Translate

vendredi 19 octobre 2018

Retraites : une réforme explosive aux multiples inconnues





9 octobre 2018

Retraites : une réforme explosive aux multiples inconnues

Mercredi, les  partenaires sociaux seront reçus collectivement. L'occasion pour  l'exécutif de sortir du flou

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Le gouvernement va-t-il préciser ses intentions sur la réforme des retraites ? L'occasion lui est, en tout cas, offerte avec la reprise des concertations sur ce chantier parmi les plus sensibles du quinquennat. Mercredi 10  octobre, le haut-commissaire en charge du dossier, Jean-Paul Delevoye, reçoit, pour la première fois depuis sa prise de fonctions, à l'automne  2017, l'ensemble des partenaires sociaux, alors qu'il les avait rencontrés séparément jusqu'à présent.
Autre aspect inédit de cette séance de travail : la présence, autour de la table, de la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, qui défendra le projet de loi lorsqu'il sera examiné au Parlement – en  2019, en principe. Selon M. Delevoye, la réunion de mercredi a pour objectif de tirer " le bilan " des discussions conduites au premier semestre et de faire " uneproposition de calendrier pour les six prochains mois ".
Contrairement à la transformation du système ferroviaire, -adoptée à la fin du printemps, ou à  la réécriture du code du travail, en  2017, la réforme des retraites concerne tous les actifs : fonctionnaires, salariés du privé, professions libérales ou agriculteurs. Un véritable big bang qui ambitionne de rendre plus équitable et plus lisible un système devenu indéchiffrable, avec sa quarantaine de régimes soumis à des règles différentes. De ce projet, peu de choses sont connues, à ce stade, mise à part une profession de foi très générale : il s'agit de bâtir un dispositif universel où chaque euro cotisé apportera les mêmes droits à tous.
Terrain minéPendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait promis de ne toucher ni à l'âge légal de départ en retraite, ni à la durée de cotisation. Lors de son discours devant le Congrès, le 10  juillet à Versailles, le chef de l'Etat a, de nouveau, exprimé sa volonté d'instaurer " un système (…) juste, unique, transparent ". Il a aussi redit son attachement à un " régime par redistribution "" reposant sur la solidarité entre les générations ", où les cotisations de ceux qui travaillent financent les pensions des personnes à la retraite. De son côté, le premier -ministre, Edouard Philippe, a -confirmé, le 27  septembre, que la réforme n'aura aucun " impact sur les personnes qui sont à la retraite et sur les personnes qui vont prendre leur retraite " dans les prochaines années.
En dehors de ces quelques grands principes, l'exécutif s'est peu avancé. Quant à M. Delevoye, " il a noté ce que nous voulons ", comme le résume Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC. Mais de ces multiples face-à-face entre le haut-commissaire et les partenaires sociaux, il n'en est ressorti aucun arbitrage.
Du coup, l'impatience commence à poindre chez plusieurs protagonistes. " On n'en sait pas plus qu'il y a un an ", soupire un haut gradé du Medef. " Ça fait six mois qu'on tourne en rond, renchérit un syndicaliste. Il serait bienvenu qu'ils nous exposent leurs orientations, au moins sur les thèmes abordés durant la concertation. " " J'ai dit à Jean-Paul Delevoye que si on n'avait pas d'éléments concrets - mercredi - , on ne viendrait plus ", met en gardePascal -Pavageau, secrétaire général de FO. " Il faut qu'ils fassent état de choix tangibles, pour que leur parole puisse susciter la nôtre ", affirme également Frédéric Sève (CFDT).
L'exécutif se montre prudent car il sait que le terrain est miné. Impossible, en effet, d'oublier la polémique qui a éclaté, au printemps, sur les pensions de réversion : il a suffi d'une phrase, dans un document officiel, pouvant laisser penser que celles-ci seraient sur la sellette pour que les esprits s'enflamment. Des centaines de milliers de personnes ont cru qu'elles risquaient de perdre une partie de leurs revenus.
Crainte attisée par une communication approximative : à l'époque, Mme Buzyn avait tenu des propos imprécis qui pouvaient être interprétés comme une remise en cause de la réversion au détriment des personnes n'ayant pas travaillé ; la ministre des solidarités a ensuite très vite corrigé le tir mais l'épisode a contribué à entretenir le trouble.
" Ce débat s'est révélé emmerdant car ils ne se sont pas investis dedans, c'est très révélateur d'un dossier mal porté, mal préparé, déplore un dirigeant syndical. Les retraites, ce n'est pas son truc, à Buzyn. Il y a une carence de portage politique. " Un avis très tranché qui ne reflète pas celui de toutes les organisations syndicales et patronales. Le fait que le dossier soit piloté par une personnalité extérieure à l'organigramme gouvernemental – M.  Delevoye en l'occurrence – ne pose " pas de difficulté ", aux yeux d'Alain Griset, le numéro un de l'Union des entreprises de proximité (artisans, commerces, professions libérales). " Jean-Paul Delevoye a le poids politique nécessaire et la confiance du président de la République ", juge-t-il. " On a vraiment l'impression que c'est un ministre bis ", complète Michel Chassang, patron de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL). Qui plus est, le haut-commissaire est entouré d'une dizaine d'experts " qui connaissent parfaitement la question ", souligne Serge Lavagna (CFE-CGC) : " On parle du fond des sujets. "
L'une des inconnues, maintenant, se situe dans la date à laquelle le gouvernement abattra ses cartes. Dans son discours devant le congrès de la Mutualité, le 13  juin, M.  Macron avait fait part de sa volonté de voir " une loi (…) présentée au début de l'année 2019 et - qui - sera votée dans le premier semestre " de la même année. Mais cette fenêtre de tir pourrait être repoussée, pour ne pas " cogner " avec des échéances poli-tiques. Alors que les élections européennes auront lieu en mai  2019, le gouvernement n'a pas forcément envie de présenter, en amont du scrutin, un texte susceptible d'agréger les mécontentements. La CGT et FO ne demandent qu'à en découdre. Idem pour une partie de l'opposition de gauche. Jean-Luc Mélenchon a d'ailleurs promis d'en faire " la mère de toutes les batailles ".
A un moment donné, l'exécutif devra trancher et sortir du flou. Cette étape sera délicate car, comme l'a lui-même reconnu M.  Macron, on verra qui seront les gagnants et les perdants. Interpellé lors de sa visite à Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne), le 4  octobre, le président de la République a, de nouveau, martelé que le système actuel " n'est pas juste ". " C'est pour ça que je veux en faire un nouveau. Il y en a qui vont râler, car ils touchent plus avec le système actuel ", a-t-il lancé. Une manière de montrer qu'il s'attend, lui aussi, à livrer bataille.
Raphaëlle Besse Desmoulières, et Bertrand Bissuel
© Le Monde



9 octobre 2018

L'instauration d'un " âge pivot ", une piste de réflexion très sensible

Le gouvernement veut inciter les gens à travailler plus longtemps sans toucher à l'âge de départ à la retraite, conformément à la promesse de Macron

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Le sujet ne figure pas au programme de la rencontre mais pourrait bien s'inviter dans les discussions. Mercredi 10  octobre, Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire chargé de la réforme des retraites, et Agnès Buzyn, la ministre des solidarités et de la santé, reçoivent l'ensemble des partenaires sociaux pour " tirer le bilan " des six derniers mois de la concertation.
Même s'il ne les pas évoqués publiquement jusqu'à présent, le gouvernement étudie des scénarios pour inciter les actifs à travailler plus longtemps, ce qui pourrait le conduire à mettre la question de l'âge sur la table.
Durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait promis de ne pas toucher à la règle des 62 ans – l'âge à partir duquel toute personne peut demander le versement de sa pension. A l'époque, il estimait que les perspectives financières du système permettaient d'envisager l'avenir avec " une sérénité raisonnable ".
Thème éminemment sensible, l'âge légal devrait donc rester identique à celui d'aujourd'hui. Mais pourrait y être ajouté un autre paramètre, appelé " âge pivot ", selon nos informations, qui recoupent celles évoquées dans Les Echos. Dans un tel dispositif, l'assuré peut toujours faire valoir ses droits à 62  ans, mais il est susceptible de voir sa pension temporairement minorée (en subissant une décote) jusqu'à ce qu'il atteigne cet âge de référence.
Un mécanisme similaire existe dans les régimes complémentaires du secteur privé, Agirc-Arrco, après un accord signé en  2015 par le patronat et par plusieurs organisations syndicales (mais sans la CGT ni FO). A la demande insistante du Medef, l'âge pivot a été fixé à 63  ans : si elle part à la retraite avant, la personne subit une décote provisoire (jusqu'à ses 63  ans, donc) ; si elle continue de travailler au-delà de cette borne, elle voit en revanche sa pension majorée.
Interrogé par Le Monde, le cabinet de M.  Delevoye se contente de répondre que " c'est un sujet qui sera traité dans les prochaines semaines avec les partenaires sociaux ". Son de cloche identique à Matignon : " Ce thème ne sera pas abordé lors de la multilatérale de mercredi, car il ne l'a pas été durant les concertations, à ce stade, assure un proche collaborateur du premier ministre. Tout cela est donc très prématuré. "" Rien n'est arbitré, indique une source proche du dossier. Il y a plein de façons de définir un âge pivot. La question est de savoir comment inciter les gens à travailler plus longtemps. "
Dans un entretien au magazine Notre temps, en février, M.  Delevoye évoquait déjà cette question, au détour d'un plaidoyer pour un système à points qui, selon lui, " responsabilise l'individu " " Tous les ans, il connaît le montant de son capital de points et peut choisir l'âge de son départ à la retraite, à partir d'un âge pivot dont il -conviendra de débattre. " Reste à savoir à quel niveau serait fixé ce dernier.
Partisan d'un allongement de la durée des carrières professionnelles, le Medef verrait d'un bon œil un âge pivot fixé à 64 ou 65  ans. Les syndicats y sont, pour leur part, farouchement opposés, CFDT comprise. " On n'en veut pas, c'est une façon déguisée de reculer l'âge de départ à la retraite ", s'indigne Philippe Pihet (FO). " Politiquement, c'est se tirer une balle dans le pied ", ajoute un de ses homologues d'une autre centrale.
" Magots "Parmi les thèmes devant être officiellement abordés, mercredi, figure le périmètre du futur système universel. Celui-ci pourrait être financé par des cotisations sur les rémunérations et revenus des actifs, jusqu'à un niveau égal à trois plafonds de la Sécurité -sociale (PASS) – soit environ 10 000  euros par mois. Une telle option, si elle était retenue, équivaudrait à un chambardement de grande ampleur. Pour en prendre la mesure, il suffit de mentionner l'exemple du régime général des travailleurs du secteur privé : dans ce dispositif, la principale cotisation salariale porte sur des tranches de revenus inférieures à un PASS. Une telle architecture laisse de la place pour effectuer des prélèvements sur des strates de revenus supérieurs à un plafond de la Sécu et financer ainsi des régimes de retraite complémentaire (Agirc-Arrco).
Si le système voulu par Emmanuel Macron englobe les revenus et rémunérations jusqu'à trois PASS, plusieurs responsables syndicaux et patronaux font remarquer qu'il n'y aura plus d'espace pour les régimes complémentaires existants, que ce soit ceux des salariés du privé ou des travailleurs indépendants. Dans ce contexte, l'Agirc-Arrco serait susceptible de disparaître, ce qui soulève plusieurs questions. Celle de la gouvernance, tout d'abord. Aujourd'hui, les régimes complémentaires du privé sont copilotés par les partenaires sociaux. Demain, qui sera autour de la table ? " Le risque est grand que l'on aille vers une étatisation ", observe Serge Lavagna (CFE-CGC). M.  Pihet, lui, ne se fait guère d'illusions : " Depuis le début - du processus d'élaboration de la réforme - , l'Agirc-Arrco, c'est foutu. " Deuxième inconnue : qu'adviendra-t-il des réserves accumulées par l'Agirc-Arrco (environ 60  milliards d'euros) et par d'autres dispositifs du même type chez les indépendants et les professions libérales ? La crainte que ces " magots " soient captés pour compenser les déséquilibres dans certains régimes commence à émerger. " Il ne faudrait pas que ceux qui ont adopté un comportement de fourmis soient pénalisés par ceux qui ont joué les cigales ", s'alarme Michel Chassang, président de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL). " Nous voulons que subsiste un étage complémentaire pour toutes les catégories d'actifs dans le futur système universel ", insiste Eric Chevée, de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).
R.B.D. et B. Bi.
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire