c’est un piège à touristes, mais ceux qui décident de prendre le téléphérique jusqu’au sommet le savent : là-haut, le spectacle est grandiose. Avec la ville et l’océan en face et la terre d’Afrique derrière, le grand frisson est garanti.
Par beau temps, Table Mountain permet aussi de localiser plus facilement les quartiers à découvrir. Deux d’entre eux, radicalement différents, donnent une bonne vision de la ville. Bo-Kaap, rendu célèbre par les façades colorées de ses maisons, vaut mieux que son succès sur Instagram. C’est là que vivent les Malais du Cap, c’est-à-dire les musulmans qui descendent des esclaves malaisiens, indonésiens et indiens déplacés de force par la compagnie néerlandaise des Indes orientales il y a plus de trois siècles. Ce passé, dont témoignent encore les mosquées et les magasins d’épices, se mélange à la face plus moderne du quartier, où les boutiques de créateurs ou de déco et les cafés bondés de jeunesse invitent au shopping. Plus touristique, le V & A Waterfront est le cœur battant du Cap, où la ville s’ouvre sur la mer. Ici, la grande roue cohabite avec les chantiers navals, et le luxe de l’hôtel One & Only ne dénote pas, à 200 mètres des meilleurs spots de street food de la ville. Le Water Shed, vaste hangar aménagé en marché, abrite les meilleurs artisans sud-africains et leurs créations.

« Oiseau de paradis »

Juste de l’autre côté du pont tournant qui barre l’entrée du port, un tout nouveau musée d’art contemporain vient d’ouvrir, consacré aux artistes africains du XXIe siècle, du continent ou de la diaspora. Le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa a installé ses cimaises dans un ancien silo, où l’architecture contemporaine se marie à merveille avec le passé industriel. Kyle Morland, Ruby Swinney, Marlene Steyn ou encore Wangechi Mutu : ce ne sont que quelques-uns des noms des jeunes artistes exposés au musée et dont les œuvres abondent dans la collection permanente. Foisonnant artistiquement, le Zeitz abrite aussi un restaurant panoramique et un hôtel impeccable.
On ne saurait quitter Le Cap sans découvrir le plus grand et le plus beau des neuf jardins botaniques d’Afrique du Sud. Fondé en 1913 pour préserver la flore indigène de l’Afrique australe, le jardin botanique national de Kirstenbosch s’étend sur plus de 500 hectares, à flanc de montagne, au sud-est de Table Mountain. Le jardin des protéacées, avec la très rare Marsh Rose, le sentier des Fynbos, le jardin des restionacées (les roseaux du Cap) ou encore celui des parfums sont autant de haltes indispensables au cours d’une visite à laquelle les amateurs de plantes consacreront une journée entière. Ici aussi, le souvenir de Mandela est maintenu, sous la forme d’une fleur « Oiseau de paradis » d’un jaune éclatant, la Strelitzia reginae « Mandela’s Gold ».
Il ne faut pas manquer non plus les arbres d’argent (Leucadendron argenteum) endémiques des montagnes du Cap et les protéas géantes (Protea cynaroides), la fleur que l’Afrique du Sud a choisi comme l’un de ses symboles nationaux après l’apartheid. En quittant Kirstenbosch, deux possibilités s’offrent au voyageur : revenir sur ses pas pour profiter de la fin du jour au Cap, ou pousser plus au sud vers la pointe rocheuse qui donne son nom à la ville, le cap de Bonne Espérance. Légendaire pour les marins depuis que les Portugais « passèrent » le cap pour la première fois en 1488, cette péninsule est une réserve naturelle que l’on découvre à pied. Ici, le soleil se couche sur la mer dans un spectacle aussi grandiose qu’inspirant.

CARNET DE ROUTE
Notre journaliste a organisé son voyage avec l’aide de l’office du tourisme d’Afrique du Sud, Emirates et l’hôtel One & Only Cape Town.

Y ALLER

Emirates propose un vol Paris-Johannesburg A/R (réservation J – 90) à partir de 622 € en classe économique, et à partir de 3 388 € en classe affaires, qui permet de profiter du bar-lounge de l’A380. Tél. : 01-57-32-49-99. Emirates.com
Depuis le printemps, Joon propose cinq vols par semaine à destination du Cap à partir de 279 € (bagages en soute non inclus)Joon.fr

SE LOGER

Au Cap
Dans la marina du V & A Waterfront, le One & Only Cape Town est le plus central et le plus luxueux des hôtels du Cap. Chambre double à partir de 780 € la nuit. Oneandonlyresorts.com
Le Dutch Manor est une charmant boutique-hôtel installée à Bo-Kaap. Chambre double à partir de 110 € la nuit. Dutchmanor.co.za
A Johannesburg
Très international, l’Hôtel Maslow a l’avantage d’être un bon point de départ pour toutes les visites. Chambre double à partir de 116 €. Suninternational.com
Plus charmante, la Satyagraha House est une maison d’hôte installée dans le quartier d’Orchards. Gandhi y vécut en 1908 et 1909. Chambre double à partir de 184 €. Satyagrahahouse.com
Les vrais routards peuvent passer une nuit à Soweto. Les chambres du Lebo’s Soweto commencent à 12 € en dortoir, et la chambre double est proposée à 36 €. Sowetobackpackers.com
Toutes les informations sur les étapes de notre voyage sont disponibles auprès de l’office du tourisme d’Afrique du Sud. Tél. : 0810-203-403 ou info.fr@southafrica.net

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