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dimanche 21 octobre 2018

HOMMAGE à Jacques BREL : Les quarante ans de la mort de Jacques Brel (le 9 octobre 2018) sont l’occasion de rééditions et de publications.




HOMMAGE à Jacques BREL 



Jacques Brel a-t-il vraiment vu Vesoul ? 


  • François Gorin
     François Gorin
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  •  Mis à jour le 09/10/2018 à 17h20.


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    Les quarante ans de la mort de Jacques Brel (le 9 octobre 2018) sont l’occasion de rééditions et de publications. Un livre se distingue : le journaliste David Dufresne choisit d’aller voir Vesoul, qui donna son titre à la fameuse chanson. Mais le chanteur lui-même y a-t-il mis les pieds avant d’en faire des rimes ?

    acques Brel vivant aurait 89 ans. Il est mort depuis quarante (pile) de n’avoir pas voulu vieillir et ce n’est sans doute pas tout à fait ce qu’il avait imaginé. Car si « mourir, cela n'est rien » (chantait-il), être encore aussi mort qu’au premier jour, ça peut être ennuyeux à la longue. On continue de fêter vos anniversaires. De noircir du papier, d’allumer des écrans, de produire des images. De retourner dans tous les sens ce que vous avez laissé de vivant. Des chansons, concerts enregistrés, interviews transcrites ou filmées.
    Jacques Brel mort clique sur un site de vente en ligne et que voit-il ? Une intégrale. Encore une. Ils ont trouvé le moyen d’ajouter encore quelque chose. De changer le paquetage. De démoder la précédente. Pour les chevaliers de la galette ronde, c’est la quête de l’intégraale. Jamais finie.

    Et les bouquins. Par dizaines, redites et nouveautés. Brel vous dirait le contraire mais il les a tous lus. On a du temps quand on est mort. Parfois, il se demande s’il n’aurait pas mieux fait de durer, de vieillir chanteur. Pas comme Aznavour mais comme dans Jacky. A Macao ou à Knokke-le-Zoute. Incognito.
    L’inconvénient, c’est qu'avec ces prolongations, les biographies auraient triplé de volume. Il y aurait eu des photos compromettantes, les images volées d’une vieille gloire décatie. Des chapitres entiers de récits pathétiques. Au moins dans les livres existants, tout est parfait, ordonné, immuable. Bruxelles, la cartonnerie, les galères, l’abbé Brel aux Trois Baudets, les cartons, les amours, les tournées, les adieux, le ciné pas muet, les amarres larguées, l’aviateur aux Marquises…

    Vesoul a tout pris

    Tout est vu et revu, lu et relu, parfois mieux que la dernière fois, mais que peut-il bien rester à écrire ? Brel mort soupire et soupèse dans sa grande main osseuse un livre de plus. La photo n’est pas si habituelle. Portrait sur le vif, en voiture, les pompes calées sur le siège avant, il va tirer une bouffée de sa clope et fronce les sourcils. Un titre énigmatique : On ne vit qu’une heure. C’est de lui, ça ? Pris à une chanson de 1963, Pourquoi faut-il que les hommes s’ennuient, pas la plus connue. Bon an, mal an, on ne vit qu’une heure… Le sous-titre est filou : Une virée avec Jacques Brel.
    Tu parles, jure Brel mort. Pas avec moi en tout cas. Non, l’auteur, David Dufresne, a voyagé avec les chansons de Brel ; la pensée de Brel ; des documents, bouts d’interview, phrases de Brel. Pour le but du voyage, il a eu une idée. Pas follement originale : Vesoul. C’était ça ou Vierzon. Mais Vierzon ne vient qu’en second dans la chanson, qui s’appelle Vesoul et c’est de Vesoul que tout le monde se souvient et la ville de Vesoul semble se souvenir de Brel surtout à travers cette chanson. Qui ne parle pas d’elle.
    Vesoul n’est pas seule citée dans la chanson. Il y a aussi Paris, Dutronc, ta mère, ta sœur… Ceux-là se sont sentis moins visés et Vesoul a tout pris. Partant du principe que toute publicité est bonne publicité, elle a aussi rendu : il y a à Vesoul un lycée Jacques-Brel, une place Jacques-Brel, une statue de Jacques Brel. David Dufresne a vu tout ça. C’est un enquêteur, il aime aller voir et apprécie que cette expression, aller voir, soit l’une des favorites du chanteur.
    Il avoue préférer souvent les déclarations de Brel à ses chansons et là on ne le suivra pas forcément. Brel vivant pouvait être sentencieux. Ce qu’il dit passe tout de suite mieux quand on entend sa voix le dire ou qu’on voit le visage d'où sort cette voix. Le livre-reportage de Dufresne offre un contrepoint à ce que Brel n’a pas dit sur Vesoul. Car à part « t'as voulu voir Vesoul et on a vu Vesoul », Brel n’a rien dit de cette ville rimant avec elle-même et on n’est pas sûr qu’il y ait un jour mis les pieds.

    Du rap, avec de l’accordéon en prime

    A Vesoul, chef-lieu du département de la Haute-Saône, le reporter a rencontré des gens, des vraies gens, pas des personnages de chansons de Jacques Brel. Un vendeur de pizzas, le chef local du FN, un pilote d'aéro-club, un directeur de multiplexe, une patronne d’hôtel. Tous lui ont fait comprendre à leur manière que la vie à Vesoul, ville moyenne de la France d’en-bas, c'était pas la joie.
    Et Brel ?, a demandé chaque fois David Dufresne. Là, confusion, flou du souvenir, fausses pistes. Brel a dormi à la Bonne Auberge. Ou pas. Il a dragué une serveuse, une blonde. Ou non, pas elle, une brune. Il est tombé en panne avec son avion. Mais en quelle année ? Il est venu en voiture. Avec qui ? Il est plutôt allé au Casino de Luxeuil, une ville voisine. Il a fait un concert là-bas. Vraiment ? Le pompon, c’est quand un quidam certifie à Dufresne que c’est à Vesoul que Brel a écrit Vesoul. Comme ça, rien qu’en partant du nom de la ville où il se trouvait. Mais rien ne le prouve.
    Au fond, tout le monde s'en fout de savoir si Jacques Brel est allé ou non à Vesoul, et si oui, quand. C’est comme de savoir s’il est vraiment allé voir Dutronc, ça aussi, tout le monde s’en fout, Dutronc le premier. Entre Jacques, on se comprend. Ça peut à la rigueur faire des conversations. Parmi les gens de Vesoul en particulier.
    Plutôt les anciens, parce que les jeunes, David Dufresne l’a constaté, Jacques Brel ça ne leur dit à peu près rien. Dans un atelier d’écriture auquel on l’a convié, le reporter entend un collégien dire que Vesoul, ça sonne assez comme du rap. Avec de l’accordéon en prime. Brel mort boit du petit lait : un vieux rappeur du temps où Vesoul vesoulait, ça ne lui va pas si mal. Il vaut mieux entendre ça que d’être mort. Et voilà au moins un livre où il se sent un peu vivant.

    Jacques Brel, “Vesoul”




    Jacques Brel, “Vesoul”, sous-titres anglais









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