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vendredi 19 octobre 2018

" L'arabe nous servira plus que l'allemand "


9 octobre 2018

" L'arabe nous servira plus que l'allemand "

Dans un pays qui compte 3 millions d'arabophones, 11 000 élèves apprennent cette langue dans le secondaire

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LE CONTEXTE
Progression
Dans le secondaire, le nombre d'élèves apprenant l'arabe, en LV2 ou LV3, a quasiment doublé en dix ans : ils étaient 6 512 à la rentrée 2007, contre 11 174 en 2017 (13 975 en incluant Mayotte), de source ministérielle. Rapportés aux 5,5 millions de collégiens et de lycéens, ces effectifs restent très minoritaires – " seul un enfant sur mille à l'école primaire, deux sur mille au collège ", rappelle Jack Lang, directeur de l'Institut du monde arabe et ancien ministre de l'éducation.
Les enseignants, eux aussi, sont très peu nombreux : 4 postes ont été ouverts au capes en 2018 et 3 à l'agrégation. En dix ans, le nombre de titulaires est passé de 300 à 200.
Dans l'enseignement supérieur, en revanche, l'offre est florissante : outre l'Institut national des langues et civilisations orientales, à Paris, consacré à l'apprentissage des langues rares, on peut trouver dans les universités et les grandes écoles (l'ENS de Lyon, HEC, l'Ecole des ponts, Polytechnique), toute une gamme de formations, plus ou moins poussées, relatives à l'arabe. Le nombre d'étudiants, souvent des débutants, oscille entre 5 000 et 6 000, selon le Comité interuniversitaire d'études arabes.
Ils n'ont que 12 ans, mais sont sûrs d'eux quand il s'agit d'expliquer leur choix de l'arabe en " LV2 ". " Apprendre cette langue dès le collège, c'est pouvoir m'imaginer, demain, une vie professionnelle à l'étranger, dit Manel. Pourquoi pas à Dubaï ! " " C'est aussi pouvoir parler la langue des copains du quartier, ajouteTadzio réjoui, et puis j'aime bien l'idée qu'on ne fait pas de l'espagnol comme tout le monde ! " Joseph, lui aussi, y voit " une chance " : " L'arabe nous servira sans doute plus, dans la vie, que l'allemand. "
A ses côtés, Cherine a d'autres arguments à faire valoir : " Je parle déjà un peu l'arabe à la maison, explique-t-elle, mais ce n'est pas celui qu'on nous enseigne en classe. Faut pas croire que c'est facile ! " Yasmine baigne elle aussi dans cette langue, mais elle avait " envie de savoir la lire et l'écrire "," de déchiffrer le Coran ".Son camarade Abdeltouab ne semble pas mécontent d'avoir troqué les " cours - d'arabe - du samedi " pour ceux au collège : " J'espère pouvoir communiquer plus facilement avec mes cousins d'Algérie. "
Que les cours d'arabe puissent alimenter toutes les rumeurs – y compris celle d'une " arabisation " de la France ou d'un enseignement en passe de devenir " obligatoire ", comme le prétendent certains ténors de la droite et de l'extrême droite –, n'a pas d'écho parmi ces élèves du collège Françoise-Dolto, dans le 20e arrondissement de Paris. Et pour cause : Joseph, Cherine et leurs camarades ont plutôt le sentiment de faire exception : dans un pays qui compte3  millions d'arabophones – tous dialectes confondus –, l'" arabe standard ", comme on dit dans le jargon de l'école, n'est appris que par un millier de collégiens et de lycéens à Paris ; quelque 11 000 dans tout le pays. Des effectifs inférieurs à ceux des autres langues dites " rares "que sont le chinois ou le russe.
Pour le collège Françoise-Dolto, rendu célèbre il y a dix ans par le film Entre les murs, de Laurent Cantet,chaquenouvel élève qui coche la case " LV2 arabe " à l'entrée en 5e est une petite victoire. Quand a démarré l'expérimentation, l'an dernier, ils ont été huit à s'inscrire – " que des enfants issus de l'immigration ", observe la principale, Marie Busson. Ils sont treize depuis cette rentrée, " un groupe plus mixte ", précise réjouie la chef d'établissement.
" Donner du prestige "Dans quelques mois, ils seront mélangés à leurs camarades latinistes pour participer à un échange avec le collège français de Sousse, en Tunisie. " Latin, grec, arabe… ces langues de référence peuvent tout autant être un creuset d'excellence ", défend Bruno Roger-Vasselin, enseignant de lettres classiques. Si la section d'arabe parvient à attirer vingt élèves en  2019, elle sera considérée comme " pérenne ", comme à Marx-Dormoy (18e), Balzac (17e), Voltaire (11e), les établissements d'implantation historique, ou plus récemment à Claude-Monet (13e), Henri-IV (5e) et Edgar-Quinet (9e).
L'expérimentation peut compter sur le soutien de l'institution. Le 10  septembre, le ministre de l'éducation a répété vouloir " donner du prestige " à l'enseignement de cette " très grande langue littéraire " qui, a-t-il ajouté, ne doit pas être réservée aux enfants d'origine maghrébine. Un message réitéré le 27  septembre par le premier ministre. Tous deux réagissaient à la publication d'un rapport de l'institut Montaigne dans lequel l'essayiste Hakim El Karoui plaide pour une reprise en main de cet enseignement.
L'enjeu, affirme cet ex-conseiller à Matignon, est " majeur, tant les cours d'arabe sont devenus pour les islamistes le meilleur moyen d'attirer des jeunes dans leurs mosquées et écoles ". En vingt ans, avance M. El Karoui, le nombre d'élèves apprenant l'arabe en classe aurait été divisé par deux, quand il aurait été multiplié par dix dans les mosquées.
L'équation fait un peu tiquer au collège Dolto." Après les attentats de 2015, je me suis intéressée au parcours des frères Kouachi, raconte la principale. Je me demandais ce que l'école de la République avait pu louper. Même chose pour les jeunes qui partent en Syrie. On aimerait pouvoir se dire que ces gamins avaient rompu les ponts, décroché… Mais ce n'est pas toujours le cas. "
Depuis son arrivée dans ce collège, en  2013, Mme Busson raconte avoir rencontré " deux cas problématiques " : celui d'un adolescent l'interpellant sur le djihad ; celui d'une jeune fille dont le prosélytisme assumé l'a contrainte à faire un signalement. " Mais ce sont deux cas sur 485 élèves, précise-t-elle. Je ne crois pas que l'on gagne à présenter l'arabe comme une arme contre le communautarisme. "
" Le message est brouillé ", -confirme Mohammed Dendane, recruté comme contractuel pour enseigner l'arabe dans trois établissements – dont Dolto. " Bon nombre de parents d'élèves que je rencontre se positionnent par rapport au fait religieux, remarque-t-il. Il y a ceux qui voudraient que je l'enseigne ; ceux qui, au -contraire, redoutent que je l'enseigne. Or, je ne fais rien de tout cela : j'enseigne l'arabe de manière laïque, comme n'importe quelle autre langue étrangère. "
" Paradoxe "Mais est-ce vraiment " n'importe quelle langue " ? Dans son livre Les Arabisants et la France coloniale (ENS Lyon, 2015), l'historien Alain Messaoudi a bien montré comment s'est forgé notre " passé trouble " avec cette langue, sur lequel pèse l'histoire coloniale. Une histoire faite de " tensions " entre " langue de l'élite " et " langue des colonisés ", entre l'arabe littéraire – celui qui s'écrit – et l'arabe dialectal – celui qui se parle. A la fin du XIXe  siècle et jusque dans l'entre-deux-guerres, l'arabe est la cinquième langue enseignée dans le secondaire. Avec la décolonisation, la France voit revenir vers la métropole les enseignants d'arabe. S'ensuit, dans les années 1960 et 1970, un " certain essor "de cet enseignement dans les établissements professionnels et techniques notamment – " ceux où vont, massivement, les enfants de l'immigration ", note M. Messaoudi. Le capes d'arabe est créé en  1975 (l'agrégation, elle, remonte à 1906).
Une dynamique s'enclenche, mais la mise en concurrence des langues entre elles, l'idée que l'" assimilation " passe par le " parler français ", ont raison du bilinguisme des enfants d'immigrés. On ouvre des sections pour les enfants d'Italiens ou de Portugais. L'arabe, lui, est mis au ban de l'école. Ou presque : sous la houlette de huit Etats (dont l'Algérie, le Maroc, la Tunisie), avec lesquels la France signe des accords bilatéraux dans les années 1970, sont accueillis, dans les écoles primaires mais en dehors du temps scolaire, des " enseignements de langue et de culture d'origine " – ces ELCO qui s'adressent aux enfants du regroupement familial et que fréquentent, aujourd'hui encore, 45 000 écoliers.
" Au collège et au lycée, c'est différent : on veut s'adresser à tous les enfants ", défend l'enseignant Mohammed Dendane. " Le paradoxe ", dit-il, c'est que sa candidature n'a pas été retenue dans le cadre des ELCO. Pour le rectorat de Paris, en revanche, ce traducteur diplômé de l'université de Tlemcen, en Algérie, est devenu un " maillon essentiel " : quand il n'est pas en classe, M.  Dendane sillonne les établissements pour tenter de convaincre proviseurs, parents et enfants de faire, au plus tôt dans la scolarité, le " pari de l'arabe ".  Et à le regarder dans sa salle de classe, on peut se dire que ce pari, en tout cas à Dolto, est en passe d'être gagné.
Mattea Battaglia
© Le Monde

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