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samedi 22 septembre 2018

L'inquiétant coup de mou de l'économie française


22 septembre 2018

L'inquiétant coup de mou de l'économie française

Le produit intérieur brut n'a augmenté que de 0,2 % au deuxième trimestre, contre 0,4 % dans la zone euro

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En  2017, il suffisait de traverser la rue pour trouver de la croissance. Cette année, l'affaire s'annonce autrement plus compliquée pour le chef de l'Etat. Son gouvernement ne mise plus que sur 1,7  % de progression de l'activité en  2018. C'est toujours un dixième de plus que ce qu'envisage la Banque de France. Mais loin, très loin, des 2,3  % enregistrés l'an passé.
Quel mauvais vent a soufflé sur le produit intérieur brut (PIB) pour que le refrain sur la reprise " soutenue ", " solide " et " durable " seriné il y a huit mois vire au " trou d'air ", voire à la " panne " ? Au premier comme au deuxième trimestre, le PIB français n'a augmenté que de 0,2 %, chiffre confirmé par l'Insee vendredi 21 septembre, contre 0,4 % pour l'ensemble de la zone euro. Même l'Italie, pourtant engluée dans la crise, a fait mieux…
Forcément, le moral de chacun s'en ressent. Alors qu'il restait encore bien au-dessus de sa moyenne historique en janvier, l'indicateur synthétique de confiance des ménages n'a cessé de plonger ces derniers mois. Jusqu'à repasser, au printemps, sous le seuil des 100. La tendance, bien que moins marquée, vaut également pour le climat des affaires. L'indicateur qui le mesure, après être remonté à son niveau d'avant-crise, a perdu 7 points depuis le début de l'année.
Toutes les courbes, pourtant, ne sont pas si mal orientées. Si la consommation et les dépenses des ménages en logements marquent le pas, il semble que les entreprises, elles, n'ont pas renoncé à investir. Non seulement la production manufacturière s'est légèrement redressée en juillet, mais la plupart des économistes tablent sur un rebond de l'activité au dernier trimestre. " Il ne faut pas oublier que l'année 2017 a été assez exceptionnelle. On commence à revenir sur un rythme plus soutenable ", souligne Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas.
Vers un redressement du pouvoir d'achatSymbole du freinage brutal du début d'année, le pouvoir d'achat a plongé de 0,5  % au premier trimestre. Grevé par l'inflation liée aux prix du pétrole et des produits alimentaires, le revenu disponible brut des ménages a aussi pâti de la hausse de la fiscalité sur les carburants et le tabac. Des mesures auxquelles sont venus s'ajouter l'étalement de la baisse des cotisations salariales et la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG). Un cocktail amer pour les retraités mais aussi pour les actifs, dans un contexte de faible progression des rémunérations.
L'évolution de la consommation en témoigne. Après avoir augmenté de 0,2  % au premier trimestre, les dépenses des ménages ont reculé de 0,1 % entre avril et juin. De telles variations peuvent sembler minimes mais elles ont en réalité un impact énorme sur le dynamisme de l'économie. La consommation représente à peu près 50  % du PIB. Sa mollesse, depuis la fin de l'année 2017, inquiète d'autant qu'elle explique, en partie, les mauvaises performances de la France par rapport au reste de la zone euro.
" Si nos voisins ont, eux aussi, dû composer avec la hausse du baril et un environnement international moins porteur, ils n'ont pas subi les effets de la hausse de la fiscalité et les conséquences des grèves ", note Hélène Baudchon. D'après le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, les mouvements sociaux dans les transports ferroviaire et aérien auraient amputé de 0,1 point la croissance.
Du mieux est anticipé pour la fin de l'année – et le mouvement semble engagé avec un rebond du pouvoir d'achat de 0,7  % entre avril et juin. La première baisse, à l'automne, de la taxe d'habitation et la suppression totale des cotisations salariales devraient aussi regonfler le porte-monnaie des Français. L'Insee table sur un rebond de 1,5 % du pouvoir d'achat au quatrième trimestre. " Toute la question, glisse Hélène Baudchon, est de savoir dans quelle mesure ce surplus se traduira dans la consommation. " Pour l'économiste, il y a fort à parier qu'une bonne moitié sera épargnée.
Face à ces inquiétudes sur le pouvoir d'achat, la réponse du gouvernement tient en un mot : travail. " C'est par le travail, par un travail qui paye mieux, que nous allons créer plus de prospérité ", a répété le 20  septembre le premier ministre, Edouard Philippe, au micro de France Inter. La suppression des cotisations salariales sur les heures supplémentaires pour tous les actifs, en septembre  2019, devrait ainsi rapporter " 200  euros supplémentaires par an " pour une personne payée au smic, arguait-il, fin août, dans un entretien accordé au Journal du dimanche.
L'emploi moins dynamiqueCe coup de pouce sur les rémunérations est d'autant plus bienvenu que, sur le terrain de l'emploi, cela patine. Au deuxième trimestre, 12 500 créations nettes d'emplois salariés ont été constatées, contre 47 500 au trimestre précédent, selon l'Insee. Les chiffres reculent dans le public en raison de la baisse des contrats aidés, mais le coup de frein se ressent aussi dans le privé. Alors qu'en  2017 l'économie française avait créé près de 340 000 postes, elle n'en générerait que 183 000 en  2018, estime l'Insee.
Même l'intérim est en repli par rapport à l'an passé. " Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel… Il y a eu en  2017 une phase d'euphorie et un emballement sans doute un peu excessifs ", analyse Alain Roumilhac, président de Manpower Group France. La baisse enregistrée cette année tient en grande partie à la mollesse de l'activité, mal récurrent de l'économie hexagonale. " Cependant, de plus en plus de nos clients embauchent aussi leurs intérimaires en CDI. Ils cherchent des gens de plus en plus qualifiés ou s'efforcent davantage de les former ", nuance M. Roumilhac.
Un effet des ordonnances sur la libéralisation du travail adoptées il y a un an ? Si elles ont sans doute redonné confiance aux chefs d'entreprise, " il est encore beaucoup trop tôt pour mesurer leur impact sur la dynamique globale ", souligne Hélène Baudchon. Quant à la loi " pour la liberté de choisir son avenir professionnel ", censée relancer la formation professionnelle et l'apprentissage, elle vient tout juste d'être adoptée.
Son exécution et son déploiement seront déterminants dans la lutte contre le grand mal français : un chômage très élevé, qui peine, depuis la crise, à se résorber : 9,1  % de la population active était encore au chômage en France au deuxième trimestre 2018. Un taux qui baisse depuis 2015, mais moins vite que dans l'ensemble de la zone euro.
Des entreprises qui investissentDans ce tableau plutôt morose, la bonne surprise est à mettre au compte des entreprises et, notamment, de leur volonté d'investir, en particulier dans les biens d'équipements. Après avoir stagné en début d'année, il a crû, de nouveau, de 1,2  % au deuxième trimestre. " Les sociétés ont besoin d'augmenter leurs capacités de production, parce qu'elles parient sur un rebond de la demande intérieure et extérieure ", note Stéphane Colliac, économiste chez Euler Hermes.
L'annonce d'Edouard Philippe, jeudi 20 septembre, d'un plan pour " soutenir la transformation numérique de l'industrie et sa montée en gamme " doit participer de cet élan. Il devrait notamment redonner vie, dès le 1er  janvier 2019, au dispositif de " suramortissement " qui permettait, sous l'ère Hollande, aux entreprises de déduire de leur résultat imposable 40 % des sommes engagées dans l'appareil productif. L'aide fiscale sera, cette fois, " ciblée sur les PME et les investissements dans la robotique, la numérisation et la gestion numérique de la chaîne de production (imprimantes 3D…) ", a précisé Matignon.
Il y a urgence : d'après une note de Natixis datée du 19  septembre, la France achète moins de robots industriels que l'Espagne ou l'Italie et l'investissement dans les technologies de l'information y est deux fois plus faible que la moyenne de la zone euro. L'enjeu n'est plus seulement de mettre à niveau l'appareil productif, mais d'inciter les entreprises à monter en gamme.
Elles jouissent encore, pour y parvenir, d'un environnement favorable : les taux de marge, s'ils n'ont pas encore retrouvé leur niveau d'avant-crise, se sont bien redressés grâce au Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).
Un contexte international incertainCette amélioration de la compétitivité " hors coûts " est d'autant plus cruciale que les entreprises françaises sont en retard sur leurs voisines européennes (allemandes, notamment) en termes de productivité et d'innovation. Distancées, elles n'ont cessé de perdre des parts de marché. Un terrain d'autant plus difficile à reconquérir que la concurrence internationale s'est aiguisée. Résultat : la part des exportations de biens et services dans le PIB français avoisine les 31 %, contre 47  % pour l'Allemagne.
Alors qu'en  2017 les sociétés françaises avaient bénéficié à plein de l'accélération des échanges mondiaux, elles encaissent cette année le coup de frein général. Exportations et importations se sont redressées au deuxième trimestre mais pâtissent du retour du protectionnisme et de la crise de certains pays émergents comme la Turquie.
Élise Barthet
© Le Monde



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