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vendredi 10 août 2018

Grenoble en proie à " une culture de la violence "


10 août 2018

Grenoble en proie à " une culture de la violence "

Après la mort d'un jeune à la sortie d'une boîte de nuit le 29 juillet, une marche blanche a rassemblé près de mille personnes, mercredi

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Voilà deux ans qu'Adrien Perez vivait et travaillait en région lyonnaise, et revenait tous les week-ends ou presque à Grenoble, sa ville, celle de sa -jeunesse, de sa famille, de ses amis. Avec plusieurs d'entre eux, samedi 28  juillet, ce jeune homme jovial et sans histoires qui ne -fréquentait pas particulièrement les boîtes de nuit est allé fêter ses 26 ans au Phœnix, situé à -Meylan, commune voisine.
Peu avant 5 h 30 du matin, le dimanche, ils -attendaient le taxi du retour, à quelques dizaines de mètres de la discothèque, lorsque trois garçons âgés de 19 et 20 ans se sont dirigés vers eux. Un peu plus tôt, un début d'altercation les avait opposés à l'intérieur de l'établissement : une amie d'Adrien Perez avait en effet été la cible de -propos -déplacés. Les -videurs avaient -retenu les trois jeunes garçons – habitués du lieu, où ils entraient sans payer –, le temps que la pression retombe et qu'Adrien et ses amis s'en aillent. Mais le taxi n'est pas arrivé.
Nouveau face-à-face, un échange de mots, puis une explosion de violence, sidérante. Adrien Perez, à l'écart dans un premier temps, vite venu en aide à un couple d'amis roués de coups, l'est à son tour, au visage, à la poitrine. Il s'écroule, inerte. Quand les trois jeunes gens s'en vont, il est déjà mort : un coup de couteau l'a touché au cœur. La scène a duré une minute.
Les images de vidéosurveillance ont permis d'identifier les trois suspects : Younes et -Yanis El  Habib, deux frères habitant le quartier Teisseire, secteur difficile de Grenoble, et un de leurs amis ; l'un a été arrêté le jour même, les deux autres se sont livrés aux gendarmes. Les deux frères ont été écroués, leur ami laissé libre sous contrôle judiciaire, décision dont le parquet de Grenoble a fait appel. Tous trois sont mis en examen pour homicide volontaire, tentative d'homicide et violences volontaires – dans la bagarre, une autre victime, poumon perforé, a échappé au pire. L'enquête doit déterminer lequel des trois a porté le coup mortel à Adrien Perez.
" Cela ne s'arrêtera jamais "C'est à l'endroit où celui-ci s'est effondré que devait s'achever la marche blanche organisée mercredi 8  août par ses amis. Meylan était finalement un peu loin du point de départ, fixé au cœur de Grenoble, et il faisait une chaleur accablante en Isère, alors c'est dans les rues du centre-ville, -pendant une heure et demie, que le cortège silencieux a figé les tramways et les terrasses de café sur son passage. A sa tête, une banderole portée par la sœur et les amis de celui qu'ils appelaient " Perez " ou " Merguez ", sur -laquelle s'affichaient sa belle gueule souriante et ces mots : " Justice pour Adrien - Nous ne t'oublierons jamais ".
Parmi le millier de marcheurs arborant tee-shirts, fleurs et -ballons blancs, des proches, et de simples citoyens – les jeunes disent qu'ils auraient pu être à la place d'Adrien, les plus âgés, qu'il aurait pu être leur fils. Quelques élus également, plusieurs adjoints aux maires (mais pas les maires eux-mêmes) de Grenoble et de Meylan, à la présence discrète. Quatre conseillers régionaux du Rassemblement national (ex-Front national) ont, eux, rapidement été invités à retirer leur écharpe : " Pas de récupération politique ", avaient réclamé les parents d'Adrien Perez, fondus dans la masse aux côtés de leur avocat, et qui n'étaient, dans un premier temps, pas forcément favorables à l'idée d'un défilé.
" On pourra toujours organiser des marches blanches (…), cela ne servira à rien, expliquaient-ils, mercredi 1er  août, dans Le Dauphiné libéré. Il y aura d'autres -victimes. Cela ne s'arrêtera jamais. Le niveau de violence dans -l'agglomération grenobloise est inadmissible. "" Quand on sort le soir, on sait qu'il y aura un souci,témoigne Lucas, un ami d'Adrien Perez à la carrure pourtant dissuasive. Pas forcément une -catastrophe, mais il y a toujours des guignols qui s'arrêtent en -voiture, qui embêtent les filles, etc. On ne sort jamais complètement serein. C'est très rare que tout se passe bien du début à la fin. " Lors des obsèques, vendredi 3  août, un autre ami avait eu ces mots : " On en a marre de cette ville. Il faut qu'on arrête d'être tué pour un mauvais regard, une cigarette, un mot de -travers. Grenoble, c'est le Texas. "
" Il ne s'écoule pas une semaine à Grenoble sans que des gens soient blessés au couteau. " Ces mots-là sont ceux du procureur de la République, Jean-Yves -Coquillat, dont les propos sur une ville " pourrie et gangrenée par le trafic de drogue " avaient fait couler beaucoup d'encre à l'été 2017. " Les agressions ne sont pas forcément liées au trafic, il s'agit souvent de vols avec violence ou de violence gratuite, dit aujourd'hui ce magistrat passé notamment par Mâcon, Mulhouse, Lyon ou Besançon. Il y a à Grenoble un niveau de violence que je n'ai constaté dans aucune ville comparable. "
Le maire (EELV) de Grenoble, Eric Piolle, en convient, même s'il nuance ce constat. " Depuis les années 1960-1970, il y a une “culture” de la violence, concède-t-il. Je n'aime pas ce terme, mais, quand ça se transmet au fil des -générations, ça devient une caractéristique de la ville. Ce drame en particulier n'est pas connecté aux problématiques violentes qu'on rencontre habituellement ici. Cette “culture” de la violence se limite au milieu des trafiquants, mais ça crée un climat. "
Impression de déjà-vuLes marcheurs de mercredi, dont certains comparent leur agglomération à Marseille ou à la -Seine-Saint-Denis, déploraient en chœur une dégradation sur le plan sécuritaire. Les statistiques de la préfecture concernant les atteintes aux personnes – 1 722 faits recensés à Grenoble en  2018, (+ 15 % par rapport à 2017) – ne les rassureront pas. Pas plus que ce constat de Jean-Yves Coquillat : " La police et la justice font avec leurs moyens, et ne -peuvent pas faire plus. Quand vous avez une culture de la violence quelque part, c'est très difficile de revenir en arrière. "
Des milliers de personnes s'étaient déjà rassemblées pour d'autres marches blanches, après d'autres morts pour rien, celles de Kevin Noubissi (21 ans) et -Sofiane Tadbirt (22 ans) en  2012, et de Grégory Baharizadeh (18 ans) en  2015, tous tués à Echirolles, au sud de Grenoble. L'impression de déjà-vu aurait de quoi décourager. " Il ne faut surtout pas être fataliste, mais continuer à agir, sans baisser les bras ", affirme Violaine Demaret, sous-préfète de l'Isère, qui avoue néanmoins une certaine lassitude : " Intellectuellement, toute cette violence nous dépasse. "" Cette marche pour Adrien, c'est le refus de la banalisation de la violence ", veut croire, de son côté, le maire Eric Piolle, qui ne cède pas à l'abattement, mais admet avoir parfois l'impression d'essayer de " vider l'océan à la main ".
Henri Seckel
© Le Monde

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