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dimanche 12 août 2018

Les doutes de la jeune garde macronienne


11 août 2018

Les doutes de la jeune garde macronienne

A l'Assemblée nationale, les chevau-légers de Macron jugent que le dispositif présidentiel doit être renforcé

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L'ENTOURAGE DU PRÉSIDENT FRAGILISÉ
L'association Anticor a déposé, mercredi 8 août, une plainte -complémentaire pour " prise illégale d'intérêts " contre le secrétaire général de l'Elysée Alexis Kohler, dont Mediapart a révélé qu'il avait approuvé, lorsqu'il était membre de conseil de surveillance du port du Havre, des contrats concernant l'armateur MSC, fondé et dirigé par des cousins de sa mère. De son côté, le conseiller spécial du président, Ismaël Emelien, pourrait être impliqué dans l'affaire Benalla : il a eu accès à des bandes de vidéosurveillance montrant la scène de la place de la Contrescarpe, à Paris, où Alexandre Benalla malmène deux jeunes gens, le 1er mai. Le parquet de Paris qui s'est saisi de l'affaire, a requis une enquête pour des faits de " recel de détournements d'images issues d'un système de vidéoprotection, et recel de violation du secret professionnel ".
Les longs après-midi oisifs de l'été ont une vertu qui, en politique, s'apparente à un vice : ils laissent le temps de la réflexion. Construire et déconstruire des châteaux de sable, revoir en pensée le film de l'affaire Benalla, première véritable épreuve des jeunes loups de la Macronie… Les piliers de la majorité du groupe La République en marche (LRM) à l'Assemblée nationale vont avoir le temps de s'adonner à cette activité. Surtout ceux qui, soudés à la ville comme au Palais-Bourbon, passent leurs vacances ensemble.Gabriel Attal et Guillaume Chiche vont ainsi pouvoir méditer sur cette drôle de séquence en Bretagne. Sacha Houlié aura, lui, largement le temps d'en discuter avec Pierre Person, son ancien colocataire, avec lequel il a prévu de passer quelques jours en août.
Ceux-là forment, avec quelques autres députés, comme Aurélien Taché ou de façon plus éloignée Aurore Bergé, la jeune garde -macroniste, ceux qu'on a souvent appelés " bande de Poitiers ", en référence à la ville où certains d'entre eux ont fait leurs études et leurs premières armes politiques (à l'UNEF, mais aussi au Parti socialiste). Si le groupe s'est délité au gré des attributions de rapports et autres missions, il garde aujourd'hui une structure et une influence certaines. Am-bitieux, rompus aux codes médiatiques, ces élus se sont ainsi relayés sur les plateaux de télé-vision pour porter la bonne parole et défendre le président pendant l'affaire Benalla.
" Occasion manquée "De cette expérience au front, ils sont nombreux, malgré les dissensions, à tirer la même conclusion : un changement, au sommet de l'Etat, est nécessaire. " Il va falloir tirer les leçons de tout ce qui s'est passé et se demander si le dispositif politique pour protéger et défendre le président est optimal à tous les niveaux ", affirme Aurélien Taché. Le député du Val-d'Oise regrette ainsi ce qu'il a perçu comme un " flottement " avant la prise de parole prési-dentielle. Car tous le disent : ils se sont sentis bien seuls lorsqu'il a fallu rendre coup pour coup à une opposition trop -contente de s'engouffrer dans la première brèche du monolithe Macron. " Finalement on était les seuls à y aller, à prendre la parole, tout le monde avait peur de s'exprimer ", ronchonne un député de la bande.
Il y eut pourtant l'apparition de Bruno Roger-Petit, porte-parole de l'Elysée, devant les caméras. Mais trop courte, et visiblement mal préparée, elle a été jugée -contre-productive. Pour les chevau-légers de la Macronie, la communication élyséenne doit certes être revue, comme annoncé récemment par le palais. Mais une simple réorganisation ne suffira pas à tirer les leçons de l'affaire. Dans leur viseur ? Les ministres, accusés de ne pas avoir suffisamment protégé le président. Plus particulièrement les locataires de Bercy, Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire. Des poids lourds de la politique, habitués au jeu médiatique, mais qui se sont, ces dernières semaines, montrés bien timorés devant les micros. C'est sûr, " ils auraient pu en faire davantage… ", constate Sacha Houlié, député de la Vienne.
" On n'attend pas de Françoise Nyssen - ministre de la culture - qu'elle aille sur RTL pour dégommer l'opposition, ce n'est pas son rôle, poursuit un membre du groupe,mais que Le Maire, Darmanin et - Sébastien - Lecornu - secrétaire d'Etat à la transition écologique - n'y aillent pas plus fort, ça nous a tous étonnés. " Et de poursuivre sous le sceau de l'anonymat, un paratonnerre répandu contre la foudre jupi-térienne : " C'est assez incompréhensible. Une occasion manquée pour eux. "
Outre les transfuges de LR, un autre membre du gouvernement semble sortir affaibli de ces semaines de tourmente. Réputé pourtant proche de la " bande de Poitiers ", Christophe Castaner, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et délégué général de La République en marche, n'en aurait pas assez fait, jugent-ils. Ses interventions devant les médias ou encore la commission d'enquête du Sénat ont été jugées, au mieux, peu convaincantes. " On a vu la limite de la double casquette. Castaner devait à la fois gérer la base des militants d'En marche et nous donner une direction, il a été dépassé ", lâche un membre du groupe.
" Belle cohésion "Si Christophe Castaner a été jugé absent, Richard Ferrand, le président du groupe, a en revanche su asseoir sa crédibilité de chef, toujours selon ces jeunes députés." Richard Ferrand a tenu son rang, on ressort de cette affaire soudés avec une belle cohésion ", explique après coup Aurore Bergé, députée des Yvelines. Du lustre, Edouard Philippe en a, lui aussi, regagné. Son discours offensif prononcé contre les deux motions de censure, déposées par les oppositions de droite et de gauche, a marqué les esprits. Ceux, qui parmi la petite bande, doutaient de sa fidélité à Emmanuel Macron, semblent aujourd'hui rassérénés, et même enthousiastes quant au rôle d'un premier ministre arrivé tardivement dans l'aventure. " Finalement dans la gestion de la situation, le premier ministre a su tirer son épingle du jeu ", affirme Sacha Houlié.
Le mot remaniement n'est jamais prononcé par ces fidèles de la première heure. Après tout, Emmanuel Macron " ne réagit pas à la pression ", assure Aurore Bergé. " Seul le président peut se prononcer sur ce genre de questions ", abonde Aurélien Taché. " Un remaniement ? Pour quoi faire ?, interroge Guillaume Chiche. Ce serait une erreur de penser que plus de ministres politiques changeraient tout. Les Français pourraient le voir comme un retour aux vieilles méthodes. "
Eux l'assurent, ils n'ont pas les yeux rivés sur les hôtels particuliers du 7e arrondissement, écrins dorés des ministères. Mais leurs ambitions, qui vont bien au-delà du Palais-Bourbon, ne sont un secret pour personne. Eux qui ont vu naître en leur groupe des rivalités au fur et à mesure que l'année avançait seraient, selon un député de la majorité, " tous candidats pour un poste de secrétaire d'Etat… "" Il y a ceux qui ne pensent qu'à être ministres et font tout pour. Et ceux qui pensent qu'on peut faire bouger les lignes sans changer de grade ", insiste un élu LRM. Pour chacun des membres du groupe, l'une ou l'autre de ces options sera éclairée d'une nouvelle lumière, à l'heure de la rentrée politique, par le soleil de septembre.
Sarah Belouezzane
© Le Monde


