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mardi 11 décembre 2018

Au Mali, un désarmement très incertain - le 9.11.2018

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Au Mali, un désarmement très incertain
Les modalités de la réintégration d’anciens rebelles dans l’armée sont contestées
BAMAKO -correspondance
Dans le couloir cerné de fortifications de sable, il n’y a personne. Autour de l’entrée de la direction régionale de la police de Gao, quelques militaires sont juchés sur des tanks. Mais ce 6 novembre, il manque l’essentiel. Aucun des 575 ex-combattants, membres des patrouilles mixtes, formant le mécanisme opérationnel de coordination (MOC) de Gao, ne s’est présenté à la cérémonie. La délégation conduite par Lassine Bouaré, ministre de la réconciliation nationale, arrivera très en retard. C’est pourtant l’un des piliers de l’accord de paix de 2015 qui devait être inauguré ce mardi.
Conclu entre les autorités de Bamako et plusieurs groupes armés réunis au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), cet accord vise à installer la paix au nord du Mali, théâtre, en 2012 et 2013, d’une grave crise politico-militaire et d’une offensive de djihadistes. Avec ce processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) accéléré, 1 600 ex-combattants, membres des trois MOC stationnés à Gao, Kidal et Tombouctou, doivent être désarmés et choisir entre l’intégration dans les forces de défense et de sécurité ou la réinsertion dans la vie civile. Ces premières unités de la nouvelle armée malienne reconstituée ont toute leur importance. Elles seront chargées de sécuriser une opération DDR similaire, à plus grande échelle, concernant plusieurs milliers d’ex-combattants.
Mais à Gao, la tente chargée d’accueillir les ennemis d’hier est vide. Tout comme le container posé en face, où sont censées être stockées leurs armes. « Les membres du MOC et le gouvernement négocient. Il manque un ingrédient à la sauce », glisse un membre de la délégation, visiblement embarrassé.
Selon plusieurs sources, les officiers du MOC ont boycotté cette cérémonie médiatisée. Un moyen de faire pression sur le gouvernement pour obtenir ce qu’on leur refuse depuis trois ans : leur entrée dans l’armée régulière avec le grade qu’ils ont acquis au sein de leur groupe armé non étatique.
Autre point de désaccord : le nombre d’ex-combattants qui pourront intégrer l’armée. « Un premier quota de 4 000 a été discuté : 2 000 hommes pour les forces de sécurité intérieure et 2 000 pour l’armée. L’Etat a accordé cela, mais les mouvements en demandent plus encore », explique Zahabi Ould Sidi Mohamed, président de la commission DDR.
« On est là, on attend les ex-combattants, mais même ce matin, personne n’est venu », a regretté un cadre du processus, le 7 novembre. Si le DDR accéléré de Gao a bien été inauguré, il n’a, dans les faits, pas encore commencé. Ce n’est pas la première fois qu’on tente de le lancer dans la cité des Askia. Déjà l’an dernier, son lancement avait échoué.
Pour Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) de Bamako, les erreurs du passé se répètent. Car suite aux rébellions de 1990 et de 2006, de telles opérations de désarmement ont été lancées. Leur bilan est plus que mitigé. « Certains des hommes qui ont quitté l’armée en 2012 pour rejoindre les rangs des rebelles étaient des gens qui avaient été intégrés à l’armée en 2006. Cela explique en partie les réticences actuelles au niveau de l’armée à intégrer des ex-combattants en nombre et gradés », analyse-t-il.
A Bamako, on affirme que les négociations seront bouclées dans les prochains jours. Mais à Gao, une autre réalité pose question : celle de la volonté de rendre les armes dans un contexte sécuritaire dégradé. A quelques centaines de mètres du QG de la police, on aperçoit l’enceinte du mécanisme opérationnel de coordination. Le 18 janvier 2017, ce bâtiment fut le théâtre d’une des plus spectaculaires attaques de ces dernières années au Mali : 77 soldats du bataillon mixte y ont été tués.

« Moyen de pression »

Depuis, les moyens de protection manquent toujours. « A ce jour, le bataillon du MOC de Gao ne dispose que de six armes lourdes, toutes fournies par le gouvernement. Les mouvements signataires n’ont pas respecté leur engagement de contribuer en armes (…) L’absence d’armes lourdes fait que le camp du MOC de Gao n’est pas suffisamment protégé », soulignait en octobre le Centre Carter, observateur indépendant de l’accord de paix. Le 9 septembre, l’assassinat du commandant du MOC de Tombouctou a encore davantage fait perdre confiance aux éléments des bataillons mixtes.
Dans ce contexte sécuritaire tendu, les groupes armés signataires semblent réticents à rendre les armes. « Pour eux, le DDR reste un moyen de pression. S’engager dans ce processus, c’est avoir la garantie de voir leurs revendications d’ordre politique ou économique mises en œuvre. Et leur moyen principal de pression, c’est leurs armes », souligne M. Maïga.
Sur le papier, 36 000 combattants ont exprimé le désir de se désarmer. Mais ces listes sont gonflées et bien loin de la réalité. « Il y a des gens qui essaient de profiter des avantages du DDR, c’est clair. En réalité, il y a moins de 16 000 personnes réellement armées », glisse un officiel malien.
« On va tester les armes et demander aux combattants de les démonter, pour être sûrs que ce sont réellement des combattants », rassure le colonel Keïta, membre de la commission DDR de Gao, en achevant la visite du QG de la police. « A la sortie, le combattant sera désarmé », poursuit-il, entouré d’observateurs. Mais autour du colonel, les 575 concernés manquent toujours à l’appel, tandis que dans les MOC de Kidal et de Tombouctou, seuls un tiers des effectifs sont pour l’instant réunis, trois ans après la signature de la paix.

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