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mardi 11 décembre 2018

HISTOIRE et MÉMOIRE -1943 à Grenoble, l'autre 11-Novembre: 600 jeunes arrêtés, 369 déportés...- le 10.11.2018


HISTOIRE et MÉMOIRE

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GRENOBLE


1943 à Grenoble, l'autre 11-Novembre: 600 jeunes arrêtés, 369 déportés...

Des Grenoblois commémorent le 11-Novembre. Ils savent que cette manifestation, en cet hiver 1943, est très risquée. Six cents personnes sont encerclées. 369 d'entre elles sont déportées comme Roger Martinelli dont l'histoire est à lire ci-dessous.
Des Grenoblois commémorent le 11-Novembre. Ils savent que cette manifestation, en cet hiver 1943, est très risquée. Six cents personnes sont encerclées. 369 d'entre elles sont déportées comme Roger Martinelli dont l'histoire est à lire ci-dessous.
Grenoble a deux événements à commémorer en ce 11 novembre. L'armistice de 1918 bien sûr mais aussi la tragédie de 1943. Malgré les interdictions, des centaines de Grenoblois – dont de nombreux jeunes – s'étaient rassemblés le 11 novembre 1943 dans la rue pour commémorer la première victoire sur l’Allemagne.
Cette année 1943 marquera un tournant à Grenoble dans la Seconde Guerre mondiale. Les Grenoblois ont alors ressenti le durcissement de l'occupation allemande, après la période italienne. On parle de "l'automne sanglant de 1943". 
La période de répression commence le 11 novembre 1943. Les Grenoblois savent-ils que quelques temps auparavant, une attaque a eu lieu dans le maquis du Trièves et une rafle dans un hôtel de Saint-Pierre-de-Chartreuse ? Ils défient pourtant l'occupant en préparant la commémoration de la défaite de l'Allemagne. Sont-ils inconscients ou vraiment bravaches ? «On est tenté aujourd'hui de voir chez eux une forme d’inconscience, nous disait Olivier Cogne, ancien directeur du musée de la Résistance et de la Déportation (aujourd'hui directeur du Musée Dauphinois). Eux, en revanche, ne pouvaient pas imaginer l’ampleur et la violence de la répression. Bien sûr, il y avait eu quelques signes avant-coureurs, comme l’exécution d’André Abry [le 6 octobre] [...]  Leur but premier : se souvenir des combattants de 1918. Mais on peut également penser qu’ils voulaient rappeler, aux occupants d’alors, la victoire de la France sur l’Allemagne. Leur cortège est d’ailleurs passé juste devant les fenêtres du QG de laWehrmacht.»

Le polygone d'artillerie explosé par la Résistance, dans la nuit du 13 au 14 novembre 1943. Photo MRDI
Le polygone d'artillerie explosé par la Résistance, dans la nuit du 13 au 14 novembre 1943. Photo MRDI

 Ils sont ainsi nombreux à descendre dans les rues ce 11 novembre 43. Plus de 2 000 personnes - beaucoup de jeunes sont dehors - se rassemblent en cortège en direction du monument des Diables Bleus. Cette manifestation patriotique est interrompue par une vague d’interpellations. Six cents personnes se font encercler et sont arrêtées. 369 seront déportées vers les camps de concentration. Parmi eux, Roger Martinelli (lire plus bas).
Ce 11-Novembre est un macabre prélude. Dans la nuit du 13 au 14 novembre, le résistant Aimé Requet fait sauter le polygone d'artillerie où sont stockées des réserves en munitions. Deux cents tonnes d'explosifs et de munitions disparaissent en fumée.
Du 20 au 25 novembre, les Allemands assassinent les grandes figures de la Résistance iséroise, c'est ce qu'on appelle la Saint-Barthélemy grenobloise.
Le musée de la Résistance et de la Déportation est aujourd'hui dirigée par Alice Buffet (14, rue Hébert 38000 Grenoble, ouvert tous les jours, sauf le mardi matin
Lundi, mercredi, jeudi, vendredi de 9h à 18h, mardi de 13h30 à 18h et samedi et dimanche de 10h à 18h.
L'HOMMAGE DE VIRGINIE À SON GRAND-PÈRE, ROGER MARTINELLI, DÉPORTÉ LE 11 NOVEMBRE 1943

