Translate

dimanche 23 septembre 2018

Les réfugiés et la base de loisirs


23 septembre 2018

Les réfugiés et la base de loisirs

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
AArnage, dans la proche banlieue du  Mans, M. le maire s'oppose à l'installation d'un centre d'hébergement pour réfugiés dans sa commune. Résumée à cela, l'affaire ferait passer Thierry Cozic pour l'un de ces hommes politiques d'extrême droite qui aboient régulièrement à l'encontre des demandeurs d'asile débarquant sur le sol européen. L'affaire est un peu plus compliquée que cela. Elle témoigne, entre autres, de l'impuissance des collectivités locales – des municipalités surtout – à peser sur les politiques nationales encadrant le phénomène migratoire, alors qu'elles se trouvent en première ligne. " Jamais nous n'avons été concertés dans ce dossier. L'Etat ne peut pas tout imposer ", dit sans décolérer M. Cozic, également vice-président de la communauté urbaine du  Mans Métropole et premier secrétaire du Parti socialiste de la Sarthe.
Le lieu de toutes les crispations est un ancien Hôtel Formule 1, -situé en bordure d'un lac artificiel et d'une base de loisirs, au nord de la commune. Le bâtiment sans charme aucun et à la façade fatiguée fait partie d'un ensemble d'une soixantaine d'hôtels économiques achetés et réhabilités par le Groupe SNI (devenu depuis CDC Habitat), via un fonds constitué d'investisseurs institutionnels, dans le but de les transformer en résidences hôtelières à vocation sociale. Le locataire, Adoma, une autre filiale de CDC Habitat, est chargé d'assurer l'accueil et le suivi des demandeurs d'asile invités à y séjourner, dans le cadre d'un appel d'offres lancé par le précédent gouvernement visant la création de 5 300 places d'hébergement d'urgence.
Furieux d'avoir appris par " la rumeur ", en mars  2017, la nouvelle vocation de l'ancien Formule 1, Thierry Cozic déplore n'avoir jamais été associé au projet, en particulier quant à son emplacement. " En tant que maire, je dois être le garant de la cohésion sociale et assurer la mixité ", assène l'élu qui aurait préféré que les nouveaux arrivants – des “réfugiés réinstallés” subsahariens, originaires, pour la plupart, du Soudan, de République centrafricaine, d'Erythrée et du Mali – soient répartis dans le parc locatif social de l'agglomération, plutôt que sur un site " non adapté, où ils vont être parqués ", estime-t-il. Encadré par deux routes départementales à deux voies, le futur centre d'hébergement – appelé à ouvrir ses portes le 1er  octobre – n'est pas accessible en transports en commun, ce qui n'est pas idéal pour des personnes a priori sans ressources.
Il présente, par ailleurs, une autre caractéristique : être placé au cœur d'une des principales zones touristiques de l'agglomération, et c'est là aussi que le bât blesse. Créé à la fin des années 1970, le plan d'eau de la Gèmerie est considéré comme la " plage du  Mans ". Plusieurs dizaines de milliers de personnes viennent s'y baigner chaque été ou pratiquer l'une des -différentes activités proposées (nautisme, pêche, VTT, tir à l'arc, pétanque…). Une ginguette a quitté le centre-ville du  Mans pour s'y installer. Cinq autres hôtels, correspondant à différentes entrées de gamme, entourent également la base de loisirs à proximité de laquelle un camping pourrait un jour ouvrir ses portes.
L'ouverture, au beau milieu du site, d'un foyer pour réfugiés ne rassure pas les professionnels du tourisme, qui ont fait part au maire de leur inquiétude. Celui-ci considère aussi que le projet risque de " déstabiliser l'économie " d'une zone qui rapporte 20 000 eu-ros par an de recettes fiscales à sa commune. La fermeture du Formule 1, et la liquidation judiciaire d'un restaurant voisin, qui fonctionnait en partie grâce à la clientèle de l'hôtel, sont un mauvais signe pour les investisseurs, fait comprendre l'édile.
M.  Cozic se défend toutefois de faire de l'antimigrants. Et de rappeler que le conseil municipal d'Arnage a adopté un " vœu de -soutien à l'accueil des réfugiés et des migrants "dès novembre  2016. Ou que vingt-deux demandeurs d'asile occupent actuellement un logement sur le territoire communal. " J'ai toujours pensé que c'était une chance, pour une collectivité, d'accueillir des étrangers, ajoute-t-il. Qui sait si le futur médecin -d'Arnage n'est pas un jeune migrant scolarisé chez nous… "
Surprenante parenthèse estivaleM.  Cozic n'en multiplie pas moins les démarches pour contrarier le projet de la préfecture. Il a tenté de faire racheter l'ex-Formule 1 par un autre hôtelier afin d'éviter un changement d'affectation du bâtiment. Sans succès. Il a également pris un arrêté pour faire interrompre les travaux d'aménagement réalisés par Adoma dans les étages. En vain également. Ledit arrêté a été immédiatement jugé illégal par le préfet de la Sarthe, -Nicolas Quillet, en usant de son pouvoir hiérarchique.
Ses services réfutent, eux, les accusations de " déni de démocratie ", proférées par Thierry Cozic, en précisant que celui-ci a été informé du projet dès le printemps, et même invité à participer à plusieurs réunions. Un certain flou a cependant longtemps plané sur la destination officielle et finale du site, initialement prévu dans le cadre du Programme d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile, avant de devenir un centre d'hébergement destiné à des " réfugiés réinstallés ", en l'occurrence des personnes en provenance de camps situés au Niger et au Tchad.
Ils seront quatre-vingt-dix, dans une semaine, à prendre possession du lieu. Ils ne resteront que quatre mois sur place, avant d'accéder à un logement autonome avec l'aide d'Adoma. Deux autres contingents, de quarante et quatre-vingt-dix réfugiés, leur succéderont en  2019, avec une surprenante parenthèse de quatre mois au milieu de l'année – du 1er  juin au 30  septembre – pendant laquelle le bâtiment restera inoccupé. Le préfet a fait cette proposition au maire qui ne l'a pas refusée. Les baigneurs d'Arnage n'auront pas, l'été prochain, à partager la plage avec des réfugiés subsahariens.
par Frédéric Potet
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire