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mardi 11 décembre 2018

La Colombie face au défi des migrants vénézuéliens le 9.11.2018


La Colombie face au défi des migrants vénézuéliens
Des migrants vénézuéliens attendent l’ouverture d’un salon de l’emploi qui leur est destiné, le 27 septembre à Medellin. JOAQUIN SARMIENTO/AFP
Bogota veut voir dans le mouvement migratoire sans précédent auquel il est confronté une occasion de se développer
BOGOTA - correspondante
Le fonctionnaire municipal qui, nonchalant, surveille l’entrée du parc Montevideo, à Bogota, ironise : « Donald Trump, qui est à la tête de la première puissance mondiale, s’effraye de l’arrivée de 5 000 migrants centraméricains. Nous, en Colombie, nous recevons 3 000 Vénézuéliens tous les jours. »
Christian Kruger, directeur des services migratoires colombiens, confirme le chiffre. « Au cours du mois dernier, 100 000 Vénézuéliens sont entrés dans notre pays pour y rester. Un record, affirme-t-il. Pour prendre la mesure du phénomène, il faut rappeler qu’en 2015, il y avait en Colombie 140 000 étrangers résidents, toutes nationalités comprises. »Jamais la Colombie, ni l’Amérique latine dans son ensemble, n’avait connu un tel mouvement migratoire.

« Devoir historique et moral »

Plus de 1,2 million de Vénézuéliens sont désormais établis en Colombie, selon la Banque mondiale qui, le 2 novembre, publiait un rapport sur l’impact de cette crise migratoire. Le vice-président de l’institution multilatérale, Jorge Familiar, venu lancer le rapport à Bogota, s’est voulu optimiste. « Gérer les tensions entre les communautés de migrants et les communautés qui les accueillent présente bien des défis, a-t-il déclaré. Mais si on sait affronter ces défis, la situation est porteuse à moyen et à long terme d’opportunités, de développement et de croissance. »
Les habitants du parc Montevideo, un carré d’herbe, sale et cabossé, perdu entre les bâtiments industriels qui bordent le terminal de bus de Bogota, aimeraient le croire. Quelque 200 Vénézuéliens y vivent sous des bâches de plastique noir. Depuis fin septembre, la mairie de Bogota, qui veut éviter de voir grandir et perdurer le camp, en interdit l’accès aux nouveaux arrivants. Les rues adjacentes se sont remplies d’abris de fortune.
A Bogota, les Vénézuéliens sont aujourd’hui près de 240 000, soit 2,9 % de la population de la capitale. Ils travaillent dans les salons de coiffure et les garages, chantent dans les bus, vendent des cigarettes aux coins des rues, font la manche aux feux rouges.
« Nous avons le devoir historique et moral d’accueillir nos frères vénézuéliens à bras ouvert », insiste M. Kruger, en rappelant que pendant quarante ans, ce sont les Colombiens qui ont massivement migré dans le pays voisin. « Le moment est difficile évidemment, continue le haut fonctionnaire. Mais à terme, la migration est une chance pour les pays d’accueil qui savent relever ses défis. »
Débordées, les autorités locales ne partagent pas toujours cette vision positive de l’immigration. Les dérapages xénophobes se multiplient ici et là dans le pays. « La police qui lie systématiquement et sans le moindre fondement migration et insécurité y contribue grandement. Les médias qui relaient ce discours aussi », explique Jeronimo Castillo, de la fondation Ideas para la paz (Idées pour la paix), qui s’apprête à publier une étude sur le sujet.
« C’est incroyable de voir ça, non ? », dit Cristobal, en désignant les tentes misérables qui s’alignent sur le trottoir. Ce migrant est ingénieur en électricité. « Ce n’est ni un désastre naturel ni une guerre qui nous a forcés à partir, poursuit-il. C’est juste un gouvernement qui a réussi l’exploit unique au monde de ruiner une puissance pétrolière. » Le Venezuela, qui détient les plus grandes réserves mondiales de brut, devrait enregistrer en 2018, pour la troisième année consécutive, une chute du PIB – de l’ordre de 15 %. Selon les calculs des économistes d’opposition, l’inflation annualisée dépassait 800 000 % au 31 octobre. Cristobal poursuit : « Sous ces plastiques vivent des cadres supérieurs, des employés, plein de gens qualifiés et plein de main-d’œuvre bon marché non qualifiée qui vient des bidonvilles. Tous, tous ne demandent qu’à travailler. »
A la tête du programme de gestion des frontières mis en place pour faire face à cette crise migratoire sans précédent, Felipe Muñoz le sait : « Le grand défi est d’incorporer les migrants à la force productive du pays, dit-il. Mais dans l’immédiat, il faut faire face à l’urgence humanitaire, leur permettre d’accéder aux services de santé, scolariser les enfants, et résoudre ensuite la question du logement. » Tout cela coûte cher, dans un pays où les services publics de base sont déficients et où la corruption fait des ravages. Selon les calculs de la Banque mondiale, la crise migratoire pourrait coûter à la Colombie de 0,26 % à 0,41 % de son PIB.

La « dictature » de Maduro

Les raisons d’espérer un ralentissement du flux migratoire sont minces. Les autorités colombiennes ont élaboré trois scénarios possibles, le plus critique évoque l’arrivée de 4 millions de Vénézuéliens d’ici à 2022. « La crise va continuer tant que sa cause originelle reste en place, à savoir la dictature de Nicolas Maduro au Venezuela », a affirmé le président Ivan Duque (droite) lors du lancement du rapport de la Banque mondial. Le chef de l’Etat colombien souhaite que « la communauté internationale mobilise toutes les ressources multilatérales diplomatiques et politiques à sa disposition pour en finir avec cette dictature ». En attendant, il entend obtenir une aide financière de la communauté internationale, ce qui lui vaut de se faire traiter de « profiteur du système international » par Caracas.
Entre les deux voisins, tous les mécanismes de coopération ont depuis longtemps disparu. Tout en continuant à nier l’ampleur de la crise migratoire, le gouvernement vénézuélien promeut désormais le retour de ceux qui ont quitté le pays. Le programme s’appelle « Le retour dans la patrie ». Parmi les Vénézueliens qui vivent sur le trottoir, les candidats sont rares. Sauf peut-être Anabel, 26 ans, qui vit là depuis six semaines, et envisage de repartir à Caracas, où elle travaillait comme caissière. « Nous sommes tellement nombreux ici que c’est devenu impossible de trouver du travail, soupire-t-elle. Dans mon pays, il n’y a rien à manger, mais au moins j’ai un toit. Je n’ai pas été élevée pour vivre dans la rue, ni pour mendier. C’est trop dur. »

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