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samedi 22 septembre 2018

Confession de prêtres à l'épreuve du célibat


22 septembre 2018

Confession de prêtres à l'épreuve du célibat

Des curés du Puy-en-Velay témoignent de la façon dont ils vivent le renoncement à la vie conjugale et à la sexualité

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Le père Jean-Claude Petiot a parfois l'impression que les prêtres passent pour des " bêtes curieuses. Surtout par les temps qui courent ". Dans une société marquée par la libération des mœurs, leur célibat est de plus en plus perçu comme une étrangeté. Avec la multiplication des scandales de pédophilie qui secouent l'Eglise catholique, en France comme à l'étranger, l'incompréhension s'est transformée en suspicion.
" Dans l'esprit des gens, prêtres =  frustrés sexuels =  pédophiles en puissance ", se désole Monseigneur Luc  Crepy, l'évêque du père Petiot au diocèse du Puy-en-Velay. Le prélat, président de la -Cellule permanente de lutte contre la pédophilie, reçoit dans son bureau à l'évêché, dont les hautes fenêtres dominent les rues pavées de la vieille ville médiévale. S'il juge absurde de lier le célibat des prêtres à la pédophilie, il conçoit que le renoncement à toute relation sexuelle – la continence – interroge. " Dans une société de plus en plus érotisée, cela paraît impossible ou hypocrite. Mais la sexualité, ce n'est pas que la génitalité, nuance-t-il. Il y a aussi toute une composante relationnelle, vécue dans la chasteté. "
" Un véritable effort "Des prêtres issus de ce petit diocèse rural ont accepté de raconter au Monde la façon dont ils vivent cette règle du célibat et de la continence, et les tiraillements qu'elle implique. Une parole rare, et un exercice délicat auquel ils se sont prêtés avec une étonnante sincérité. " Ce n'est pas parce que je suis prêtre que je n'ai pas de sexualité, résume l'un d'eux. Je reste un homme, avec des désirs et des pulsions. "
Il est arrivé plus d'une fois au père Jean-Claude Petiot d'être troublé par une rencontre. Cet homme de 70 ans dirige une petite paroisse perchée sur un plateau à 1 000 mètres d'altitude, au milieu des volcans d'Auvergne. Le célibat, il le vit au quotidien depuis cinquante ans. " Je ne l'ai jamais vécu comme une obligation arbitraire, brutaleplutôt comme un horizon de vie, confie-t-il. Même si, c'est vrai, cela sollicite parfois un véritable effort. "
" Etre disponible à tous "Le discours est réfléchi, pudique, mais sans embarras. " Il y a une incertitude permanente : comment rester dans la ligne de conduite qu'on attend de moi ? " Pour ne pas succomber, cet homme au visage lumineux s'est efforcé de tenir " la bonne distance ". Avec parfois quelques pincements : " Je me disais : elle doit me trouver sans cœur. "
D'autres reconnaissent prendre plaisir à entretenir l'ambiguïté et la séduction, à l'image du père Bernard Planche, recteur de la cathédrale du Puy-en-Velay : " J'ai ainsi l'impression d'être du même bois que le reste de l'humanité. Ne plus avoir d'émotions, ce n'est pas la solution. " Le -quinquagénaire, regard perçant derrière de fines lunettes, fait de ces tiraillements une source de questionnements : " Essaies-tu de te prouver que tu es toujours séduisant ? Que tu n'es pas émasculé ? Puis je me dis : tu as choisi le Seigneur, ne fais pas l'idiot, évite de trop la draguer. " Ses yeux frisent quand il raconte avoir été courtisé par des femmes. " Hélas, c'est moins le cas avec l'âge ", dit-il dans un sourire, en désignant son embonpoint, sous l'œil fixe du Christ accroché au mur.
Avoir une aventure est un péché, pas si rare à les entendre, que l'on avoue dans le secret du confessionnal. C'est aussi là que les prêtres confient s'être livrés à la masturbation, tout aussidéfendue. " Quand cela m'arrive, j'éprouve des regrets, car j'ai failli à un idéal qui est de tout donner au Seigneur, explique l'un d'eux. Mais je ne culpabilise pas non plus. " Le regard est plus sévère sur la pornographie. " Soyons honnête, il m'est déjà arrivé de tomber sur une vidéo porno, -concède le même. Mais je suis souvent un peu écœuré. "