11 août 2018

" Ces jeunes élus expérimentés occupent un espace politique vacant "

Pour le politologue Stéphane Rozès, les députés les plus politisés comblent un vide en Macronie, dominée par la technocratie et la société civile

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Le politologue Stéphane -Rozès, enseignant à Sciences Po et à HEC, revient sur l'émergence d'une nouvelle génération de députés autour d'Emmanuel Macron.


Comment expliquez-vous l'émergence médiatique de certains députés, devenus en très peu de temps une jeune garde indispensable à la communication du président ?

Elle a comblé un vide, un angle mort dans la Macronie. Tout procède du président de la République, de sa relation verticale avec les Français. Emmanuel Macron a promis de remettre " en marche " la France, de " restaurer la souveraineté de la nation ". De son côté, le parti La République en marche cherche ses marques et son utilité. Et le gouvernement d'Edouard Philippe a un très faible espace politique. Le sommet de l'Etat est composé de jeunes techno-manageurs brillants et dévoués au président et à la " transformation " du pays. Ils sont dans la procédure et le contenu des réformes, mais peu dans la finalité de celles-ci. C'est Emmanuel Macron seul qui, au travers de ses interventions et discours, donne le sens politique. Comme dans une entreprise, chacun fonctionne en silo en Macronie. La politique ayant horreur du vide, surtout en période de crise, comme pendant l'affaire Benalla, seuls de jeunes députés un peu expérimentés s'expriment dans les médias.


Le nombre important de -novices en Macronie peut-il expliquer cet état de fait ?

L'expérience politique est très faible à l'Assemblée nationale. De nombreux députés sont issus de la société civile. Logiquement, quelques jeunes figures plus expérimentées politiquement, venant de la droite comme de la gauche, ou même du syndicalisme, ayant été " socialisées " après la chute du mur de Berlin et étant par conséquent moins idéologues, émergent. Cette jeune garde macroniste occupe un espace politique vacant au sein de la Macronie.


La carte générationnelle est un grand classique en politique. On pense aux " rénovateurs " du RPR ou aux jeunes loups du Parti socialiste, qui rêvaient de se faire une place au soleil… Assiste-t-on au même phénomène ?

Bien entendu, les jeunes élus veulent exister et être repérés dans leur circonscription, et rien de tel pour cela que de se faire l'ambassadeur dans les médias de l'action du président ! Mais il n'y a guère de comparaison possible. La " présidence normale " hollandaise, de tradition parlementaire, laissait un espace structuré aux sensibilités internes au Parti socialiste, qui pouvaient peser sur la politique. En Sarkozie, les éléments de langage étaient diffusés presque quotidiennement pour être ensuite déclinés par des relais. Mais il y avait plusieurs sensibilités politiques au sein de la droite et donc plusieurs espaces. Avec la présidence macronienne, on assiste au retour de l'autorité politique au travers de cette figure du monarque républicain qui s'affirme contre les corps intermédiaires, dont le Parlement, auquel appartiennent ces jeunes élus. Emmanuel Macron a tenté de nouer un lien direct et exclusif avec le pays, d'où les dommages symboliques et politiques de l'affaire Benalla. Napoléon disait : " Je ne tiens mon pouvoir que de l'imagination des Français. Quand j'en serai privé, je ne serai plus rien. "
propos recueillis par S. B.
© Le Monde

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