Translate

mercredi 14 novembre 2018

« Il y a désormais trop d’acteurs dans l’électricité » le 27.10.2018

https://www.lemonde.fr/
« Il y a désormais trop d’acteurs dans l’électricité »
Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie, en octobre 2017. BRUNO LEVY
« La concurrence par les prix reste marginale » sur le marché français, affirme Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie
ENTRETIEN
Jean-François Carenco, le président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) revient sur l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité. L’instance qu’il préside y a d’ailleurs joué un rôle-clé. Ancien préfet du Rhône et de Paris, Jean-François Carenco, 66 ans, a notamment été directeur du cabinet de Jean-Louis Borloo au ministère de l’emploi, puis de l’écologie jusqu’en 2010. Il est devenu, en 2017, président de la CRE, qui, parmi ses attributions, propose les évolutions des tarifs de gaz et d’électricité et organise les appels d’offres pour les énergies renouvelables.
Haut fonctionnaire très attaché au rôle de l’Etat, il a souvent pris des positions en contradiction avec celles de son prédécesseur, Philippe de Ladoucette, grand défenseur de la concurrence, en soutenant les tarifs fixés par l’Etat et la place d’EDF.
Le secteur de l’électricité est ouvert à la concurrence depuis plus de dix ans. De très nombreux fournisseurs se lancent, mais EDF détient toujours près de 80 % du marché. La mise en compétition fonctionne-t-elle ?
C’est un mensonge de dire que la concurrence n’existe pas. Elle est féroce. La preuve, les plus gros se lancent sur le marché français, comme Total, Leclerc ou [le groupe suédois] Vattenfall. Le nombre de fournisseurs autorisés augmente sans arrêt. C’est d’ailleurs un de mes soucis : il faut mieux contrôler l’arrivée sur le marché de nouveaux fournisseurs. Il y a désormais trop d’acteurs, et des consolidations auront nécessairement lieu. D’autant que certains de ces nouveaux arrivants ne sont pas toujours sérieux et passent leur temps à faire des procès à EDF ou aux pouvoirs publics.
Pourtant, cela ne fait pas vraiment baisser les prix pour les particuliers…
L’électricité est un produit noble, sociétal. Sur la facture, la fourniture d’électricité représente uniquement 35 %. Le reste représente les taxes et le coût du transport. Dans ces conditions, faire de réelles baisses de prix est très difficile. Pour faire reculer le prix de 10 % pour l’usager, il faut que la diminution réelle soit de 30 %. Cela conduit certains à vendre à perte. Je ne vois pas comment on peut faire des offres autour de – 20 % et avoir des marges.
Mais, alors, à quoi la mise en compétition sert-elle ?
La concurrence par les prix reste marginale sur le marché de l’électricité. Elle ne sert pas à faire baisser les tarifs, mais à encourager l’innovation. Les rivaux d’EDF ne vont pas gagner leur vie en baissant les prix, mais en proposant des services. Ce sera notamment possible grâce au compteur communicant Linky.
La mise en compétition doit permettre de diminuer la consommation d’énergie et de responsabiliser les citoyens. Mais ce processus sera long. Du côté de la production, la concurrence sert à bien profiter des nouvelles techniques en matière d’énergies renouvelables. C’est mieux que ce soit, par exemple, de petites entreprises qui inventent du photovoltaïque flottant plutôt que de grosses structures qui vont mettre plus de temps.
Tous les rivaux d’EDF dénoncent l’existence des tarifs réglementés de vente, régulés par l’Etat, qui faussent, selon eux, la concurrence au profit de l’opérateur historique…
C’est vrai, les Français restent très majoritairement attachés aux tarifs régulés. Je pense que c’est plutôt bon signe. Cela montre qu’ils ont confiance dans les tarifs fixés par l’Etat, mais aussi dans EDF. Il ne faut pas oublier qu’EDF, c’est l’héritier de Charles de Gaulle et de Marcel Paul [ministre communiste du général de Gaulle, figure de la CGT Energie].
EDF occupera une telle place sur le marché tant que la compétition ne sera pas clairement identifiée comme une garantie de construire un avenir meilleur, des services utiles. On est à la préhistoire des effets de la concurrence ! Même si elle se développe encore bien.
Les prix de l’énergie vont-ils continuer à augmenter pour les consommateurs ?
La hausse des prix de l’énergie est un phénomène qu’on constate depuis le début de l’année partout dans le monde, qu’il s’agisse du prix du gaz, du pétrole ou de l’électricité. La tendance à la hausse des hydrocarbures et l’émergence attendue, depuis longtemps, d’un vrai prix carbone pèsent sur les prix de gros de l’électricité.
Il faut rappeler que la France reste, pour les consommateurs, l’un des pays où l’électricité est la moins chère d’Europe. De nombreux fournisseurs souhaiteraient que la Commission de régulation de l’énergie accepte cette augmentation, ce qui crée une pression à la hausse.
Mais notre rôle est aussi de défendre les consommateurs, même si cela n’est pas facile : en juillet, le tarif réglementé de l’électricité a baissé, mais la tendance actuelle est clairement à la hausse.
Le gouvernement va annoncer, fin octobre, la Programmation pluriannuelle de l’énergie, avec, notamment, une trajectoire sur la baisse du nucléaire et le développement des énergies renouvelables. Comment voyez-vous ce débat ?
La France aime bien se raconter des histoires sur le sujet. On savait bien qu’il n’était pas possible d’atteindre 50 % de nucléaire en 2025 [contre 75 % aujourd’hui], comme le prévoyait la loi de transition énergétique.
Nous avons besoin du nucléaire. Il est faux de dire que les énergies renouvelables sont moins chères. Le nucléaire existant est bien plus rentable, car il est déjà en partie amorti. D’autant qu’il faut prendre en compte le fait que les énergies vertes sont intermittentes. Prolonger les centrales nucléaires actuelles ne suffit pas, il faudra probablement en construire de nouvelles.
Il est tout de même important de développer fortement les énergies renouvelables. Tout d’abord, elles vont nous permettre de nous débarrasser des centrales à charbon dans l’Hexagone, dont la présence est en contradiction avec nos objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Mais aussi parce que, à terme, quand on aura réglé le problème du stockage de l’énergie, elles permettront de résoudre le problème des déchets nucléaires. Nous ne pourrons pas construire trois ou quatre sites comme celui de Bure [Meuse]. Personne ne le souhaite.
En matière d’énergie solaire, la CRE est parfois accusée de ne pas être favorable au développement de l’autoconsommation…
C’est faux, et nous venons de mettre en place un tarif de réseau favorable à l’autoconsommation collective. C’est une très bonne chose que des gens souhaitent produire leur électricité. Mais cela ne peut pas se faire au détriment de la solidarité nationale. Il y a une ligne rouge à ne pas franchir : tout le monde doit contribuer à financer les réseaux. Sinon c’est du communautarisme énergétique ! Est-ce que l’on doit payer moins d’impôts parce qu’on vit au soleil ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire