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mardi 11 décembre 2018

L’« itinérance » rattrapée par l’ombre de Pétain - le 9.11.2018


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L’« itinérance » rattrapée par l’ombre de Pétain
Emmanuel Macron, à Charleville-Mezières, le 7 novembre. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/ FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »
Les mots choisis par M. Macron, mercredi, ont alimenté la polémique
Ce devait être l’occasion de restaurer l’image d’un Emmanuel Macron plus impopulaire que jamais. De le montrer proche des « territoires » et à l’écoute des Français. Cela prend de plus en plus l’apparence d’un chemin de croix. Entamée dimanche 4 novembre à Strasbourg, l’« itinérance mémorielle » du chef de l’Etat, organisée pour célébrer le centenaire de la fin de la première guerre mondiale se trouve chaque jour un peu plus rattrapée par les polémiques.
Mercredi 7 novembre, Emmanuel Macron s’est arrêté à Charleville-Mézières, où avait été délocalisé le conseil des ministres. L’occasion d’envoyer des signes de considération aux élus locaux, de visiter l’usine PSA de la ville ardennaise, où a été annoncé un projet industriel du groupe algérien Cevital ou de se rendre dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à Rozoy-sur-Serre (Aisne)…
Mais de tout cela, il n’a finalement été que peu question. La faute à Emmanuel Macron, qui a alimenté, tout seul, une polémique sur Philippe Pétain, général pendant la première guerre mondiale, devenu maréchal le 21 novembre 1918. Le matin, avant le conseil des ministres, le président est interrogé sur une cérémonie d’hommage aux maréchaux de la Grande Guerre, organisée le 10 novembre par l’état-major des armées aux Invalides.
Le chef de l’Etat estime que l’hommage aux maréchaux est « légitime » et répond aux questions sur M. Pétain. « Le maréchal Pétain a été pendant la première guerre mondiale aussi un grand soldat, c’est une réalité de notre pays, c’est aussi ce qui fait que la vie politique, comme l’humaine nature, sont parfois plus complexes que ce qu’on voudrait croire, déclare-t-il avant d ajouter : On peut avoir été un grand soldat à la première guerre mondiale et avoir conduit à des choix funestes durant la deuxième. » Si le président ne doit pas participer à cette cérémonie, son chef d’état-major particulier, l’amiral Bernard Rogel, y est annoncé.
En d’autres temps, Charles de Gaulle ou Jacques Chirac avaient tenu des analyses similaires. L’ancien maire de Paris avait déclaré en 2006, lors du 90e anniversaire de la bataille de Verdun, qu’« un homme a su prendre les décisions qui conduiront à la victoire. Il restera comme le vainqueur de Verdun. Cet homme, c’est Philippe Pétain. » Et d’ajouter : « Hélas, en juin 1940, le même homme, parvenu à l’hiver de sa vie, couvrira de sa gloire le choix funeste de l’armistice et le déshonneur de la collaboration. » Même si nombre d’historiens ont validé la vision d’Emmanuel Macron, ses mots ont provoqué de vives réactions politiques.