René Martinelli dit Roger
René Martinelli dit Roger

Virginie sera ce dimanche à 11h place Pasteur à Grenoble, pour commémorer les victimes de ce 11-novembre 1943. Cette jeune Grenobloise viendra, comme toutes les années, rendre un nouvel hommage à son grand-père, René Martinelli dit Roger, arrêté ce jour-là.   Une histoire qu'elle nous raconte en quelques mots.
"On n’est pas sérieux quand on a 18 ans... C’est à cet âge que Roger Martinelli s’engage dans la Résistance, en septembre 1943. Le 2 novembre, il fête ses 19 ans dans un début d'automne qui verra naître le plus sombre des hivers. Le jeune homme distribue des tracts, s’engage dans le réseau de Baille-Barrelle, porte ses convictions avec la fougue de son âge.
Pendant que certains de ses copains du centre-ville deviennent collabos, il prend une part active aux préparatifs de la manifestation du 11 novembre 1943 organisée par l’exécutif de la France combattante.
Grenoble, passée des mains des Italiens à celles des Allemands, durcit le ton. Ce 11-Novembre, Roger manifeste en pensant à ses prochaines missions mais tout va s’arrêter là pour lui et pour l’ensemble des manifestants. Les Allemands les encerclent. Son jeune frère Robert aura le temps de fuir en courant prévenir leur père. Ils ont pris Roger. Les manifestants sont emmenés à Compiègne jusqu’en janvier 1944. Le calvaire commence.
Mi-janvier, des wagons à bestiaux les chargent direction Buchenwald. Sans eau, sans nourriture, sans sanitaire. Certains meurent dans cette odeur d’enfer, d’autres deviennent fous.
Au bout de trois jours, les plus solides débarquent à Buchenwald dans une nuit glaciale. Nuit et brouillard. Les nazis armés accompagnés de leurs chiens ont pour mission d’effrayer les arrivants épuisés. Le 10 février 1944 Roger est "sélectionné" pour intégrer le camp de Dora. Dora, c’est l’enfer. Souvent éclipsé de la machine concentrationnaire, l’horreur n’y était pas moins grande qu’ailleurs.
Dans le plus grand secret, on y fabrique sous un tunnel la fusée V2, destinée selon Himmler à rayer Londres de la carte du monde.
Sous les hurlements des Kapos et les ordres de Himmler et de Von Braun, les hommes meurent. De mauvais traitements, de la faim, du typhus, du froid ou juste pour l’exemple. Par milliers, les corps disparaissent dans le four crématoire garantissant un secret définitif.
En avril 1945, la guerre prend fin, il faut évacuer Dora.
Von Braun sera discrètement extradé aux états Unis où il connaîtra une brillante carrière dans la recherche spatiale, intègrera la NASA et mourra en scientifique reconnu. Certains savants de son équipe seront extradés vers la Russie, et participeront aux travaux qui mèneront à Spoutnick. C’est un combat que de rétablir cette vérité. Ils seront peu à pouvoir le mener.
Roger, lui, attaque à la sortie du camp la "marche de la mort". Couvert d’une vieille couverture grise sur sa tenue rayée, son corps malade ne pèse plus que 35 kg. Les camarades l’appellent pépé. Il a vingt ans.
Fin avril, il arrive au camps de Malchow mais son état ne lui permet plus de continuer la marche. Malchow est libéré par les Russes le 1er mai 1945 et Roger sera rapatrié à Paris en passant par l’hôtel Lutecia. Là, chaque déporté reçoit de la nourriture et des vêtements décents pour rejoindre leur famille. À Grenoble, on n’attendait plus Roger. Les papiers passant de veste en veste, les vestes de corps en corps, ceux de Roger ont été retrouvé sur un cadavre. La famille avait été informée de sa mort, à Munich. Et pourtant, dans la douceur de l’été 45, Robert a vu revenir son grand frère à la gare de Grenoble. Bien sûr, on ne revient pas indemne lorsqu’on a subi la folie humaine. La tuberculose sait le lui rappeler et le prive d’un poumon. Le corps et l’esprit gardent à jamais les traces de la guerre. Le devoir de mémoire, le témoignage de la réalité de ce camp trop bien oublié, le souvenir de ceux qui ne sont pas revenus occupent l’esprit. Se battre, encore et toujours. Contre toute forme de totalitarisme, d’obscurantisme, de négationnisme. Que tout cela ne soit pas vain.
Roger a vécu avec sa femme Josette en relativisant tout, en aimant rire, en sachant la valeur de la liberté. Sans jamais oublier. Témoigner, toujours, jusqu’à la fin, jusqu’à ses 78 ans en 2002.
Soixante ans plus tôt, il avait 18 ans. Alors non, on n’est pas toujours sérieux quand on a 18 ans. Mais quand on est de cette trempe-là, on peut changer le destin du monde.

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