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mardi 21 août 2018

Gênes, premier port italien, et la Ligurie fragilisés


18 août 2018

Gênes, premier port italien, et la Ligurie fragilisés

Après l'effondrement, le 14 août, du pont Morandi, 50 000 emplois sont menacés dans le port génois

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Aceux qui voudraient connaître la puissance de Gênes, l'écrivain italien Ambrogio Bazzero suggérait d'aller " goûter la grandiose poésie de son port ". Cet immense complexe de 22  km ingurgite et recrache chaque année 69  millions de tonnes de marchandises, et 2,6  millions de conteneurs. Mais, depuis le 14  août, le plus grand port industriel et commercial de la péninsule est silencieux. Les grues s'affairent un peu plus loin : autour du pont Morandi, on continuait, jeudi 16  août, de déblayer les décombres à la recherche de disparus. Le bilan provisoire a été porté à trente-huit morts et quinze blessés, dont cinq toujours dans un état grave. Samedi matin, une cérémonie de funérailles se tiendra à la Fiera de Gênes,un centre d'expositions. Mais, pour la cité portuaire, le deuil risque d'être bien plus long.
Avec l'écroulement du pont -Morandi, c'est l'économie d'une région entière qui menace de s'effondrer. " Ce viaduc était un symbole de la ville, on l'appelait le pont Brooklyn. Mais c'était surtout un pilier pour l'économie ligure ", explique Mario Ghini, secrétaire régional du syndicat UIL (Union italienne du travail). Pas moins de 25,5  millions de véhicules y transitaient chaque année, et le trafic devait augmenter de 30  % d'ici à 2050, selon les estimations de la société Autostrade per l'Italia,qui gère l'autoroute et le pont Morandi. Dans un communiqué, la Confédération italienne des syndicats de travailleurs (CISL) s'inquiète pour l'avenir du port et des entreprises : " Il faut éviter que ce drame se répercute sur le travail et les familles génoises innocentes. "
Mais les Génois s'alarment déjà. Marcello patiente près de son taxi devant la gare ferroviaire de Brignole. Dans l'attente de clients, il commente l'actualité. " Heureusement que le pont n'est pas tombé cet automne, cela aurait été un carnage. Ce viaduc, tout le monde l'empruntait : les habitants pour traverser la ville, mais aussi les véhicules qui filaient vers la France, à l'ouest, ou vers le reste de l'Italie et les Balkans, à l'est. Je ne veux même pas penser aux embouteillages qu'il va y avoir, dès la rentrée. "
Sans pont, les routes risquent d'être engorgées, et le port isolé : près de 50 000 emplois seraient menacés, selonl'ancien président du port de Gênes Luigi Merlo. Si le trafic de conteneurs est l'activité la plus importante, ce n'est pas la seule. C'est par exemple ici qu'a été démantelé le navire de croisière Costa-Concordia après son naufrage, en  2012. Commerce, tourisme, construction navale : poumon économique de la région, le port compte 25 terminaux et voit passer, en plus des conteneurs, 35  millions de tonnes de produits.
Par capillarité, plusieurs zones industrielles se sont développées à proximité des docks. C'est sur l'une d'entre d'elles, à cheval entre les quartiers de Cornigliano et de Sampierdarena, que s'est effondré le viaduc. L'entreprise Ansaldo Energia, spécialisée dans les centrales électriques, a été particulièrement touchée. " On ne peut toujours pas accéder aux alentours du pont. Là, ça va, car c'est les vacances. Mais, en septembre, ces entreprises vont être en difficulté ", résume Mario Ghini.
A proximité des débris, une petite foule de locaux observe le travail des secours. Parmi eux, Giorgio maugrée dans sa barbe : " Nous vivons dans une zone encastrée entre la terre et la mer, très liée au port, parsemée de hangars, d'entrepôts, de bureaux, de grands magasins, dit ce modeste employé, en pointant les enseignes Decathlon, Ikea ou Maisons du monde alentour. Les cargaisons des bateaux transitaient par la route, via le pont, ou par la voie ferrée, sur laquelle il s'est écroulé. Je ne vois pas comment le quartier va se relever. "
A l'arrêtEn pleine saison haute, les acteurs du tourisme broient du noir. " Si je veux partir en vacances dans les Cinque Terre, je dois désormais traverser la ville, ça fait perdre énormément de temps ", prévient Francesco Manzitti. " Avec le pont, dit ce journaliste génois, l'aéroport n'était qu'à dix minutes du centre-ville. Là, il faudra en compter quarante. " Le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, a décrété l'état d'urgence pour douze  mois. Cinq millions d'euros ont été débloqués. Certains plaident pour la construction d'un nouveau pont plus au nord ; d'autres pour l'ouverture du port aux poids lourds la nuit afin de répartir le trafic sur 24  heures ; d'autres encore pour que les camions aient accès à " la strada del Papa ", une route privée menant au port mais réservée jusqu'à présent à l'aciériste italien Ilva, et au pape.
Grand amateur de football, le pape François ne sera pas dans les travées du stade Luigi-Ferraris, ce week-end, pour la reprise de la Serie A, le championnat italien. Les matchs des deux clubs génois, la Sampdoria et le Genoa, ont été reportés, pour cause de deuil. Club historique des marins – à l'image de sa mascotte, le pêcheur Baciccia –, la Sampdoria tire son nom du condottiere Andrea Doria et du  quartier de Sampierdarena, aujourd'hui en ruine. Son silence est celui de tout un port, pétrifié à l'idée de rester, demain comme aujourd'hui, à l'arrêt.
Margherita Nasi
© Le Monde

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