Le sujet avait été identifié

« Pétain est un traître et un antisémite (…). Macron, cette fois-ci, c’est trop ! L’histoire de France n’est pas votre jouet », a fustigé le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, sur Twitter. « Honorer Pétain, c’est nier la responsabilité » de la France dans la déportation des juifs, s’est aussi indigné Francis Kalifat, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), sur BFM-TV.
François Hollande, qui avait veillé, en 2016, à ne pas prononcer le nom du maréchal lors de la cérémonie – au côté de la chancelière Angela Merkel – des 100 ans de la bataille de Verdun, ne s’est pas privé de critiquer une nouvelle fois son successeur. « L’histoire n’isole pas une étape, même glorieuse d’un parcours militaire, a tweeté l’ancien chef de l’Etat. Elle juge l’immense et indigne responsabilité d’un maréchal qui a délibérément couvert de son nom et de son prestige, la trahison, la collaboration et la déportation de milliers de juifs de France. »
Des indignations balayées dans un premier temps par l’exécutif. « La mémoire de nos soldats tombés ici mérite mieux que de mauvaises polémiques », s’est agacé Benjamin Griveaux à l’issue du conseil des ministres. Evoquant des « raccourcis douteux », le porte-parole du gouvernement a assumé que M. Macron « n’occulte aucun pan de notre histoire »« Je ne pardonne en rien mais je ne gomme rien de notre histoire, a renchéri M. Macron plus tard dans l’après-midi. Il y a eu des hauts faits militaires, il y a eu une forfaiture durant la deuxième guerre mondiale. »
Ce sujet très sensible avait pourtant été identifié depuis plusieurs semaines par l’exécutif. Inquiet de voir un hommage aux maréchaux de la Grande Guerre inscrit au programme des commémorations, avec la présence annoncée du président, l’Elysée avait demandé à Florence Parly, la ministre des armées, de clarifier la nature de la cérémonie. « Nous célébrons un grand anniversaire, [mais]l’état-major n’a jamais imaginé rendre hommage au maréchal Pétain, avait-elle dit sur BFM-TV le 30 octobre. L’état-major a souhaité rendre hommage à des maréchaux qui sont aux Invalides, le maréchal Pétain n’est pas aux Invalides, donc c’est clair. » La tombe du maréchal Pétain est en effet à l’île d’Yeu (Vendée).

« Risque de coagulation »

« La mémoire, ce n’est pas tout à fait l’histoire », avait soufflé, il y a quelques semaines, un conseiller de l’Elysée rappelant que la considération portée au maréchal Pétain avait évolué avec le temps, passant de celle du vainqueur de Verdun à celle du traître de Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher), où il avait serré, en octobre 1940, la main d’Adolf Hitler. L’Elysée semblait alors consciente des risques politiques. « Il n’y a pas un président de la VRépublique qui n’a pas su éviter, contourner les problèmes posés par cette mémoire particulière et ce sera encore le cas à cette occasion », avait-il assuré.
Emmanuel Macron n’a pourtant pas su trouver les bons mots pour écarter toute polémique, obligeant l’Elysée à des contorsions, afin de préserver le reste du périple mémoriel du chef de l’Etat. « Pétain ne sera pas honoré le 10 novembre, a été obligé de repréciser plus tard dans la journée la présidence aux journalistes. Comme tous les ans, le président de la République fera déposer [cette année par son chef d’état-major particulier] une gerbe sur le tombeau de Foch. Les maréchaux Lyautey, Franchet d’Esperey, Fayolle et Maunoury verront leur tombeau aux Invalides fleuri par le chef d’état-major des armées. » L’Elysée a également précisé que le maréchal Pétain ne ferait pas partie de « ceux de 14 » qui entreront au Panthéon en 2019 avec l’auteur Maurice Genevoix.
L’ombre de Philippe Pétain n’a pas été le seul accroc à la journée du chef de l’Etat. Tout au long de ses déplacements, M. Macron a été rattrapé par des sujets beaucoup plus actuels, notamment la hausse du prix des carburants. « J’ai 57 ans, je ne suis jamais descendue dans la rue, lui a ainsi lancé une assistante maternelle croisée à Charleville-Mézières, devant la préfecture en milieu de matinée. Mais (…) le 17 [novembre] je vais descendre. »
A l’Elysée, on commence à redouter que les appels à bloquer les routes ce jour-là, qui se sont multipliés partout en France, ne fédèrent des colères de natures diverses. Après le conseil des ministres, c’est une retraitée, Josyane, qui a interpellé le président aux abords du Musée de l’Ardenne, aussi bien sur la situation des retraités que sur les « privilégiés de l’Assemblée ou du Sénat » ou encore sur « les économies qui sont faites sur notre dos ». « Il ne faut pas agréger des choses qui n’ont rien à voir, il ne faut surtout pas tout confondre », lui a répondu Emmanuel Macron.
« Il risque d’y avoir une coagulation des mécontentements ce jour-là, au-delà des réactions que provoque la hausse du gazole », confirme François Patriat, président du groupe La République en marche au Sénat.
De là à regretter d’avoir mélangé périple mémoriel et rencontres avec les Français ? « On voulait mêler passé et présent, explique-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat. Ce sont des terres difficiles, on savait que le président serait en prise directe avec nos concitoyens et leur colère. Sinon, on aurait été en Ile-de-France ou dans l’Ouest. »

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