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vendredi 19 octobre 2018

Fraude fiscale : la banque suisse UBS face aux juges


9 octobre 2018

Fraude fiscale : la banque suisse UBS face aux juges

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 Lundi 8 octobre, le procès du leader de la gestion de fortune, pour des faits intervenus entre 2004 et 2012, devait s'ouvrir à Paris
 L'établissement et ses dirigeants sont poursuivis pour " démarchage bancaire illicite " et " blanchiment de fraude fiscale "
 Les magistrats instructeurs chiffrent à 10 milliards d'euros les actifs qui auraient échappé au fisc
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© Le Monde


9 octobre 2018

Fraude fiscale : le suisse UBS sur le banc des accusés

Les magistrats instructeurs estiment à 10 milliards d'euros les actifs qui auraient pu échapper au fisc français

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LES DATES
2011
Le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire, en mars, après la transmission par l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), d'une note sur les pratiques commerciales d'UBS en France.
2012
Le parquet de Paris ouvre une information judiciaire en avril.
2013
UBS France est mise en examen, le 31  mai, pour complicité de " démarchage illicite ". Le 7  juin, c'est au tour de la maison mère suisse d'être mise en examen.
2014
UBS est mise en examen, le 23  juin, pour " blanchiment aggravé de fraude fiscale ".
2017
Le 20  mars, le groupe suisse est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour " démarchage bancaire illégal " et " blanchiment aggravé de fraude fiscale ", sa filiale française pour " complicité ". Le 13  septembre, UBS France est renvoyé devant le tribunal pour harcèlement contre deux ex-employés.
Sept mois après la condamnation en appel de Jérôme Cahuzac, l'ancien ministre du budget qui dissimulait une partie de son argent dans un compte au sein de la banque suisse UBS, le sujet de la fraude fiscale s'invite de nouveau dans les prétoires. Mais, malgré certaines similitudes, le procès qui devait s'ouvrir, lundi 8  octobre, devant la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris ne relève pas de la même nature.
Les trois lettres " UBS " occuperont cette fois-ci une place centrale au cours des cinq semaines d'audience prévues, à raison de trois séances hebdomadaires. Aucune personnalité médiatique n'est attendue à la barre. Il ne s'agira plus de juger le comportement d'un contribuable indélicat, mais le mode de fonctionnement d'un des plus prestigieux établissements financiers, suspecté d'avoir organisé un vaste système d'évasion fiscale, dans lequel la France figurait comme un attrayant terrain de chasse.
Au terme de cinq années d'enquête, les juges d'instruction Guillaume Daïeff et Serge Tournaire ont décidé, en mars  2017, de renvoyer devant la justice six hommes ayant occupé des postes-clés au sein de la banque, poursuivis pour " démarchage bancaire illicite " et " blanchiment de fraude fiscale " ou pour " complicité " de ces délits, entre 2004 et 2012. A ces six  prévenus s'ajoutent deux autres " personnes morales " : UBS AG, la maison mère, et sa filiale française, UBS France.
Le numéro un mondial de la gestion de fortune, à travers l'activisme de ses chargés d'affaires (CA) suisses au surnom évocateur de " chasseurs ", est soupçonné d'avoir incité de riches français à placer leur argent en Suisse. Dans l'illégalité, car ces " chasseurs " n'avaient pas de licence pour démarcher en France, et qu'une bonne partie des comptes ouverts n'étaient pas déclarés au fisc.
Les chiffres donnent le tournisInvitations en loge VIP à Roland-Garros, déjeuners littéraires, concerts ou tournois de golf : les occasions étaient multiples pour nouer ou approfondir des relations avec des " prospects " – des cibles potentielles – ou les clients, qui pouvaient, ensuite, rapporter gros. Sportifs, artistes, grands patrons ou même gagnants du Loto, les profils visés étaient variés. Les magistrats instructeurs ont estimé à 10  milliards d'euros environ les actifs de Français non -déclarés au fisc et gérés par UBS entre 2004 et 2012.
Dans ce dossier, les chiffres donnent le tournis. Il y a ceux qui collectionnent les zéros, se  comptent en millions ou en milliards. Le montant de la caution qu'a dû verser la banque suisse, en  2014, est à la hauteur de cette démesure : 1,1  milliard d'euros. Il y a ceux, aussi, que l'on ignore encore. Combien ces opérations de démarchage ont-elles rapporté en retour à la banque ? L'enquête n'est pas parvenue à l'établir, notamment en raison d'une coopération rétive des autorités helvétiques et d'UBS.
Pour sa défense, la banque, qui souligne le manque de preuves dans cette affaire, a argué du fait que l'instruction n'a pas permis d'identifier qui, parmi d'éventuels clients démarchés, avait finalement ouvert un compte en Suisse. Adoptant cette ligne de défense, Jean-Frédéric De Leusse, le président du directoire d'UBS France, affirmait au Monde, en février  2016 : " Inviter des gens à Roland-Garros, ce n'est pas du démarchage illicite. Ce n'est pas dans ce type de lieu qu'on va leur faire signer des contrats. " Mais peu importe, au fond, notent les juges d'instruction, puisque " le démarchage est constitué même si la personne démarchée n'a finalement rien fait avec la banque ".
Afin d'établir la réalité de ce système de fraude, les enquêteurs ont pu bénéficier de témoignages de plusieurs ex-salariés d'UBS France. Stéphanie Gibaud, ex-responsable du marketing et de la communication, a ainsi raconté que les chargés d'affaires suisses présents en France lors d'" events ", étaient bien là dans une logique de démarchage. " On traque un événement, a expliqué cette lanceuse d'alerte, c'est-à-dire qu'après chaque event, le marketing demande à chaque chargé d'affaires les retombées en matière de net new money, autrement dit, les rentrées d'argent frais à la banque. "
Hervé d'Halluin, ex-directeur d'UBS à Lille, renvoyé devant le tribunal pour complicité de démarchage illicite et recel, a parlé de " ratissage nauséabond et pratiqué de manière industrielle " et évoqué des " visites intempestives de CA suisses dans - leurs - locaux ". Autre épine dans le pied de la banque suisse, l'un des anciens dirigeants d'UBS  France, Patrick de Fayet, a tenté en vain de sortir du dossier par le biais d'une procédure de comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). L'équivalent d'un plaider-coupable permettant d'éviter un procès. Mais le juge chargé d'homologuer cette issue procédurale l'a  refusée.
Les magistrats instructeurs doutent que les chargés d'affaires suisses " venaient en France uniquement pour parler golf, tendances macroéconomiques mondiales ou marque UBS "" Il est assez peu crédible de soutenir, écrivent-ils dans leur ordonnance de renvoi, que les voyages en France de ces chargés d'affaires n'avaient pas pour objectif d'obtenir un accord du client ou du “prospect” sur la réalisation d'opérations bancaires ".
Et puis, il y a ce soupçon de la dissimulation. Ces " carnets du lait ", une comptabilité parallèle enregistrée dans un fichier informatique nommé " Vache ", retraçant les flux d'argent entre commerciaux français et suisses, et qu'UBS n'a pas conservés.
Il y a aussi ce manuel de " Security Risk Governance ", que les chargés d'affaires suisses emportaient avec eux et rappelant, entre autres, comment faire disparaître les données en cas de contrôle ou comment utiliser des ordinateurs cryptés.
La banque a nié toute comptabilité occulte. Ses dirigeants mettent en avant l'existence de " country papers ", des fiches rappelant la législation en vigueur dans chaque pays, censées réguler l'activité des CA. Des instructions " hypocrites "" jamais respectées et UBS le savait ", selon un ex-salarié, qui a avoué, en  2008, avoir aidé des clients américains à frauder le fisc. Aux Etats-Unis, UBS a réussi à éviter un procès en livrant 4 450 noms à la justice. En France, elle n'échappera pas à un procès-fleuve, qui devrait s'achever le 15  novembre, à moins que les débats lors de la première audience ne conduisent à un report.
Yann Bouchez et Simon Piel
© Le Monde


9 octobre 2018

Avant l'audience, d'ultimes tentatives de négociations

La banque et l'un de ses anciens dirigeants ont tenté, en vain, d'éviter un procès en cherchant une issue transactionnelle

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Le 15  juin 2016, après bientôt quatre ans d'instruction, au cours de laquelle il a connu la garde à vue et a dû s'acquitter d'un montant de 150 000  euros de caution, Patrick de Fayet, alors âgé de 60 ans, finit par céder. Las d'une enquête aux enjeux considérables et au risque pénal évident, l'ancien numéro deux de la filiale française d'UBS, mis en examen pour " complicité de démarchage bancaire illicite ", préfère s'orienter vers une comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). L'équivalent d'un " plaider coupable " négocié avec les magistrats du parquet et de l'instruction, qui permet, si l'accord est homologué par un juge, d'éviter un long procès, voire deux en cas d'appel.
Tout au long de l'instruction, M.  de Fayet avait pourtant fermement contesté les faits qui lui étaient reprochés. Dans un courrier reçu par les magistrats le 24  juin 2016, il a indiqué qu'il souhaitait s'orienter vers une voie transactionnelle, reconnaissant par là même avoir organisé " conjointement avec ses homologues d'UBS AG des événements promotionnels financés par- la maison mère - " et avoir participé " à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit ", entre 2004 et 2009.
Un coup de tonnerre pour la banque suisse, qui voit alors la solidarité, qui présidait jusqu'alors dans la défense des mis en examen, se fissurer dangereusement, et décide aussitôt de se constituer partie civile contre son ancien salarié. Une situation ubuesque, où le principal accusé profite du revirement d'un de ses complices présumés pour tenter d'y gagner le statut de victime en invoquant des dérapages individuels. Sans surprise, sa constitution de partie civile sera refusée. Et la banque renvoyée devant un tribunal correctionnel.
L'entreprise avait, par ailleurs, elle aussi entamé de son côté des négociations pour éviter un procès en s'engageant dans une voie transactionnelle pouvant signifier de reconnaître sa culpabilité, mais en vain. Une CRPC risquait de la mettre en grande difficulté vis-à-vis des autorités américaines et aurait pu avoir des conséquences sur son activité aux Etats-Unis.
Une faille dans la défenseL'autre voie, la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), n'a finalement pas abouti. Cette nouvelle procédure réservée aux cas de corruption ou de blanchiment de fraude fiscale permet en effet à une entreprise de signer une transaction financière avec la justice, sans avoir à reconnaître sa culpabilité. Le parquet financier n'était pas prêt à négocier au-dessous du 1,1 milliard d'euros de caution dont la banque avait dû s'acquitter lors de sa mise en examen. Une somme d'ailleurs confirmée par la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme comme n'étant pas disproportionnée avec le préjudice subi.
Pour mémoire, accusée de blanchiment, la filiale suisse de la banque HSBC avait choisi, fin 2017, de signer une CJIP contre le paiement d'une amende de 300 millions d'euros pour éviter un procès.
Plus surprenant, en revanche, malgré l'accord passé entre les magistrats, le juge chargé d'homologuer la CRPC de M. de Fayet l'a refusé. L'ancien dirigeant d'UBS France se retrouve donc, comme ses co-mis en examen, renvoyé devant le tribunal pour le procès qui s'ouvre lundi 8  octobre. Si la CRPC – et son échec – ne peut être évoquée à l'audience, elle sera dans toutes les têtes et pourrait planer sur l'audience comme une faille dans la défense d'UBS.
Au cours de l'enquête, M. de Fayet avait expliqué aux magistrats que certaines pratiques des chargés d'affaires (CA) français et suisses avaient pu avoir lieu sans qu'il en ait été informé. " Il pouvait arriver qu'un CA suisse demande à un CA français copain de réserver au nom de ce dernier un salon pour y recevoir un client ou prospect - cible potentielle - à notre insu. " Il a donc été décidé, a-t-il dit, de diffuser une instruction intitulée " sécurité et accès aux locaux ". Pour M. de Fayet et UBS France, c'est, écrivent les magistrats instructeurs, " la preuve de l'absence de complicité d'UBS France du démarchage d'UBS AG sur le territoire national ". Pour les juges d'instruction, " l'enquête a montré qu'UBS France, en la personne de Patrick de Fayet, a décidé de favoriser les apports de clients ou de prospects par UBS France à UBS AG ". Contacté, son avocat, Christian Saint-Palais, n'a pas souhaité faire de commentaires.
Y. Bo. et S. Pi.
© Le Monde


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