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vendredi 10 août 2018

Philippe Bas, le sonneur de cloches


10 août 2018

Philippe Bas, le sonneur de cloches

Le président (LR) de la commission d'enquête sur l'affaire Benalla ne mâche pas ses mots contre M. Macron

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Il est là, debout devant sa vieille Peugeot 306 automatique, à nous attendre sur le parking de la gare de -Villedieu-les-Poêles, dernier arrêt avant le terminus de Granville, dans la Manche. Costumé mais sans cravate, lunettes de soleil noires sur le nez, Philippe Bas affiche une mine de semi-estivant : plus tout à fait au travail, pas encore en vacances. Il tient à l'épaule sa veste, brodée au revers du liseré rouge de la Légion d'honneur.
Ce rendez-vous en terre normande, lundi 6  août, n'a pas été une mince affaire à décrocher. On peut être la célébrité politique de l'été et détester parler de soi. Il a été convenu de se concentrer sur les dossiers de fond plutôt que sur sa personne. Mais peut-on distinguer la fonction de l'homme dans le cas d'un ancien ministre du gouvernement Villepin (2005-2007), ex-secrétaire général de l'Elysée sous Jacques Chirac (2002-2005) et aujourd'hui président de la commission d'enquête sénatoriale sur l'affaire Benalla ? Pour achever de le convaincre, on a promis aussi de ne pas faire de vieux os. Le sénateur a d'ailleurs enregistré une alarme sur son téléphone, à 15 h 05 précises, pour ne pas oublier de nous renvoyer d'où nous venons : dans un train.
" Aller au bout du travail "Philippe Bas, 60 ans, a laissé derrière lui le temps d'un mois d'août caniculaire ce feuilleton Benalla, qui a vu sa commission passer en direct pendant des heures, en juillet, sur toutes les chaînes -d'information en continu. Lui qui ne regarde pas la télévision jure qu'il n'a rien remarqué. Les auditions de ministres, policiers ou -conseillers élyséens, qu'il a menées avec courtoisie et fermeté, ont permis au grand public de découvrir un personnage à la fois intransigeant et caustique, placide comme un volcan endormi mais qui, au fond, tout au fond, bouillonne. " Il y a des principes dans notre République, je passe mes journées à les rappeler ", dit-il. " Il a la finesse giscardienne et l'énergie chiraquienne. Le droit, c'est sa gymnastique intellectuelle préférée ", loue l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui le connaît depuis vingt ans.
Attaché à lutter contre la " confusion des pouvoirs dont cette affaire - Benalla - est le signe ", Philippe Bas insiste : " Il n'y a pas de plus grande honte pour un collaborateur que de mettre en difficulté le président de la République. " Mais, poursuit-il, cette affaire révélée le 18  juillet par Le Monde " n'est pas seulement un dérapage individuel ", ce fameux 1er-Mai, place de la Contrescarpe. " Alexandre Benalla a bénéficié d'une protection ", veut-il croire. La commission d'enquête reprendra ses auditions à la rentrée : " Nous voulons aller au bout du travail. "
Après avoir passé les macronistes à la moulinette de ses questions (précises) et digressions (professorales), le sénateur Bas, de retour sur ses terres," travaille " le (grand) électeur de la Manche, une " terre morale, vertueuse et honnête ", à l'" esprit indépendant et paysan ", dont il a présidé le conseil départemental entre 2015 et 2017. En " activité relative ", l'élu s'enquiert un jour du sort d'une maison de retraite, un autre de celui d'une station-service. Dans le monde d'avant-Benalla, les " dossiers chauds " de Philippe Bas -concernaient la gouvernance du Mont-Saint-Michel ou la fermeture d'un abattoir. Moins glamour sur le papier, mais pas moins important pour lui. " Ce ne sont pas des sujets locaux à mes yeux, mais des sujets nationaux dont on ne parle pas aux actualités. Sauf peut-être au “13  heures” de Jean-Pierre Pernaut ", fait-il valoir.
