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mercredi 14 novembre 2018

Emploi : l’étrange paradoxe français - le 27.10.2018

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Emploi : l’étrange paradoxe français
Les bonnes statistiques d’embauches au troisième trimestre ont été douchées par celles du chômage, à la hausse
Il en va des statistiques de l’emploi comme de la météo sous les tropiques : les deux sont changeants et très difficiles à interpréter. De bons chiffres communiqués la veille ne mettent pas à l’abri d’une dégradation le lendemain. Rendant difficile une analyse correcte de la situation du marché de l’emploi.
C’est ainsi qu’après la bonne nouvelle donnée sur le front des embauches (+ 2,7 % au troisième trimestre) par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), la publication, jeudi 25 octobre, des chiffres du chômage a fait l’effet d’une douche froide.
Selon la note publiée par Pôle emploi, le nombre de chômeurs en catégorie A (sans travail et tenus d’en chercher un) a augmenté de 0,5 % au troisième trimestre en France métropolitaine. Sur cette période, 16 300 personnes supplémentaires sont venues grossir les rangs des demandeurs inscrits à l’organisme public. En tout, ce sont donc 2,45 millions de personnes qui sont en quête d’un emploi aujourd’hui dans l’Hexagone, hors outre-mer. Paradoxalement, une fois ces territoires, pourtant en plus mauvaise posture que le reste du pays, inclus dans le compte, la hausse est moins importante : 0,4 %.
Ceux qui payent le plus lourd tribut demeurent, sans surprise, les chômeurs de longue durée. En quête d’un travail depuis au moins un an ou plus, leur employabilité diminue avec le temps, rendant leur embauche de moins en moins facile. Au troisième trimestre, leur nombre a ainsi augmenté de 1,1 %. Pire en un an, il a bondi de 6,4 %.
Considérée sur cette même période, la situation globale des demandeurs d’emploi est, en revanche, meilleure que sur trois mois : leur nombre en catégorie A a, par exemple, reculé de 1,2 %. Une évolution enregistrée largement au profit des hommes, dans les rangs desquels la baisse a été significative. Une bonne nouvelle dans un flot de mauvais indicateurs.

Un record d’embauches

Voilà pour jeudi. Mercredi, c’était une tout autre musique que jouait l’Acoss. L’organisme qui coiffe les Urssaf, caisses collectrices des cotisations sociales, ne comptabilise certes pas les chômeurs. Mais il a une vue d’ensemble sur la totalité des contrats signés en France, et peut donc donner une idée du climat en vigueur sur le marché du travail.
Selon cette institution, les embauches, aussi bien en contrat à durée indéterminée (CDI) qu’en contrat à durée déterminée (CDD) de plus d’un mois, sont reparties à la hausse au troisième trimestre, avec une forte augmentation de + 2,7 %. Un record historique.
En tout, ce sont 2,14 millions de déclarations d’embauches qui ont été faites entre juillet et septembre. Mieux, les CDI représentent aujourd’hui près de la moitié des nouveaux contrats de plus d’un mois. A lui seul, ce précieux sésame a bondi de 10 % sur cette période.
Des bonnes nouvelles, l’Acoss n’est pas la seule à en donner. L’Insee en a aussi donné quelques-unes. Les créations d’emplois, certes moins dynamiques qu’en 2017, continuent d’être bonnes : les employeurs devraient ouvrir 183 000 nouveaux postes cette année. Le taux de chômage (dont le mode de calcul diffère de celui du nombre de demandeurs d’emploi) devrait, quant à lui, passer en dessous de la barre des 9 % de la population active en fin d’année.
Enfin, politiques comme patrons le répètent à l’envi : les entreprises ont du mal à trouver les salariés dont elles ont besoin pour accroître leur activité. Selon l’enquête de conjoncture semestrielle de Bpifrance, publiée en juillet, plus d’un tiers des petites et moyennes entreprises (PME) signalent des difficultés de recrutement. Elles n’ont pas été aussi nombreuses depuis 2002.
Les économistes ont beaucoup de mal à expliquer ce paradoxe entre bonnes et mauvaises statistiques du marché du travail. Il y a bien sûr ceux qui remettent en cause la qualité scientifique des chiffres de Pôle emploi, soulignant que seule la France a recours à une telle méthode pour calculer le nombre de ses chômeurs. Les autres pays, et les spécialistes eux-mêmes, se fient plutôt aux statistiques réalisées selon la méthode du Bureau international du travail : celle-ci consiste en un interrogatoire des publics ciblés quand celle de Pôle emploi repose sur l’actualisation des inscrits dans son système informatique. « C’est à chaque parution la même chose, on a beau les triturer dans les tous les sens, les décortiquer, on ne comprend jamais réellement ces chiffres », se désole un spécialiste.

Dégradation de la situation

D’autres, comme Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), avancent une autre explication : « Il y a des gens, en fin de droit, qui ne prenaient plus la peine de s’actualiser et qui donc disparaissaient des fichiers. Ceux-là, voyant que la situation n’est pas si mauvaise, sont potentiellement de retour », analyse-t-il. En clair, tous ceux qui avaient été découragés par plus d’une dizaine d’années de crise reviendraient chercher de l’aide auprès du service public de l’emploi. Un point de vue partagé par Alexandre Delaigue, chercheur à l’université Lille-I. « Le chômage de longue durée a été tellement important en France que certains ont arrêté de chercher et sont sortis des fichiers », avance-t-il.
Mais de l’avis des deux spécialistes, ces populations pourraient vite déchanter. Car si elle semble en définitive plutôt correcte pour le moment, la situation de l’emploi pourrait se dégrader à la faveur du ralentissement de la croissance. Une turbulence qui éloignerait la perspective d’un chômage à 7 % de la population active en fin de mandat comme promis par Emmanuel Macron, réconciliant toutes les statistiques entre elles.

Le chômage, y penser toujours, n’en parler (presque) jamais
Surtout ne pas se lier à des chiffres, ne pas se contraindre par une tendance. Contrairement à son prédécesseur François Hollande, Emmanuel Macron a vite décidé de décorréler son destin politique de la courbe du chômage. Interrogé par des journalistes de TF1 lors d’une interview en octobre, il déclarait : « La baisse du chômage ne se décrète pas. » Dans un entretien accordé vendredi 26 octobre à plusieurs journaux régionaux, le premier ministre, Edouard Philippe, explique qu’« en 2017 et en 2018, on a créé beaucoup plus d’emplois en France qu’il n’y en a eu de détruits. Et on a créé de vrais emplois, pas des emplois aidés. La dynamique est là et je suis confiant. »
Très tôt, M. Macron a donné le ton de ce qui allait être une particularité de son mandat : en Macronie, on parle beaucoup de travail mais peu de chômage. C’est ainsi que la publication des chiffres de Pôle emploi est passée de mensuelle à trimestrielle. Des statistiques qui ne sont quasiment jamais commentées par le gouvernement. Il y a certes des conférences organisées tous les trois mois au ministère du travail, lesquelles font débattre des chercheurs sur la question. Le chef de l’Etat a néanmoins donné un objectif chiffré d’un chômage à 7 %, mais pour la fin de son quinquennat. A part ça, rien. Les réformes structurelles sur le marché de l’emploi sont soigneusement présentées sous le prisme positif du travail, dont le but premier est de doper l’activité des entreprises qui embaucheront et réduiront alors le chômage.

Retour à la normale

Pour les uns, il s’agit d’un coup de communication. « C’est normal qu’ils ne parlent pas trop du chômage car, comme ça, ils pensent ne pas être comptables des résultats de leur politique qui d’ailleurs n’en produisent pas de bons », estime Boris Vallaud, député PS des Landes, pour qui les bons chiffres en termes de création d’emploi des deux dernières années sont imputables au quinquennat précédent. « La ministre de l’emploi ne fait jamais de visites sur ce sujet-là, elle est en tournée constante sur l’apprentissage, peut être est-ce parce que ça ne marche pas ? On a l’impression qu’il y a une politique du marché du travail et pas une politique de l’emploi… », ajoute un ancien du gouvernement Hollande, qui pointe notamment la fin de la prime à l’embauche, mais surtout la baisse des contrats aidés.
Pour d’autres il ne s’agit ni plus ni moins que d’un retour à la normale. « Les gouvernements précédents ont fait face à une crise importante, le sujet était brûlant, commente un spécialiste. Mais à force de déclarations permanentes, on était tombé dans une situation mortifère. » L’exécutif souhaite éviter les écueils de son prédécesseur, afin de ne pas focaliser les Français sur la question. Au risque de donner l’impression de ne pas accorder à ce sujet l’importance qu’il mérite ? « Muriel Pénicaud parle tout le temps de lutter contre le chômage de masse. La vérité, c’est que nous l’avons baissé et que nous attaquons la partie structurelle dans beaucoup d’endroits. C’est peut-être insuffisamment dit, mais c’est notre priorité », défend Sacha Houlié, député LRM de la Vienne.

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