Le " dégagisme " arrive place du Colonel-Fabien. Les militants communistes devaient se prononcer entre jeudi 4 et samedi 6 octobre sur quatre textes en lice pour leur congrès, qui se déroulera fin novembre, à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Et le résultat est inédit : la " base commune ", défendue par la direction, autour de Pierre -Laurent (secrétaire national depuis 2010), est battue par le " Manifeste du Parti communiste du XXIe siècle ", porté par André Chassaigne, le président du groupe communiste à l'Assemblée nationale, et Fabien Roussel, le patron de la puissante fédération du Nord, dont le nom circule pour prendre la tête du parti.
A l'issue du vote, qui a mobilisé 30 833 communistes sur 49 218 adhérents à jour de leurs cotisations, soit une participation de 62,65 %, le texte de la direction recueille 37,99 % des exprimés ; le texte alternatif, totalise, lui, 42,15 %. Les deux autres textes en compétition sont loin derrière. " Pour un printemps du communisme ", emmené par les députés Stéphane Peu (Seine-Saint-Denis) et Elsa Faucillon (Hauts-de-Seine), veut
" rassembler les forces antilibérales " pour bâtir un
" front commun ", principalement avec La France insoumise (LFI) ; il recueille 11,95 % des voix. Beaucoup de militants le trouvaient trop proche de LFI. Enfin, le texte que d'aucuns qualifient d'
" orthodoxe ", porté par les militants de Vive le Parti communiste français !, autour d'Emmanuel Dang Tran, membre du conseil national, réunit, quant à lui, 7,90 % des suffrages.
Première conséquence concrète de ce vote surprise : " Pour un manifeste du Parti communiste du XXIe siècle "
devient donc
" la base commune de discussion " en vue du congrès. Il sera néanmoins
" enrichi, travaillé et discuté " par des amendements, des ajouts, etc. Le " Manifeste ", comme le surnomment les communistes, a su résoudre la quadrature du cercle du PCF : être à la fois très critique sur le bilan de la direction ? notamment sur l'absence de candidat communiste à la présidentielle de 2017 ? et sur Jean-Luc -Mélenchon, le chef de file de LFI.
Mauvaise dynamiqueLa personnalité d'André Chassaigne, roué député du Puy-de-Dôme, extrêmement populaire à la base du PCF, a aussi joué en la faveur d'une contribution qui apparaissait comme le " vote utile " pour des communistes en colère qui ne souhaitent qu'une chose : renforcer leur parti et le remettre sur le devant de la scène. L'année 2017 a été très mal vécue, avec de mauvais résultats aux élections législatives (2,72 % des voix au premier tour). La conservation d'un groupe à l'Assemblée n'a pas fait oublier cette mauvaise dynamique dans les urnes.
Pourtant, l'attelage pouvait surprendre : MM. Chassaigne et Roussel côtoyaient des militants " durs " proches de l'ancien maire de Vénissieux (Rhône) André -Gerin, mais aussi le " pôle économie " de Frédéric Boccara. Cette
" alliance de la carpe et du lapin ", selon ses contempteurs, a su séduire au-delà de ses bases naturelles. Le
" Manifeste " arrive ainsi en tête dans de nombreuses fédérations (Val-de-Marne, Paris, Nord, Pas-de-Calais…) et est très haut dans plusieurs autres (Côte-d'Or, Moselle).
" C'est historique comme résultat. Et cela s'est passé sereinement, estime M. Roussel.
On veut tout faire pour éviter que le parti ne s'organise en tendances. "
André Chassaigne rappelle, lui, que,
" pour la première fois de notre histoire, le texte présenté par le conseil national n'est pas retenu. Cette situation appelle tous les camarades à construire ensemble une orientation politique permettant de rassembler très majoritairement les communistes ".
Pas certain que le choix de samedi plaise à tout le monde en interne. Les principales figures de la ligne " Pour un printemps du communisme "
critiquent ainsi
" un texte qui prône le retour à des conceptions passéistes qui ont partout échoué " et appellent à une réunion
" pour donner au communisme sa figure moderne, ouverte, démocratique, écologique et révolutionnaire ".
Une chose est sûre : ces résultats constituent un camouflet pour Pierre Laurent, qui brigue un troisième mandat. Le sénateur de -Paris, minoritaire dans sa propre fédération, a réagi à ces résultats.
" Je respecte les choix des communistes. Je note que les résultats sont très partagés. Nous avons une nouvelle base commune pour discuter et pas de majorité à ce stade pour avancer, a-t-il déclaré avant de promettre de travailler à l'unité du parti.
Nous avons donc devant nous un immense débat à poursuivre sur nos choix et un immense défi à relever pour la construction commune, l'unité et le rassemblement des communistes jusqu'au congrès. (…) J'y mettrai toute mon énergie. "
Mais des rumeurs sur sa démission circulent déjà et une période de grande incertitude s'ouvre place du Colonel-Fabien. Beaucoup de ces questions seront résolues le samedi 13 octobre, lors du prochain conseil national (le " parlement " du parti).
" La démission ou non de Pierre Laurent n'est pas la question. Il va y avoir des discussions et c'est à Pierre de créer les conditions du rassemblement ", tempère Fabien Roussel, 49 ans, qui ne veut pas se prononcer sur sa possible accession au poste de secrétaire national du PCF. A la Fête de
L'Humanité, mi-septembre, il déclarait pourtant que
" le pays a besoin d'un PCF ambitieux et conquérant. On a besoin d'un changement fort, il y a beaucoup de mécontentement. "
Du côté des frères ennemis de La France insoumise, on ne cache pas, en off, la satisfaction de voir Pierre Laurent mordre la poussière. Les relations entre lui et Jean-Luc Mélenchon sont exécrables depuis longtemps. Et certains " insoumis " préfèrent encore un nouveau secrétaire national " hostile " plutôt que de continuer avec Pierre Laurent.
Les " communistes insoumis " devraient, par ailleurs, appeler leurs " camarades " à les rejoindre dans le giron mélenchoniste. Dans une note de blog au lendemain de la Fête de
L'Humanité, -intitulée
" A bientôt camarades ! ", M. Mélenchon ne disait pas autre chose :
" Il s'agit de sauver les dialogues futurs. Ces dialogues reprendront, un jour ou l'autre, quand cette page - celle de Pierre Laurent à la tête du PCF -
sera tournée par les communistes. " Le message ne saurait être plus clair.
Abel Mestre
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