Translate

jeudi 18 octobre 2018

Riyad nie avoir fait tuer un journaliste en Turquie


9 octobre 2018

Riyad nie avoir fait tuer un journaliste en Turquie

L'éditorialiste saoudien Jamal Khashoggi a disparu après être entré dans le consulat du royaume à Istanbul

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
MEURTRE D'UNE JOURNALISTE EN BULGARIE
Le corps d'une journaliste bulgare, Viktoria Marinova, 30 ans, responsable administrative et présentatrice sur TVN Ruse, a été découvert samedi 6 octobre dans un parc de la ville. La jeune femme a été frappée à la tête, violée et étranglée. Le représentant pour la liberté des médias à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, Harlem Desir, s'est dit " choqué " par le meurtre d'une " journaliste d'investigation ",appelant à une " enquête complète et rigoureuse ". Il s'agit de la troisième journaliste tuée en un an en Europe, après le reporter Jan Kuciak en Slovaquie en février et la Maltaise Daphné Caruana Galizia en octobre 2017. Des sources policières ont cependant déclaré que le crime ne semblait pas être directement lié à la profession de la victime.
Le scénario du pire s'esquisse à propos du sort de l'éditorialiste saoudien de renom Jamal Khashoggi, qui a disparu depuis lemardi 2  octobre après avoir franchi la porte du consulat de son pays à  Istanbul (Turquie). Plusieurs sources anonymes au sein de la police turque affirment qu'il a  été assassiné sur place.
Selon ces sources, un groupe de quinze Saoudiens a fait un rapide aller-retour entre l'Arabie saoudite et la Turquie le jour où le journaliste se trouvait dans les locaux du consulat. " Nous pensons que le meurtre était prémédité et que le corps a été ensuite sorti du consulat ", a confié l'une d'elles, samedi, à l'agence Reuters. Un cadre du Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir), Yasin Aktay, proche du journaliste saoudien mais aussi conseiller du président turc, Recep Tayyip Erdogan, l'a dit ouvertement. " Selon moi, il a été tué. (…) Nous avons des informations concrètes, ce crime ne restera pas impuni ",a-t-il confié à la chaîne de télévision CNN Türk, dimanche 7  octobre.
M.  Aktay a été le premier officiel averti de la disparition de Jamal Khashoggi. Avant de franchir la porte du consulat, celui-ci avait recommandé à sa fiancée turque de contacter l'influent conseiller présidentiel au cas où il tarderait à sortir des locaux consulaires. Ce qu'elle a fait. Depuis, personne n'a plus revu l'éditorialiste.
Contrairement à son conseiller, Recep Tayyip Erdogan a joué la prudence en évoquant l'affaire pour la première fois, dimanche, devant des militants de l'AKP. Le président turc a  affirmé attendre les conclusions de l'enquête sur la disparition du journaliste, un homme qu'il " connaissait depuis très longtemps ". M.  Erdogan cherche avant tout à éviter une crise diplomatique d'ampleur avec Riyad, alors que les relations sont tendues entre la Turquie et l'Arabie saoudite. En juin  2017, il s'était en effet rangé au côté du Qatar dans la brouille qui était survenue entre l'émirat et ses voisins du Golfe. L'empathie du président turc pour la confrérie sunnite des Frères musulmans est également une source d'irritation constante pour le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman.
" Allégations sans fondement "Durant tout le week-end, avant que M. Erdogan ne tempère les accusations brandies par sa police, Riyad s'est efforcé de contrer et de discréditer la thèse de l'assassinat, par le biais de ses diplomates, de ses médias et de ses lobbyistes. Une source officielle, au consulat d'Istanbul, a parlé d'" allégations sans fondement et scandaleuses ", jugeant douteux qu'elles proviennent de responsables " au courant de l'enquête et autorisés à s'exprimer sur le sujet ".
Depuis les Etats-Unis, Ali Shihabi, directeur de The Arabia Foundation, un cercle de réflexion pro-Riyad, a multiplié les Tweet circonspects, demandant notamment " pourquoi un gouvernement assassinerait un dissident dans son propre consulat, au lieu de tout autre endroit où il lui serait plus simple de nier toute responsabilité ". Dans l'hypothèse où M.  Khashoggi serait mort, écrit-il dans un autre message, " le verdict doit être laissé à une enquête indépendante, conduite par un organe international crédible et non l'AKP de Turquie, qui a un parti pris ", une allusion aux tensions entre Riyad et Ankara.
La chaîne panarabe Al-Arabiya, à capitaux saoudiens, a de son côté tendu son micro au fils aîné du journaliste, qui déplore que " des parties étrangères politisent la disparition " de son père, ainsi qu'à l'avocat de la famille, qui se félicite des démarches entreprises par le gouvernement pour faire la lumière dans cette histoire. La liberté de parole de ces deux personnes, qui résident à Djedda, dans l'ouest du royaume saoudien, est sujette à caution.
Agé de 59 ans, ancien rédacteur en chef de plusieurs titres de la presse saoudienne, longtemps considéré comme proche du pouvoir, Jamal Khashoggi s'est exilé aux Etats-Unis en septembre  2017, de peur que ses désaccords croissants avec le prince héritier – sur le dossier qatari ou sur le président américain Donald Trump – ne lui valent d'être arrêté.
Dans les colonnes du Washington Post, avec lequel il collaborait depuis, il a publié une série d'articles critiques sur le numéro deux saoudien, qui, tout en prétendant libéraliser le royaume d'un point de vue socioculturel, le soumet à un autoritarisme de fer, avec des rafles à répétition dans les milieux susceptibles de lui résister.
" Je veux que vous sachiez que l'Arabie saoudite n'a pas toujours été comme cela. Nous, les Saoudiens, nous méritons mieux ", se désolait-il dans sa première tribune pour le Post. Ces écrits, empreints d'empathie pour son pays et systématiquement traduits en arabe, représentaient un défi, voire une menace, pour le jeune dauphin – qu'il soit ou non derrière la disparition du journaliste. " Jamal n'est pas un opposant lambda, il n'est d'ailleurs même pas un opposant, fait remarquer un reporter saoudien, sous couvert d'anonymat. C'est un journaliste indépendant, qui est connu en Occident et qui connaît l'Arabie saoudite de l'intérieur. Il dispose d'une grande crédibilité et c'est pour cela qu'il est bien plus dangereux pour le pouvoir qu'un opposant classique. "
Aucune image vidéoSa disparition est potentiellement embarrassante pour Washington. Donald Trump, qui a  effectué sa première visite à l'étranger à Riyad, en  2017, ne tarit guère d'éloges pour la monarchie saoudienne, à l'exception de ses récriminations régulières concernant le coût pour les Etats-Unis de son déploiement militaire dans le Golfe. Son gendre et conseiller, Jared Kushner, est devenu un intime du prince héritier. Il compte sur son soutien pour le plan de paix qu'il doit proposer prochainement aux Palestiniens et aux Israéliens.
Le président des Etats-Unis s'abstient systématiquement de critiquer les dérives autoritaires des régimes alliés de Washington, particulièrement au Moyen-Orient. Mais il lui serait cependant difficile de maintenir ce cap, si la thèse de la police turque était avérée, compte tenu de la notoriété de Jamal Khashoggi.
A l'heure de l'omniprésence de la vidéo, aucune image n'a pour l'instant été produite, à  charge comme à décharge des autorités saoudiennes. La police turque, qui affirme avoir examiné les enregistrements des caméras de surveillance disposées à l'extérieur du consulat – et censées montrer le journaliste y entrer mais ne pas en sortir –, ne les a toujours pas rendues publiques. Et le consul saoudien, qui a guidé les journalistes de l'agence Reuters à l'intérieur des locaux pour les convaincre que Jamal Khashoggi ne s'y trouvait pas, leur a précisé que le circuit vidéo de l'ambassade ne procédait à aucun enregistrement.
Un expatrié saoudien en Europe, critique des orientations actuelles du pouvoir, confie, sous couvert d'anonymat, " la peur " que cette affaire lui inspire : " Dans le passé, il y a eu des histoires de princes kidnappés, ramenés de force de l'étranger et qui n'ont jamais réapparu. Mais ça ressemblait à des règlements de comptes internes à la famille royale, ça ne nous concernait pas. Ce qui est inquiétant dans cette affaire, si Jamal ne redonne pas signe de vie, c'est ce qu'elle dit du pouvoir actuel : son impulsivité, son imprévisibilité et son acharnement sur les gens qui lui déplaisent. "
Benjamin Barthe, Marie Jégo, et Gilles Paris
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire