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mercredi 14 novembre 2018

Réforme des retraites : n’éludons pas les vraies questions - le 27.10.2018


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Réforme des retraites : n’éludons pas les vraies questions
Des hauts fonctionnaires des ministères chargés des questions économiques mettent en garde contre la baisse du niveau de vie relatif des retraités, qui est pour l’instant inscrite dans la réforme du gouvernement
Alors que le débat public sur l’avenir des retraites s’ouvre, le gouvernement travaille activement sur son projet de réforme, et sa communication est déjà lancée à plein régime : on nous répète que le système actuel est éclaté, injuste et qu’il est urgent de le remplacer par un système universel où, pour chacun, 1 euro cotisé ouvrirait « les mêmes droits ». Le système unique proposé, encore loin d’être finalisé, prête bien sûr à débat. Et c’est justement le tour de force du gouvernement : cette discussion tend à créer un écran de fumée en focalisant l’attention publique sur les détails pratiques de ces éventuels « comptes notionnels ». En réalité, les principales questions sont ailleurs.
Le diagnostic sur nos retraites et leurs perspectives futures, établi notamment par le Conseil d’orientation des retraites (COR) en novembre 2017, fait pourtant consensus. Tout d’abord, le besoin de financement des retraites est tout à fait maîtrisé : quels que soient les scénarios de croissance future envisagés, les cotisations retraite continueraient à représenter – au maximum – la même part de la richesse nationale qu’aujourd’hui, soit 14 % du produit intérieur brut (PIB) : au maximum, 14 % du PIB en 2035, et 14,5 % en 2070.
Problème : dans le même temps, le nombre de retraités devrait considérablement augmenter. D’après l’Insee, les personnes de plus de 65 ans étaient 12 millions en 2014, soit 19 % de la population. En 2035, elles seraient 17 millions, soit 25 % de la population. Le résultat est dangereusement mathématique : si une part fixe de la richesse nationale (14 %) est partagée par une proportion croissante de personnes retraitées, la richesse répartie par personne diminuera nécessairement. Aujourd’hui équivalent à celui des actifs, le niveau de vie des retraités pourrait s’établir à 77 % de celui de l’ensemble de la population en 2070, dans l’hypothèse de croissance la plus optimiste retenue par le COR. En clair, maintenir fixe la part de la richesse nationale cotisée, alors que la proportion de la population retraitée connaît une explosion démographique, c’est programmer une baisse mécanique du niveau de vie relatif des retraités.

Principe de « rentabilité définie »

Ce constat sur le montant futur des pensions montre tout autant les limites du système actuel, insuffisamment financé, que du système envisagé par le président de la République, Emmanuel Macron. Les conséquences de ce constat pour les retraités sont cependant fortement liées aux modalités de calcul des retraites qui sont aujourd’hui en débat.
Le régime général des retraites de base, mis en place à la création de la Sécurité sociale, est un régime dit « par annuités » : dès lors qu’un salarié a cotisé un certain nombre d’années et atteint un âge minimal de départ à la retraite (62 ans), il a droit à une pension de retraite équivalente à 50 % de ses vingt-cinq meilleures années de rémunération. C’est un régime dit« à prestations définies », car son objectif affiché est le maintien du niveau de vie des retraités. La réforme préparée par le gouvernement vise à transformer ce principe pour mettre en place un système en« comptes notionnels ».
Dans ce système, chaque euro cotisé permettrait d’accumuler des points (ou des euros) sur un compte, dont l’épargne serait convertie en montant de pension selon l’espérance de vie au moment du départ en retraite. C’est le principe dit de la« rentabilité définie » : le total des pensions touchées à la retraite est censé se rapprocher autant que possible du total des cotisations versées en activité.
C’est dans cette équivalence que reposent à la fois tout le principe et tout le problème du système prévu par le gouvernement. Si l’on souhaitait atteindre une « rentabilité définie » au moment du départ à la retraite, seules deux variables pourraient être mobilisées en fin de carrière : l’âge de départ et le montant des pensions. Autrement dit, si le slogan du gouvernement affirme que 1 euro cotisé doit ouvrir« les mêmes droits » pour tous, la réalité de ces droits – l’âge de départ et le montant des pensions à la liquidation – ne serait jamais fixe, et évoluerait en continu. Les retraites et les retraités constitueraient bel et bien les variables d’ajustement budgétaire du régime.

Système par capitalisation

La principale solution alternative à cette réduction des droits des retraités est pourtant bien identifiée, mais elle supposerait de toucher à un tabou de l’orthodoxie économique actuelle : alors que la population retraitée augmente très fortement, est-il vraiment illégitime d’augmenter la part de la richesse nationale qui leur est consacrée, au travers des cotisations ?
Or ce qui frappe, dans les prémices du débat auxquelles nous assistons, c’est la mise en scène méticuleuse d’un « consensus » sur la réforme des retraites qui évite soigneusement cet enjeu majeur. Depuis le début de l’année, les événements de communication se multiplient : forums publics au Sénat ou à la Caisse des dépôts, ouverture d’une « concertation » avec les syndicats, plate-forme en ligne de « consultation » publique etc. Tout est fait pour donner l’apparence d’une co-construction.
Les coulisses sont tout autres, et le Haut Commissariat à la réforme des retraites repousse en fait à la toute fin de l’année les points de discussion les plus structurants, au premier rang desquels le délicat ajustement des pensions. La concertation menée par le gouvernement a au fond un effet principal : la saturation de l’espace public par des questions importantes – qui seront les gagnants et lesperdants, la transition entre les systèmes, l’avenir des pensions de réversion – mais secondaires.
Les enjeux d’une réforme ne sauraient être réduits à ces questions techniques. Sans augmentation des richesses consacrées aux retraites accompagnant le vieillissement de la population, le montant relatif des pensions diminuera automatiquement. Le principe même du maintien du niveau de vie, souhaité par le système de retraites à son origine, serait alors remis en cause. Une telle diminution des pensions offrirait un boulevard au développement de retraites par capitalisation, très inégalitaires, capitalisation d’ores et déjà très largement soutenue par des exonérations d’impôts massives. Le tout conduirait à saper comme jamais la solidité et la solidarité de notre système par répartition.
Là sont les interrogations essentielles, habilement écartées du débat : quel maintien du niveau de vie des retraités veut-on prévoir ? Quelle place souhaite-t-on laisser aux retraites par capitalisation ? En conséquence, quelle augmentation des cotisations estime-t-on souhaitable ? Sans réponse claire à ces trois questions-clés, aucune réforme systémique ne pourra faire progresser nos retraites. Bien au contraire.
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Ce collectif qui se fait appeler Léa Guessier réunit des agents publics et des hauts fonctionnaires souhaitant rester anonymes

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