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mercredi 14 novembre 2018

Quand UBS fait le procès des lanceurs d’alerte - le 27.10.2018


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Quand UBS fait le procès des lanceurs d’alerte










Devant le tribunal de Paris, les avocats de la banque suisse mettent en question les témoignages des ex-salariés















Pourtant omniprésents dans les débats de la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, ils ne sont pas là physiquement. Et, aux yeux d’UBS, ces absents ont toujours tort. Depuis l’ouverture, le 8 octobre, du procès de la banque suisse, l’adage se vérifie régulièrement lorsque les avocats de la maison mère ou de sa filiale française et leurs anciens dirigeants, suspectés d’avoir organisé un vaste système de fraude fiscale, prennent la parole. Dès qu’il s’agit d’évoquer les témoignages des anciens employés qui ont dénoncé à la justice les dysfonctionnements du numéro un mondial de la gestion de fortune, les mots désagréables jaillissent. Et, si la pique est jugée savoureuse, quelques rires fusent du côté des prévenus.
Me Denis Chemla, l’un des conseils d’UBS AG, a été le premier à dégainer. Il s’agissait pour lui de déminer les déclarations embarrassantes du « témoin 119 » devant le juge d’instruction, Guillaume Daïeff.
Ancien chargé d’affaires d’UBS à Lausanne (Suisse), entre 2000 et 2010, le « témoin 119 » a assuré à la justice que seule une infime minorité des clients français de la banque helvétique déclaraient leurs avoirs au fisc. Il a décrit certaines méthodes des salariés pour rester le plus discret possible : informations résumées sur des papiers, appels passés depuis des cabines téléphoniques…
Dès le 11 octobre, Me Chemla a dénoncé à son sujet des « preuves de caniveau qui proviennent d’un repris de justice animé d’un esprit de vengeance ». Deux semaines plus tard, jeudi 25 octobre, l’avocat l’a encore présenté comme « quelqu’un qui dépouille les vieilles dames ».
Pour UBS, il n’y a pas de lanceurs d’alerte, seulement des ex-salariés aigris. Untel est décrit comme revanchard, tel autre est « sanguin ». Presque tous sont accusés de « paranoïa » ou d’être des menteurs, motivés par un conflit avec leur ancien employeur. Dans un dossier judiciaire qui repose en partie sur ces témoins, il convient pour la défense de décrédibiliser leurs propos « hallucinants ».

« La loi Sapin 2 est trop faible »

Le traitement réservé au récit de Nicolas Forissier en est un exemple. Alors responsable de l’audit d’UBS France, il a lancé une procédure interne de « whistleblowing » (« dénonciation d’irrégularités ») dès la fin de 2008. Sans succès. Il a ensuite évoqué face aux enquêteurs la présence permanente des chargés d’affaires suisses en France et livré des informations accréditant la thèse d’un démarchage illicite de leur part.
Alors, quand la présidente du tribunal, Christine Mée, lit, à l’audience, le 18 octobre, ses déclarations et interroge Patrick de Fayet, l’ancien numéro deux d’UBS France décide avant tout de dresser un portrait de son ancien collègue : « C’était quelqu’un qui faisait bien son travail, mais il voyait le mal partout et de manière de plus en plus exagérée. »
Par de multiples anecdotes, M. de Fayet dresse le portrait d’un homme méfiant à l’excès : « A sa demande, il a fallu détecter s’il n’y avait pas de micros dans la banque. » Puis de conclure : « C’était un monsieur qui avait besoin de reconnaissance. »
Quatre jours plus tard, le président du directoire d’UBS France, Jean-Frédéric de Leusse, enfonce le clou : « Chaque fois que nous avons eu des récriminations de M. Forissier, il a toujours été incapable de donner un nom. »« Il préfère écrire des lettres anonymes au régulateur », renchérit un autre responsable de la filiale française.
Quant à Stéphanie Gibaud, ancienne responsable du marketing UBS France, qui a assuré aux policiers et aux magistrats qu’on lui a demandé de supprimer des fichiers ? « Les informations de Mme Gibaud sont erronées et totalement mal intentionnées », dénonce M. de Leusse. D’un autre ex-salarié médisant à leur goût, les avocats de la banque affirment qu’il a été licencié pour avoir aidé un client à transférer illégalement plusieurs millions d’euros vers Singapour.
A ces attaques souvent violentes, ni M. Forissier ni MmeGibaud n’ont pu apporter la moindre contradiction. Pas plus que les autres lanceurs d’alerte mis en cause. Aucun n’a été cité à comparaître, ni par les défenseurs d’UBS ni par le Parquet national financier.
La venue de témoins devant un tribunal correctionnel est très rare, contrairement aux assises. Mais peut-être s’agissait-il aussi de préserver des personnes déjà éprouvées par l’enquête d’avoir à faire face au bataillon redoutable des avocats de la banque ?
Un ancien chargé d’affaires repenti – il préfère se définir comme « lanceur d’alerte » – a tout de même assisté au premier jour d’audience. Bradley Birkenfeld a distribué gratuitement son livre, Le Banquier de Lucifer (Max Milo, 352 pages, 24,90 euros), devant le tribunal, tout sourire. En 2009, son témoignage a permis au fisc américain de récupérer 780 millions de dollars (700 millions d’euros).
Aux journalistes à qui il donne rendez-vous dans un luxueux hôtel près des Champs-Elysées, à Paris, où il est resté quelques nuits, il aime rappeler : « Il faut protéger les lanceurs d’alerte, la loi Sapin 2 est trop faible, elle doit être renforcée. La mentalité, en Europe, qui consiste à dire “ne payez pas les lanceurs d’alerte”, est une erreur. Si vous mettez au jour un crime financier et que cela permet à l’Etat de récupérer de l’argent, vous devriez recevoir une petite part de ce montant, pour pouvoir assurer votre avenir. » Lui n’a plus de souci à se faire : il a reçu un chèque de 76 millions de dollars du fisc américain. Alors peu lui importe les moqueries devant le tribunal de certains dirigeants d’UBS à son égard.

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