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mercredi 5 décembre 2018

Carburants : comment Macron répond à la crise le 7.11.2018


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Carburants : comment Macron répond à la crise
 « J’entends les colères légitimes, les préoccupations » des automobilistes, a assuré le président de la République, mardi 6 novembre, sur Europe 1
 Emmanuel Macron tente de déminer la situation, alors que la colère enfle face à la hausse du prix du carburant et que s’organisent des manifestations
 Il souhaite « améliorer le chèque énergie » pour les ménages modestes et lancer une aide au transport telle qu’elle est mise en place dans les Hauts-de-France
 Mais l’exécutif n’entend pas revenir sur l’alignement de la fiscalité du diesel sur celle de l’essence, au nom de la lutte contre la pollution de l’air
 Le chef de l’Etat a également critiqué « une Europe ultralibérale qui ne permet plus aux classes moyennes de bien vivre »
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PRIX DES CARBURANTS
L’exécutif face à la colère des automobilistes
Ceux qui comptent se mobiliser sont appelés à poser un gilet jaune fluo sur leur tableau de bord.  PHILIPPE HUGUEN / AFP
Emmanuel Macron a annoncé des mesures à destination des plus modestes
En France, la bagnole, c’est quelque chose, comme le disait Pompidou. » Sur Europe 1, mardi 6 novembre, Emmanuel Macron a tenu à défendre la place de l’automobile, alors qu’entre la limitation de la vitesse à 80 km/heure et la hausse des taxes sur les carburants – qui s’ajoute à celle des prix du pétrole –, de plus en plus de Français se sentent attaqués dans leur mode de vie. « J’aime la voiture, mais malheureusement je ne conduis plus », a poursuivi le chef de l’Etat, soucieux de désamorcer la grogne qui monte face à cette montée des prix (de 23 % pour le diesel et de 15 % pour l’essence depuis un an). « J’entends les colères légitimes, les préoccupations », a-t-il assuré.
Le président a donc demandé au gouvernement de travailler sur deux pistes : d’une part « améliorer le chèque énergie »pour ceux qui n’ont pas les moyens de changer de chaudière et ont du mal à se chauffer ; d’autre part, accompagner « nos concitoyens qui tous les jours prennent leur voiture pour aller travailler » parce qu’ils n’ont pas accès aux transports en commun, et qui ont de faibles revenus. « On travaille depuis quelques jours avec les entreprises, les régions et l’Etat pour voir ce qui peut être fait », explique un conseiller de l’exécutif. Dans l’urgence, lundi matin, une réunion interministérielle s’est d’ailleurs tenue pour préparer ces mesures.
Le chef de l’Etat avait déjà tenté de déminer dimanche.« J’assume parfaitement que la fiscalité du diesel soit au niveau de celle de l’essence et je préfère la taxation du carburant à la taxation du travail », avait-il affirmé aux journaux du groupe Ebra. « Les mêmes qui râlent sur la hausse du carburant, réclament aussi qu’on lutte contre la pollution de l’air parce que leurs enfants souffrent de maladies », poursuivait-il.
Pas question pour Emmanuel Macron que les « gilets jaunes » le fassent plier comme les « bonnets rouges » avaient fait reculer François Hollande. Depuis un mois, ils sont de plus en plus nombreux à mettre leur gilet de sécurité derrière leur pare-brise pour signifier leur mécontentement. Samedi 17 novembre, les leaders de ce mouvement appellent à bloquer les routes, pour que le gouvernement renonce à la nouvelle hausse des taxes sur l’essence et le diesel prévue dans le budget 2019. Un mouvement soutenu par 78 % des Français, selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting publié le 1er novembre par Franceinfo et Le Figaro.

Chèque énergie

Au sein de l’exécutif, on avait partiellement anticipé le mécontentement. « Il y a un an, lorsqu’on a décidé de la trajectoire de la fiscalité sur l’essence, destinée à l’alourdir dans son ensemble d’une part, et à poursuivre la convergence des taxes entre le diesel et l’essence d’autre part, on savait qu’il y avait là matière à débat », explique-t-on à Matignon, où l’on rappelle avoir prévu dès le départ des mesures d’accompagnement, comme le chèque énergie et la prime à la conversion, dont le budget 2019 étend encore le périmètre. De son côté, le ministre de la transition écologique, François de Rugy, a entamé depuis plusieurs semaines des discussions avec les constructeurs automobiles pour qu’ils complètent, en payant de leur poche, la prime à la casse de l’Etat.
Il n’est pas question de revenir sur « cette politique fiscale qui met un prix face à la pollution », martèle-t-on à l’Elysée comme à Matignon. Un argument qu’ont repris plusieurs ministres, plutôt que de répondre sur le terrain du pouvoir d’achat, dont l’Insee assure pourtant qu’il devrait rebondir. « On ne suspend pas la transition écologique (…) », a ainsi déclaré le ministre de l’économie Bruno Le Maire sur BFM-TV le 5 novembre.
En direct du Vietnam où il était en voyage officiel, le 3 novembre, Edouard Philippe a une nouvelle fois affirmé « [entendre] la colère (…) qui peut s’exprimer, mais (…) il n’y a pas de solution magique au problème de dérèglement climatique ». Quant à la secrétaire d’Etat à la transition écologique, Emmanuelle Wargon, elle a utilisé Twitter pour répondre au coup de gueule d’une automobiliste bretonne dans une vidéo qui a dépassé les cinq millions de vues sur Facebook. Et rappeler que les particules fines (émises par le diesel) font 48 000 morts par an.
Pas de changement de cap, donc, comme le répète l’Elysée. Mais des gestes pour répondre à la montée des mécontentements. « Comme beaucoup des députés de la majorité, j’ai passé une partie du week-end à répondre à des courriers d’incompréhension ou de colère pour expliquer le sens de l’augmentation de la fiscalité écologique, raconte le président du groupe LRM à l’Assemblée nationale, Gilles Le Gendre. Nos compatriotes sont animés d’une impatience, d’une colère, chauffées à blanc par trente ans d’incurie politique, qui se réveillent en toutes occasions et que nos oppositions, dans une grande irresponsabilité, attisent. »« La hausse des carburants peut apparaître comme ruralicide. Les conducteurs y sont renvoyés à chaque fois qu’ils vont à la pompe », observe de son côté le président du groupe LRM au Sénat, François Patriat. « Cela ne fait aucun doute, il y aura beaucoup de monde le 17 novembre », poursuit le sénateur.
Bataille de chiffres autour de la fiscalité verte
Audrey Tonnelier

C’est une querelle de chiffres comme savent en produire les débats de politique économique. Quelle part des taxes vertes est réellement affectée à la transition écologique ? Et celle-ci est-elle suffisante ? Des questions loin d’être théoriques, à l’heure où la grogne fiscale vient torpiller l’opération de communication gouvernementale vantant la hausse du pouvoir d’achat.

Le budget 2019 prévoit que la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui comprend la contribution climat énergie – l’ancienne « taxe carbone » – et l’alignement progressif de la fiscalité du diesel sur celle de l’essence, représentera 2,8 milliards d’euros d’impôts supplémentaires en 2019, après 3,7 milliards d’euros en 2018. « Mais la TICPE est une taxe qu’on a “verdie”, pas une mesure de fiscalité écologique en tant que telle ! », souligne la députée La République en marche (LRM) Bénédicte Peyrol, membre de la commission des finances de l’Assemblée.

Sur les 37,7 milliards de recettes attendus de la TICPE en 2019, seuls 7,2 milliards seront réellement fléchés vers la transition écologique (aide au développement d’énergies renouvelables) et 1,2 milliard vers l’Agence de financement des infrastructures de transport en France. Soit un peu plus de 20 % des recettes. Pour le reste, 12 milliards iront aux collectivités territoriales pour financer l’apprentissage ou le RSA, et 17 milliards au budget de l’Etat. « Mais attention, dans ce dernier, on trouve plus de 30 milliards d’euros consacrés à la transition écologique sous toutes ses formes ! », plaide Mme Peyrol, qui comptabilise l’ensemble des politiques environnementales (aides au développement du bio, recherche sur les villes durables…). Le budget du ministère de la transition écologique, lui, dépassera les 34 milliards d’euros en 2019, soit un milliard de plus que l’an dernier. Mais ces crédits comprennent, par exemple, les retraites des fonctionnaires du ministère.

Boucler les fins de mois de l’Etat
Dernière manière de calculer : rapporter la hausse des taxes vertes en 2019 (près de 4 milliards d’euros pour les ménages et les entreprises) aux gestes concédés par l’Etat pour en amoindrir le poids, notamment auprès des ménages modestes. Hausse de 50 euros du chèque-énergie, crédit d’impôt pour la transition énergétique, primes automobiles à la conversion… tout cela représente environ un milliard d’euros, soit 25 % des impôts supplémentaires levés.

« En fait, on peut faire dire ce que l’on veut aux chiffres », s’agace le député LRM Matthieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot. En période de contrainte budgétaire, la tentation est grande d’utiliser la fiscalité verte pour boucler les fins de mois de l’Etat. Adoptée mi-octobre, la suppression de l’avantage fiscal pour le gazole non routier (GNR), un carburant utilisé par les TPE-PME du BTP dont le prix va bondir de 50 %, est à ce titre caricaturale. La mesure doit rapporter 980 millions d’euros à l’Etat l’an prochain. Mais, destinée à combler le financement des mesures pour les entreprises contenues dans la loi Pacte, elle n’a été annoncée qu’en septembre, et ne vise pas un secteur où des alternatives de véhicules « propres » sont facilement disponibles.

L’appel à manifester le 17 novembre divise à LFI
Jean-Luc Mélenchon estime que cette « colère » est « juste » et « digne »
C’est une prise de position qui fait réagir dans les rangs de La France insoumise (LFI). Lors de son meeting à Lille, mardi 30 octobre, Jean-Luc Mélenchon a estimé que la « colère » autour de la hausse du carburant était « juste et digne »« On dit aux gens d’utiliser moins de carburant. (…) Ceux qui utilisent du carburant le font parce qu’ils n’ont pas le choix ! », a-t-il ainsi affirmé.
Le député des Bouches-du-Rhône a ensuite parlé plus précisément de la mobilisation du 17 novembre. « Ils ont raison de se mettre en colère. Des fachos se sont mis dedans, ce n’est pas bon pour la lutte. Parmi nos amis, certains veulent y aller. Je vais leur dire quoi ? De ne pas y aller ? Ils vont me répondre : “Mais on est fâchés, pas fachos !” D’autres ne veulent pas mettre un pied là où il y a des fachos. Les deux positions se valent en dignité. » Même si, précise-t-il, « les “insoumis” ne vont pas appeler au 17 novembre » pour éviter« toute récupération politique ».
Le même jour, le député LFI de la Somme, François Ruffin, tenait le même discours dans une vidéo. « J’invite nos camarades à comprendre. Il y a un sentiment d’injustice fiscale dans le pays, énonce-t-il. Notre devoir n’est pas de dire : “Ah, il y a des fachos”. (…) Il faut d’abord comprendre avant de juger. »
Cependant, tous les cadres « insoumis » ne partagent pas ces prises de position. Si le constat de « l’injustice fiscale » vis-à-vis des classes moyennes et populaires ne fait pas débat, le fait de participer aux blocages pose problème. D’abord parce que LFI a mis la transition écologique au cœur de son projet (qui prône la fin du diesel). Ensuite, en raison des nombreux appels de l’extrême droite à soutenir le mouvement. La députée LFI de Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain, a ainsi fait part de son opposition à participer aux « blocages » : « Je ne me vois pas défiler à l’appel de Minute et avec Marine Le Pen », écrit-elle dans un post Facebook. Plusieurs syndicats (CGT, Solidaires et la CFDT) ont fait savoir qu’ils se désolidarisaient aussi.

Dépasser les clivages

La mobilisation contre la hausse des carburants est en adéquation avec la stratégie de M. Mélenchon, qui veut être le pivot d’une « coalition des colères » dépassant les clivages contre Emmanuel Macron. Mais la théorie du populisme de gauche qui entend « fédérer le peuple » face à « la caste » trouve ici sa limite, aux yeux de certains « insoumis » : comment faire face à l’extrême droite, ennemi déclaré de LFI, qui prétend incarner les mêmes colères ? Comment ne pas faire tomber le populisme de gauche dans la démagogie ?
Pour le politologue Thomas Guénolé, candidat sur la liste LFI aux élections européennes, « il est hors de question de laisser le poujadisme et les néofascistes remplacer la lutte contre l’injustice fiscale ». Il ajoute : « Il ne s’agit pas de courir après les colères mais de les politiser. » L’ancien socialiste Emmanuel Maurel, qui sera colistier de M. Guénolé, abonde : « La gauche ne doit pas mépriser les mobilisations qui ne correspondent pas à l’idée qu’elle se fait des mouvements sociaux traditionnels. »
L’enjeu est de taille pour La France insoumise : parvenir à incarner « la France périphérique », celle des « invisibles » dont le Rassemblement national a fait son cœur de cible depuis l’accession de Marine Le Pen à sa tête. Quitte à mécontenter en interne.

Les « gilets jaunes », nouveaux « bonnets rouges » ?
La grogne contre la hausse des prix des carburants rappelle le mouvement breton qui s’était opposé à l’écotaxe
Les réseaux sociaux, Cyrille, 47 ans, n’y connaissait « pas grand-chose ». Mais « trop, c’est trop, explique d’une voix déterminée cette employée dans le secteur social qui se rend chaque jour en voiture à son travail, à 35 kilomètres de chez elle. Y’en a marre de dépenser 250 euros tous les mois en gazole ! »
Alors cette habitante de l’Isère a sauté le pas : fin octobre, elle a créé son groupe Facebook appelant à manifester le 17 novembre contre la hausse des prix des carburants ; il s’appelle « Nous ne sommes pas des moutons à La Tour-du-Pin » – le nom de sa commune – et compte déjà près de 500 membres, pour 8 000 habitants.

« Une fiscalité qui passe mal »

Depuis la mi-octobre, des groupes Facebook comme celui-là, il s’en est créé plus d’une centaine en France, appelant à des blocages dans des grandes villes comme dans des petites communes, pour la journée du 17 novembre. D’ici là, ceux qui comptent se mobiliser sont appelés à poser, sur le tableau de bord de leur véhicule, le gilet jaune fluo de la sécurité routière qu’ils arboreront le jour J. « Ce gilet jaune sera le bonnet rouge des automobilistes ruraux et provinciaux, otages de ce racket fiscal aux accents pseudo-écologiques », a déjà prédit un sympathisant sur Twitter. Il y a cinq ans tout juste, en Bretagne, c’est déjà une taxe « verte » – l’écotaxe, infligée aux poids lourds – qui avait fédéré contre elle les mécontentements d’une région en crise et fait reculer le gouvernement.
« Il y a des points communs évidents entre les deux mouvements, estime Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l’IFOP. Une fiscalité qui passe mal, et une mobilisation par les réseaux sociaux. Mais il y avait une forte composante régionaliste chez les bonnets rouges et une convergence assez inédite entre les transporteurs, le patronat breton qui affrontait une crise dans l’agroalimentaire, les ouvriers licenciés… Est-ce que le mouvement du 17 novembre va parvenir à fédérer à ce point ? Ce qui est sûr, c’est que toute une partie de la population française est prise à la gorge. »
D’où est partie la fronde cette fois ? Peut-être d’une pétition« pour une baisse des prix du carburant à la pompe » lancée il y a cinq mois sur Change.org par une Francilienne de 32 ans. Avec plus de 775 000 signatures, elle pointe à la onzième place des pétitions françaises les plus signées depuis la création du site. Cantonnée à quelque 500 signatures les quatre premiers mois, elle s’est mise à circuler massivement à la mi-octobre.
Au même moment, Anthony Joubert, humoriste populaire sur les réseaux sociaux, mettait en ligne une chanson parodique, Si j’avais du gasoil pour 1 euro, et deux chauffeurs routiers créaient un événement sur Facebook en appelant à un blocage national des routes le 17 novembre contre la hausse de la fiscalité du diesel.

