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samedi 17 novembre 2018

La présence de policiers dans les collèges et lycées rejetée par les profs - 28.10.2018

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La présence de policiers dans les collèges et lycées rejetée par les profs
Contre les violences scolaires, Christophe Castaner réfléchit à faire entrer la police dans les établissements. Un plan d’action sera présenté mardi
Y aura-t-il bientôt des policiers en résidence dans les établissements scolaires ? Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, ne s’interdit pas de l’envisager. A l’issue d’un comité stratégique, vendredi 26 octobre, réunissant Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale, Nicole Belloubet, la ministre de la justice, et Laurent Nuñez, secrétaire d’Etat à l’intérieur, il a avancé l’idée de faire entrer la police dans les établissements, entre autres mesures évoquées pour tenter d’apaiser la crise qui secoue la communauté éducative depuis une semaine.
La vidéo d’une enseignante, braquée avec une arme factice par son élève, dans un lycée de Créteil, a déclenché une vague de témoignages d’enseignants victimes de violence. Un plan d’action pour lutter contre les violences scolaires doit être présenté mardi 30 en conseil des ministres.
La forme que pourrait prendre la présence policière est encore floue. M. Castaner a évoqué deux cas de figure distincts : une « permanence » dans les établissements qui le souhaitent pour faire le lien entre les différentes institutions, et d’autre part la possibilité d’avoir, sur des périodes de « tensions », des policiers à l’intérieur d’un établissement. « C’est original !, ironise un principal de collège sous le couvert de l’anonymat. En vingt ans de carrière en éducation prioritaire, je n’ai jamais vu un seul endroit où le principal n’avait pas un numéro direct pour joindre la gendarmerie ou la police. »
Sans compter qu’une expérimentation de ce type a déjà vu le jour, en 2006, et qu’elle a fait long feu, rappelle Anne Wuilleumier, sociologue à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, et auteure, en 2016, d’un rapport sur les interventions de policiers et de gendarmes en milieu scolaire.
La présence d’un « policier référent » a été expérimentée dans cinquante-trois établissements prioritaires des Hauts-de-Seine en 2006, sous l’impulsion du conseil général alors dirigé par Nicolas Sarkozy. Mais elle a cessé après quelques années : « Il y avait des moments où les policiers n’avaient rien à faire et en même temps les incidents survenaient en dehors de leurs heures », constate la sociologue. L’idée de faire venir des forces de l’ordre dans un but préventif n’est donc pas nouvelle.
« L’école n’est pas une maison de redressement, mais un lieu d’apprentissage, a également réagi la fédération de parents d’élèves FCPE. Ce n’est pas en plaçant un policier derrière chaque enseignant que l’on règlera un problème grandissant. »
La méfiance des jeunes est aussi une raison de la faible efficacité de tels dispositifs. « Nos élèves ont un rapport à la police un peu compliqué », euphémise Fabienne Giuliani, enseignante au lycée Utrillo de Stains (Seine-Saint-Denis). C’est en effet l’un des nœuds du problème : la présence policière destinée à résoudre des « tensions » sera réservée aux établissements sensibles. Mais ce sont aussi ceux où la méfiance envers les forces de l’ordre est le plus élevée, selon plusieurs études, dont une menée en 2014 sur un panel de collèges des Bouches-du-Rhône, à laquelle a participé le sociologue Sebastian Roché. « Dans un endroit où la police est mal acceptée, ce qui est le cas dans la majorité des établissements défavorisés, l’intervention d’un policier va poser d’autres problèmes », prédit-il.
Et ces problèmes supplémentaires, précisément, les enseignants n’en veulent pas. Au lycée Utrillo, où un nouveau proviseur adjoint « ancien gendarme » doit prendre ses fonctions le 5 novembre, une grève est prévue ce jour-là. Au printemps, un élève a été agressé à coups de marteau sur le parvis. « Il faut travailler sur le climat scolaire, plaide Fabienne Giuliani, avec des moyens éducatifs », c’est-à-dire des surveillants et des conseillers principaux d’éducation (CPE), mais aussi des équipes plus stables.

« Rien n’est simple »

Au collège Pablo-Neruda de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), les enseignants ont réclamé plus de moyens après l’agression d’une CPE en 2017. Ils ont obtenu un demi-poste de CPE. « Mais surtout, l’équipe s’est moins renouvelée que d’habitude, souligne Camille Moro, professeure d’histoire et de géographie. Avec un turnover moins important, on respire un peu. » Les situations semblent s’améliorer quand on agit sur le cadre de la vie collective.
Pourquoi alors ne pas remettre au goût du jour les médiateurs, ces personnes payées par la municipalité, qui se rendaient chez les parents des décrocheurs et pouvaient sentir monter, quand elle arrivait, la prochaine bagarre ? A Utrillo, Fabienne Giuliani en a connu une, jusqu’en 2014. Le principal de collège qui a souhaité garder l’anonymat avait la sienne aussi lorsqu’il dirigeait un établissement sensible à Beaucaire (Gard). « Elle m’a sauvé la mise le jour où un parent s’est pointé pour en découdre avec nous, se souvient-il. Ils se connaissaient du quartier, la tension est retombée tout de suite. »
Les municipalités ont cessé de financer ces postes associés, selon le principal, à l’échec d’une politique des « grands frères », qui consistait à miser sur des habitants du quartier pour faire de la médiation sociale. « Evidemment, il fallait bien choisir son médiateur, tout comme il faut bien choisir son surveillant aujourd’hui, s’agace-t-il. Rien n’est simple quand on veut s’attaquer sincèrement à un problème complexe. » Trop complexe sans doute pour être résolu par le simple effet de l’uniforme.

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