Ce conseiller d'Etat, énarque, habitué à l'ombre des cabinets ministériels, a découvert un jour la lumière qui émane du terrain. C'était en  2007. Le chiraquien, ancien directeur de cabinet des centristes Jacques Barrot et Simone Veil, se voit infliger une défaite humiliante aux élections législatives par un dissident de droite, malgré l'investiture de l'UMP et son statut de ministre sortant de la santé. " Grâce à cet échec inattendu, j'ai compris la politique comme je n'avais jamais pu la comprendre,raconte-t-il. Les électeurs éprouvaient un doute sur la sincérité de ma démarche, mes racines locales étaient jugées insuffisantes. Avec mon épouse, nous avons décidé de nous installer dans ce canton. "
Fini la vie parisienne : son chemin de Damas passera donc par Villedieu-les-Poêles, réputée pour sa fonderie de cloches, et une élection de conseiller général, en 2008. " Ça a été l'acte de naissance du -Philippe Bas politique. Il y a un métal qui s'est forgé ce jour-là ", assure Frédéric Salat-Baroux, qui lui a succédé comme secrétaire général de l'Elysée de Jacques Chirac. Cela n'empêche pas l'élu d'aborder le chaland avec une circonspection propre aux hommes de l'ombre.
Cette expérience permet au sénateur de juger avec sévérité la présidence d'Emmanuel Macron. " Le parti En marche n'existe pas, il n'a pas de racines idéologiques, pas de racines territoriales, pas d'expérience politique ", fustige-t-il. Le pouvoir macronien, avant l'affaire Benalla, était jeune et insolent comme un héros du Quartier perdu, de Patrick Modiano, d'un " âge où les conseils sont inutiles et où ceux qui les donnent vous semblent prononcer des phrases bien vaines ".
Symptôme d'une dériveLa voix d'un Philippe Bas claque aujourd'hui comme une revanche. Quand le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, tente le 26  juillet pendant son audition au Sénat de jouer la connivence -entre grands commis de l'Etat – " Vous avez occupé le poste que j'ai l'honneur d'occuper aujour-d'hui " –, le président de la commission d'enquête l'interrompt sèchement : " C'était la préhistoire et l'ancien monde, je veux bien reconnaître qu'il y ait des différences. " Pas question de baisser la garde. " Chacun doit être à sa place dans une commission, souligne-t-il. J'ai voulu dire : “Vous êtes pris à votre propre jeu. Vous incarnez les élites françaises du CAC  40 et de l'administration réunie et vous voulez vous faire passer pour des révolutionnaires. Ce n'est pas vrai, vous ne l'êtes pas.” "
Cet ancien fidèle de François Fillon, qu'il a soutenu jusqu'au bout malgré les affaires, aurait pu, sur le papier, se laisser séduire par les promesses macroniennes. Après tout, il vote bien au Sénat en faveur des réformes économiques et sociales du gouvernement." Je suis Chirac-Barrot, dans la lignée du gaullisme social ", dit-il pour se définir politiquement. Mais il ne croit pas aux générations spontanées. " Il y a de la posture et de l'artifice à considérer que le renouvellement règle 100  % des problèmes de la société française. " Pis, il voit même dans l'affaire Benalla le symptôme d'une dérive. " Tout se fait en public, le pouvoir se montre tel qu'il est. La fumée du macronisme va disparaître et on verra ce qu'il y a derrière : la technocratie, le narcissisme et la solitude… "
" C'est un descendant de Tocqueville, Manchois comme lui, -modéré et déterminé ",nous assurait il y a peu Bruno Retailleau, patron du groupe Les Républicains au Sénat. C'est la détermination, plutôt que la rondeur, que l'on découvre là.
Il est 15 h 05 : l'alarme sonne. Tout le monde dans la Peugeot. " Vous voyez, quand j'évoque la préhistoire, je sais de quoi je parle ", plaisante Philippe Bas en faisant grincer la portière. Sa femme a laissé une cassette dans l'autoradio. Barbara. Il éjecte la dame brune, sans autre espèce de commentaire.
Arrivé à la gare, le sénateur livre une confidence sur son antique carrosse. " Quand mon épouse prend le train, elle laisse la voiture sur le parking de la gare pendant plusieurs jours. Elle préfère prendre la vieille Peugeot, parce qu'il y a parfois des gens qui font des rayures. " Même dans la Manche " morale, vertueuse et honnête ", on ne peut plus se fier à rien, ni à personne. Certains disent y avoir aussi rencontré des sénateurs qui vous rayent d'un coup de clé la carrosserie d'un pouvoir rutilant.
Olivier Faye

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