« Révolte du salarié »

Plusieurs centaines de milliers de vues plus tard, les initiatives ont convergé : les routiers ont appelé à signer la pétition, la pétitionnaire à manifester le 17 novembre, et Anthony Joubert a sorti un nouveau (You)Tube : RDV le 17.« Les politiques ne se rendent pas compte de l’impact de ces hausses dans la vie des gens ! », explique l’humoriste indigné. En Isère, Cyrille ne dit pas autre chose : « On n’en peut plus d’avoir une classe politique qui n’entend pas les gens qui bossent ! Qui pense que les petites gens ne valent rien. » Cyrille, comme Anthony Joubert, se revendiquent absolument « apolitiques ». Mais l’appel du 17 novembre n’en a pas moins fédéré dans les réseaux d’extrême droite. La vidéo la plus virale est sans doute celle d’un certain Frank Buhler : 4,4 millions de vues à ce jour. L’homme est délégué de circonscription à Debout la France, le parti souverainiste dirigé par le député de l’Essonne Nicolas Dupont-Aignan.
Ce dernier clame haut et fort son soutien au mouvement, tout comme la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui sait combien ce discours parle à cette « France des oubliés » et de la ruralité où ses électeurs sont nombreux. Alors que de tels soutiens ont poussé les syndicats à se désolidariser du mouvement, le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon a, lui, laissé libre choix à ses sympathisants.
« La question énergétique est centrale et permet d’agréger les mécontentements au-delà des clivages politiques », rappelle Jérôme Fourquet, qui souligne que cette grogne « n’est pas une révolte de nantis ni de défense d’un statutC’est la révolte du salarié qui n’a pas d’autre choix que d’aller bosser en voiture et qui se sent taxé de façon injuste. » Dans son « tableau de bord » de novembre, publié avec Paris Match,l’IFOP a ainsi constaté que la hausse des prix du carburant était désormais le premier sujet de conversation des Français (chez 75 % des personnes interrogées).

Macron tente de désamorcer les critiques
Emmanuel Macron, le 6 novembre, aux Eparges (Meuse). JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »
Sur Europe 1, mardi, le chef de l’Etat a défendu sa politique
A l’aube de la troisième étape de son « itinérance mémorielle » entamée dimanche 4 novembre, Emmanuel Macron a donné un entretien à Europe 1, qui a été diffusé mardi au matin. Le chef de l’Etat y a évoqué l’Europe, l’affaire Benalla et les questions de sécurité. Morceaux choisis.
EuropeA six mois des élections européennes, et alors que le RN est en tête des intentions de vote, M. Macron a consacré une longue part de son intervention à l’Europe. Après avoir rappelé « la parenthèse de paix inédite » que le vieux continent connaît depuis soixante-dix ans, il a égrené les risques qui le menacent aujourd’hui : « Comme dans les années 30, l’Europe est bousculée par une crise économique et financière profonde » et par « la montée des nationalismes belliqueux »« Il faut entendre » ces peurs, a-t-il poursuivi, notamment celle d’une « Europe ultralibérale qui ne permet plus aux classes moyennes de bien vivre »« On a besoin d’une Europe qui protège davantage les salariés, qui soit moins ouverte à tous vents », a-t-il plaidé, sans occulter le sujet des migrants. Il a par ailleurs défendu la constitution d’« une vraie armée européenne » alors que « les puissances autoritaires réémergent et se réarment aux confins de l’Europe », a-t-il dit en allusion notamment à la Russie.
Sécurité« La peur va changer de camp », a assuré Emmanuel Macron. Dans les quartiers, « en matière de lutte contre les trafics et les stupéfiants et contre les bandes, nous allons durcir très fortement », a-t-il poursuivi, comme en écho à la déclaration de Gérard Collomb au moment de ses adieux au ministère de l’intérieur, le 3 octobre. Le chef de l’Etat a aussi évoqué une « reconquête par les services publics », avec des réouvertures de commissariats, de bureaux de poste ou de centres des impôts. « C’est ce qu’on va faire dans les quartiers, je l’annoncerai dans les prochains jours. Aujourd’hui, notre société a besoin de retrouver le sens du travail, du mérite, de l’autorité à tous les âges, dans tous les niveaux, et c’est une mobilisation de toute la nation pour y arriver », a conclu le chef de l’Etat.
M. Macron est par ailleurs revenu sur la diffusion en octobre d’une vidéo montrant un élève menaçant sa professeure avec une arme factice dans un lycée de Créteil. « C’est une violence intolérable », a-t-il expliqué, et la possibilité de mettre des policiers à l’école doit être « ouverte » mais « il faut toujours que ce soit la communauté pédagogique qui en décide ». Le gouvernement doit présenter un plan contre les violences à l’école d’ici au 15 décembre.
Affaire Benalla Pour la première fois, Emmanuel Macron est revenu devant les Français sur l’affaire Benalla. « Est-ce que l’Elysée a caché quelque chose ? Pas du tout », a-t-il affirmé, en rappelant que la vidéo était disponible en ligne dès le 1er mai. En réalité, il a fallu attendre le 18 juillet pour que les Français apprennent, par Le Monde, que l’adjoint au chef de cabinet de M. Macron se trouvait le 1er mai, place de la Contrescarpe, à Paris, muni d’un brassard de police.
Le président a aussi appelé à « l’indulgence » à l’égard de son ex-collaborateur. « Alexandre Benalla, il a fait des fautes ; est-ce qu’il mérite d’être traité comme le plus grand criminel en liberté ? Je n’en suis pas sûr », a-t-il dit. Le 24 juillet, lors d’une soirée organisée par La République en marche pour la fin de la session parlementaire à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, le chef de l’Etat avait fait applaudir son chargé de mission, mis en examen depuis deux jours pour « violences en réunion », par les députés LRM et la ministre de la justice, Nicole Belloubet.
« Est-ce qu’il y a eu des interventions pour faire pression ? Personne », a aussi déclaré M. Macron. Trois policiers sont pourtant aujourd’hui mis en examen pour « violation du secret professionnel » et « détournement d’images issues d’un système de vidéoprotection » après avoir transmis à Alexandre Benalla des images des caméras de la Préfecture de police, montrant sous un autre angle les violences de la place de la Contrescarpe. Par ailleurs, le 11 septembre, alors qu’avaient repris au palais du Luxembourg les auditions de la commission d’enquête parlementaire, Emmanuel Macron avait téléphoné au président du Sénat, Gérard Larcher, pour lui rappeler le principe de la séparation des pouvoirs.

Une aide au transport domicile-travail de 20 euros
Voilà quelques mois que Xavier Bertrand grogne contre Emmanuel Macron. Le président de la région Hauts-de-France lui reproche notamment d’oublier les classes moyennes, « les milieux de cordée ». Depuis la rentrée, M. Bertrand dénonce également « un gouvernement qui ne tient pas parole », notamment dans les dossiers industriels régionaux, et, début novembre, il a appelé M. Macron à « sortir du déni »concernant la sécurité et le pouvoir d’achat des Français. Message reçu. Mardi matin, sur Europe 1, le chef de l’Etat a annoncé des aides pour atténuer la hausse des prix des carburants, et notamment une aide au transport de 20 euros mensuels pour les déplacements domicile-travail, déjà proposée par les Hauts-de-France.
L’une des mesures-phares du programme de M. Bertrand pour la région a été mise en place en mars 2016. Peut en bénéficier toute personne dont le lieu de travail est situé à au moins trente kilomètres de son domicile et qui ne peut s’y rendre en transports en commun. Soit parce que ceux-ci n’existent pas, soit parce que le salarié travaille en horaires décalés à titre régulier. Dernier critère : gagner moins de deux fois le smic.
Ce dispositif est ouvert à tout type de contrat de travail (CDI, CDD, intérim, etc.). Seuls bémols, l’interdiction de cumuler avec le remboursement par l’employeur des dépenses de transport et le fait que cette aide soit imposable… jusqu’à présent. Mardi matin, M. Macron a changé la donne en annonçant la généralisation de celle-ci à l’échelle nationale et sa défiscalisation. « Il faut travailler avec les collectivités locales, les employeurs pour aider ces gens-là », a-t-il affirmé.

CHRONIQUE PAR FRANÇOISE FRESSOZ
L’essence comme alerte sociale
La grande histoire bien sûr, mais d’abord le quotidien. Lancé depuis dimanche dans « une itinérance mémorielle »destinée à célébrer la fin de la guerre de 14-18, Emmanuel Macron a dû, une nouvelle fois, intervenir, mardi, sur un sujet plus prosaïque : la flambée des prix de l’essence et la fronde des « gilets jaunes » qui appellent à bloquer le pays le 17 novembre.
Sur Europe 1, le président de la République a dit « comprendre la colère » de deux catégories de Français : « les gens modestes » qui éprouvent des difficultés à se chauffer, et les automobilistes qui n’ont pas d’autre choix que de prendre leur voiture pour aller travailler. Mais le chef de l’Etat a été pris de court. Alerté depuis la fin de l’été par plusieurs députés de la majorité, l’Elysée est d’abord resté de marbre, s’en tenant aux principes de sa politique – alléger la fiscalité sur le travail, renchérir celle sur le carbone – avant de réaliser qu’il lui fallait bouger pour empêcher le blocage du pays.
Les principales victimes de la hausse du diesel sont des ruraux à faible pouvoir d’achat à qui l’Etat a fait croire pendant des années qu’en achetant un véhicule diesel, ils feraient un bon investissement. La duperie est donc lourde et risque de se payer électoralement cher car, depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron souffre d’un procès difficilement récusable : il est avant tout le président des urbains et de la France qui va bien, celle qui place au rang de ses priorités la bataille écologique avec d’autant plus d’allant qu’elle bénéficie en général d’une substantielle offre de transports en commun.
C’est à la France des oubliés que voulait s’adresser Emmanuel Macron durant sa tournée dans le Grand Est et les Hauts-de-France : parler aux classes moyennes et populaires, travaillées comme partout en Europe par les tentations populistes parce qu’elles s’estiment laissées pour compte.
Si l’exécutif ne parvient pas à calmer leur colère, le retour de bâton aux européennes de mai 2019 risque d’être douloureux. Le chef de l’Etat a théorisé l’affrontement entre « progressistes » et « nationalistes », et le dramatise chaque jour un peu plus en faisant le parallèle avec les années 1930. Mais cette invocation de l’histoire restera sans effet si concrètement, ceux qui ne figurent pas parmi les premiers de cordée continuent de se sentir exclus du macronisme. Le prix de l’essence a joué comme un cruel révélateur.


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