Quelle que soit la tentation, il s'agit donc de résister. Certains optent pour la rationalisation. " Quand j'ai conscience que ma sensibilité m'a joué un petit tour, je me rappelle à la raison ", -explique le vicaire général du Puy-en-Velay, le père Emmanuel Dursapt. A 45 ans, cet adepte des -périphrases qui ne quitte jamais son bréviaire fait encore figure de jeune prêtre – la moitié ont plus de 75 ans en France. " C'est en me raccrochant au réel, à travers les lieux et les objets qui m'entourent, que je peux re-prendre la mesure de mon engagement. " Il mime en empoignant la chaise, puis la table. D'autres se tournent vers la prière, tantôt " apaisante ", tantôt " tempétueuse ", pour implorer l'aide de Dieu.
Le combat est parfois quotidien, mais jamais au point d'avoir songé à renoncer à la prêtrise. D'autant, rappellent-ils, que la continence ne relève pas d'un interdit à leurs yeux, mais d'un " choix conscient " découlant de leur vocation, et dont le sens consiste à " vivre à la manière du Christ, pour être disponible à tous ". Si aucun n'envisage de remettre en cause cette règle, leur expérience témoigne en revanche du poids de l'interdit autour de la sexualité dans l'Eglise, et du manque criant d'accompagnement.
Les six années du séminaire pendant lesquelles sont formés les prêtres sont une période de " discernement " où chacun peut éprouver son choix. La sexualité y est longtemps restée taboue, ou présentée de façon " extrêmement négative, avec un rapport au corps très aride ", concède Luc Crepy, qui a lui-même dirigé le séminaire d'Orléans.
Maintenir un équilibre affectifCette conception a puissamment imprégné l'Eglise. A ce vieux prêtre, on a ainsi appris à se reculotter sans se toucher les fesses ; à cet autre, à se doucher en caleçon ; à ce troisième, à  faire demi-tour lorsqu'il voyait des filles pendant sa promenade.
Aujourd'hui encore, des discours " très moralisateurs et -nocifs " persistent, regrette l'évêque. Monseigneur Crepy dénonce une mauvaise interprétation des Ecritures : " La Bible présente la sexualité comme quelque chose de bon et de beau, puisque créée par Dieu. Mais elle a aussi un regard critique sur les perversités et les violences qu'elle peut entraîner. "
Le sujet a fait une timide apparition dans quelques séminaires à partir des années 1970. Trois ou quatre jours sont consacrés, -depuis, à des cours de sciences humaines pour mieux comprendre les mécanismes du corps, les pulsions et l'inconscient. Mais rien de plus.
En cas de difficulté, chacun se retrouve souvent seul. De ces choses-là, entre prêtres, on ne parle pas. Il y a bien les accompagnants spirituels, ces interlocuteurs que les prélats choisissent librement au sein de l'Eglise, et qui les guident pour mieux pratiquer leur foi. Mais les échanges avec eux trouvent vite leurs limites. Un prêtre se souvient ainsi de l'immense gêne qu'il avait déclenchée chez ce vieux curé à qui il voulait parler de ses tourments de jeune et fringant séminariste. " Il était tout rouge et bredouillait des généralités, raconte-t-il. J'ai compris que je ne pourrais pas m'appuyer sur lui. "
Maintenir un équilibre affectif général permet de limiter les atermoiements, et de prévenir les dérives. L'évêque du Puy-en-Velay y veille en regroupant les jeunes prêtres au sein d'une même paroisse, quitte à en délaisser une. Tout est fait pour éviter un isolement trop fort, terreau sur lequel prospèrent les fragilités.
" Sans doute faudrait-il que l'on soit mieux préparé  au célibat ", observe le père Planche. La multiplication des scandales pédophiles semble favoriser un sursaut sur la place octroyée à  la sexualité dans l'Eglise. " On a peut-être enfin compris que c'est un sujet difficile et qu'il faut en parler ouvertement, avance -Monseigneur Crepy. Il y a des progrès à faire. "
Faustine Vincent
© Le Monde


22 septembre 2018

" Je n'ai pas honte de ce que je suis, j'ai décidé de ne plus me cacher "

Gilles Brocard, 53 ans, a vécu une relation clandestine pendant dix-huit ans, avant de quitter l'Eglise

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Pendant quelques secondes, les deux hommes se sont fait face à travers les portes vitrées de la gare de Besançon. L'un, tout juste ordonné prêtre, a croisé le regard de l'autre, parti de l'Eglise avec fracas, quatre ans plus tôt, pour vivre avec la femme qu'il aimait jusque-là dans la clandestinité. Deux mondes parallèles. Au dernier moment, le jeune prêtre a bifurqué vers une autre sortie pour éviter d'avoir à saluer son -ancien professeur au séminaire.
L'incident vient de se produire quand Gilles Brocard nous accueille à la descente du train, en bermuda et baskets. La contrariété se lit encore sur son visage. " C'est toujours comme ça avec les prêtres que je recroise, mais je ne m'y habitue pas, souffle-t-il. J'ai l'impression d'être un pestiféré. " L'évitement du jeune curé est révélateur du rapport qu'entretient l'Eglise avec la sexualité, selon lui. " C'est tellement tabou ! Cela crée comme une ambiance, une odeur ", explique l'ancien prêtre.
Lorsqu'il était tenu de respecter la règle du célibat, Gilles Brocard, 53 ans, a lui-même mis du temps avant de comprendre et d'accepter ce qui lui arrivait. " La phase où on tombe amoureux, c'est terrible pour un prêtre !, s'exclame-t-il en portant la main à son cœur. C'est une période d'attirance-répulsion, car on nous fait croire que c'est incompatible avec notre vocation. Je culpabilisais énormément. J'étais tellement formaté… ", soupire-t-il.
Pendant des années, il garde le secret. Même aux six prêtres de son équipe de vie, qui partagent son quotidien, il ne dit pas un mot. Jusqu'au jour où il reçoit une convocation de l'évêque du diocèse, en  2002. Son supérieur l'accueille une lettre à la main : " C'est quoi, ça ? " La missive, anonyme, a été envoyée au Vatican pour le dénoncer. C'est paradoxalement un soulagement ; le temps est enfin venu de tout raconter. La réaction de l'évêque le surprend. " Il ne m'a pas réprimandé. Il avait l'air habitué. Il m'a juste dit : “OK, mais sois discret. Pas de vagues”. " C'est aussi ce que lui dira le deuxième évêque, puis le troisième. Tant que le scandale ne menace pas d'éclater, l'institution ferme les yeux. Dans le cas contraire, les mesures sont expéditives. Au presbytère de la ville, une immense bâtisse du XVIIe  siècle en pierre ocre et bleu, des prêtres disparaissent parfois brutalement du paysage. Nul ne demande jamais pourquoi. Ils partent, et plus personne n'en parle.
" Hypocrisie de l'Eglise "L'attitude conciliante de l'évêque donne d'abord l'illusion au curé d'avoir " le beurre et l'argent du beurre ", la prêtrise et sa relation amoureuse. Le couple vivra dans l'ombre et le secret pendant dix-huit ans, au gré des moments volés, s'interdisant de se tenir la main en public, et s'efforçant de se retrouver, le soir, sans se faire prendre par ce prêtre soupçonneux qui habite à côté. Gilles Brocard a compris bien plus tard à quel point sa compagne avait souffert, et combien " l'hypocrisie de l'Eglise " était " mortifère ".
L'histoire prend un tour nouveau à l'arrivée du quatrième évêque. Il le somme de choisir : c'est l'Eglise ou la femme. Le prêtre rend son aube après vingt-deux ans de carrière. Son supérieur envoie un courriel lapidaire afin d'annoncer son départ " pour des raisons personnelles ", sans autre détail. Gilles Brocard s'offusque et envoie à son tour un mail pour dire la vérité. Tout y est : la volonté de vivre son amour au grand jour, la clandestinité devenue trop lourde à porter, son sentiment d'étouffement face à une institution qu'il juge étriquée, et dont le discours lui apparaît désormais d'un autre âge. L'évêque lui demande de quitter Besançon dans la foulée, ce qu'il refuse. La rupture est violente, mais salutaire.
Depuis son départ, en  2014, Gilles Brocard travaille à son compte comme " accompagnant spirituel ", une aide psycho-spirituelle en dehors de toute religion. Sa foi est intacte, mais " moins obtuse ", dit-il. Au mot " Dieu ", " trop connoté, trop piégé ", il préfère -désormais celui de " Vie " oude " Source ". Il a attendu quatre ans avant de se sentir prêt à épouser sa compagne. Le temps de se défaire de ses oripeaux d'ancien prêtre. Le mariage a été célébré en août àla mairie de Besançon. Il était hors de question que ce soit à l'église : " Elle nous a maltraités. Nous n'avions aucun besoin qu'elle valide notre amour, ça, non merci. "
Sa colère froide s'évanouit quand il raconte ce moment, si longtemps attendu, où les époux ont échangés leurs vœux, et les larmes qui ont jailli lorsqu'il a dit " oui ". " J'ai réalisé en quelques secondes tout le chemin parcouru, raconte le jeune marié, encore ému. Ce n'est pas rien. C'était un combat à mener contre nous, contre l'Eglise et contre son puissant formatage. "
Il cherche son téléphone et demande, guilleret : " Je peux vous montrer une photo ? " Les mariés, elle en robe blanche ajustée, lui en trois-pièces gris clair et chapeau d'été, posent mains enlacées, sourire aux lèvres. " Je suis heureux ", dit-il simplement. Ses yeux se plissent et c'est comme si, sous l'action de ces trois mots, il se déployait soudain tout entier.
Avant la séance photo, il hésitait : doit-il garder ou non l'anonymat ? Jamais il n'avait raconté son histoire à visage découvert. Il a tranché au dernier moment, le cœur battant mais résolu : ce sera de face, plein cadre. L'explication nous est parvenue le lendemain, par courriel : " Je n'ai pas honte de ce que je suis. J'ai décidé de ne plus me cacher. " Au presbytère, personne ne l'a recontacté après son départ. Le silence épais qui enveloppe les hauts murs de l'enceinte a vite recouvert son souvenir.
Faustine Vincent
© Le Monde

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